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Ashley Micklewright (Bluebell Group) : « En Asie, implémenter une stratégie dans les 6 mois, c’est déjà trop tard ! »

Publié le par Journal du Luxe

A l’occasion de son passage en France, le Journal du Luxe a eu l’opportunité d’échanger en exclusivité avec Ashley Micklewright, Président et CEO du groupe Bluebell, spécialisé dans la curation et l’accélération de l’implantation de marques de Luxe sur le marché asiatique.

Le Journal du Luxe (JDL) : Ce qui distingue Bluebell des autres sociétés de conseil, c’est son ancienneté. Quelle est l’histoire derrière cette entreprise ?

Ashley Micklewright (A.M) : L’histoire de Bluebell est avant tout une affaire de famille qui dure depuis près de 65 ans. Mr et Mme Goemans ont débuté dans le sud de la France après la Seconde Guerre Mondiale, avec plusieurs boutiques de parfums. La plus grande partie de leur clientèle était alors composée de marins américains postés dans la French Riviera. Lorsque la base américaine est partie à Okinawa durant la Guerre de Corée, Peter Goemans a décidé de tout quitter pour suivre ses clients au Japon. Il y a fondé Bluebell en 1954. Sur place, il s’est rendu compte que la demande locale des Japonais pour les produits de luxe était immense, allant bien au-delà des parfums. Son fils, Michel ,a repris les rênes du groupe en 1967, avec sa femme Catherine qui a développé toute la catégorie Fashion et Accessoires. Ces derniers sont toujours à la présidence du groupe aujourd’hui et travaillent avec la troisième génération de la famille…

L’une des premières Maisons française à avoir fait confiance à Bluebell fût Louis Vuitton, bien avant l’époque LVMH. Face à l’accélération de l’offre Luxe en Europe, Bluebell accompagne aujourd’hui plus de 150 marques de prestige à travers l’Asie.

 JDL : Au cours de toutes ces années, Bluebell a vu le marché du Luxe se transformer au sein des différents pays d’Asie. Si l’on devait mentionner, aujourd’hui, les principaux challenges du retail de Luxe en Asie, quels seraient-ils ?

A.M : Il y en a plusieurs mais la capacité à créer des relations entre les marques et les consommateurs est un réel défi. Auparavant, le face-à-face était de mise. Le digital a redistribué les cartes, les arcanes du pouvoir ont changé. Il y a des années, les Maisons poussaient le produit vers le consommateur. Désormais, ce dernier est plus prescripteur que jamais. Il y a également le challenge de la distribution, le fait de pouvoir bâtir des stratégies omnicanales tout en tenant compte des spécificités du brick & mortar et du e-market selon les différents pays d’Asie. Il faut s’adapter à ces différences et notamment travailler sur l’harmonisation des prix d’un circuit à l’autre, d’un pays à l’autre… Qui plus est, il existe de plus en plus d’acteurs sur le marché et de plus en plus d’orientations possibles pour les marques. Il y a 15 ans, les options étaient plus limitées ! Il faut savoir faire des choix.

JDL : Quels sont les profils de marques avec lesquelles vous collaborez ?

A.M : Nous travaillons principalement avec des marques qui ont une assise très forte hors Asie. Grace à notre connaissance des marchés asiatiques et à la data dont nous bénéficions sur place, nous faisons de la curation et aidons ces enseignes à anticiper leur présence sur le territoire. Nous les accompagnons et créons de la valeur pour elles en leur faisant bénéficier de nos réseaux locaux et ce, sur toutes les fonctions, tous les postes, tous les pays. La maturité est très importante, nous avons besoin de marques qui savent qui elles sont et qui désirent continuer à faire en Asie ce qu’elles font ailleurs, avec la même exigence de qualité. Pour des Maisons à l’héritage très fort, le challenge est d’autant plus grand. Dans le cadre de ces collaborations, il nous faut nous adapter, être flexibles et pertinents en mettant en place de nouveaux business modèles : nous en avons créé trois ces cinq dernières années ! Nous nous engageons régulièrement au même titre que les marques en déployant des joint-ventures.

JDL : Chez Bluebell, quels sont les segments de marché que vous avez identifié comme étant actuellement les plus dynamiques ?

 A.M : La cosmétique. L’Asie est un marché dominé, infusé, par les marques européennes. Et en même temps, la J-Beauty et la K-Beauty modifient les structures en place. Du reste, il est toujours intéressant de voir l’intérêt des consommateurs pour de nouvelles catégories de produits, de nouvelles marques. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons créé une division Bluebell Studio pour déployer des stratégies d’implantation de marques et concepts à fort potentiel, en mode test & learn.

JDL : Les marques avec lesquelles vous travaillez ont-elles parfois des idées préconçues sur les marchés asiatiques ?

A.M : Beaucoup ne réalisent pas vraiment la diversité et la complexité du territoire. L’Asie est immense, avec des marchés tellement différents. On peut penser que s’établir à Hong-Kong ou à Singapour est facile : ces destinations sont certes des portes d’entrée mais l’expérience est beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît. Le Japon apparaît comme un pays particulièrement sophistiqué et exigeant – ce qui est vrai – ; l’Asie du Sud Est est faite de marchés grandissants, tous différents ; Taiwan est relativement méconnu ; Quant à la Chine, c’est bien évidemment un marché qui a explosé mais qu’il faut appréhender dans toutes ses disparités et ses mécanismes d’influence.

JDL : Quel serait votre conseil envers une marque désireuse de s’établir en Asie ?

A.M : Soyez prudents. Vous pouvez avoir un désir inhérent de faire les choses par vous même, de vous implanter par vos propres et uniques moyens mais soyez conscients du fait que vous ne pouvez pas copier-coller les recettes de votre succès tel qu’il a été établi sur d’autres territoires. Il est essentiel de tenir compte des différences culturelles. Et n’oubliez pas qu’en matière de wholesale, le timing est aussi important que la stratégie retail en elle-même ! Grâce à notre plateforme centralisée, nous avons une vraie capacité à l’agilité, à la rapidité. Car, en Asie, implémenter une stratégie dans les 6 mois à venir, c’est déjà trop tard.

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