Chanel Numéro 5, one of the pleasures of being a woman

Publié le par Journal du Luxe

Pascal Barragué, expert et consultant dans le luxe et la beauté, décrit les publicités marquantes du parfum Chanel Numéro 5. Une exclusivité du Club des Chroniqueurs à l’occasion de la sortie de la nouvelle campagne Chanel avec Marion Cotillard et l’approche des 100 ans du Numéro 5.

La renommée publicitaire du Numéro 5

Il y a quelques jours, la maison Chanel dévoilait son nouvel opus publicitaire pour le Numéro 5. Cet épisode publicitaire, qui met en scène Marion Cotillard, est diffusé quelques semaines avant les fêtes de Noël. Un temps fort traditionnel pour les ventes de parfums, mais également quelques semaines avant 2021, l’année qui marquera le centenaire de la création du Numéro 5.

C’est donc un timing parfait pour jeter un coup d’œil parfaitement subjectif sur la saga publicitaire du parfum le plus célèbre du monde. Et pour re-regarder quelques-uns des films qui ont fait la renommée publicitaire de ce parfum d’exception.

Deneuve par Avedon en 1976 : deux monstres sacrés dont « la plus belle femme du monde »

Commençons ce passage en revue par le portrait de Mademoiselle Deneuve, iconique « French icy blonde », par le maitre Avedon. Celle, dont le magazine Look disait en Avril 1968 qu’elle était « the world’s most beautiful woman », se livre ici à un monologue face caméra. Elle nous explique qu’elle est une femme pour qui l’amour et la séduction n’ont rien d’un jeu.

Elle va ainsi se livrer, simplement, directement : elle confesse qu’elle est une femme qui ne « joue » pas, et qui n’attend pas que l’homme qui l’intéresse se déclare. Au contraire, elle lui fait savoir sans détour qu’elle s’intéresse à lui. Bref, cette beauté classique qui nous regarde « dans les yeux » est une femme qui n’hésite pas à être l’égale de l’homme.

Au-delà du discours, étonnant, qui proclame que l’amour n’est pas un jeu, se pose la question de savoir « qui parle »… la femme ou l’actrice ? Catherine Deneuve ou un personnage qu’elle s’amuse à incarner ? Avec ce film de 1976, Chanel offre au Numéro 5 un discours sur la séduction d’une surprenante modernité. Un état d’esprit. Un caractère. Une personnalité.

La star : Ridley Scott et Carole Bouquet (1990)

Celle que Jacques Helleu découvre en regardant la télévision un soir de 1978 dans un feuilleton de Moati est devenue à la fin des années 80 un symbole international de beauté et d’élégance à la française. Carole Bouquet est l’héroine glacée de ce spot où elle incarne une femme tout à la fois déesse hiératique et trophy woman américaine. Une star froide et distante nonchalamment installée au bord de la piscine de l’Eden Roc, qui rappelle celle du film éponyme de 1979. L’histoire est toutefois ici débarrassée des références sexuelles appuyées du premier film de Ridley Scott pour le numéro 5 : on est ici dans un film lifestyle qui met en scène la vie rêvée des « rich & famous » et propose un contre-projet « à la française » à Estée Lauder. Ici, « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté »…

Le loup : la ré-écriture du conte populaire de Perrault opérée par Chanel et Besson en 1998

Pour Bruno Bettelheim, l’auteur de La Psychanalyse des Contes de Fées, le Petit Chaperon rouge symbolise la petite fille aux portes de la puberté. Dans le conte, ce personnage va être confronté au Grand Méchant Loup sur le chemin entre l’enfance et l’âge adulte. Le loup, cette bête féroce, est le symbole du prédateur sexuel, auquel elle va finir par succomber.

Dans la version Chanel, le petit chaperon rouge, incarné par l’ex-championne de natation synchronisée Estella Warren, va, aidé du Numéro 5, réussir à « mater » le loup qui se soumet à sa beauté : le Petit Chaperon Rouge est ainsi devenu une femme qui ne se laisse pas dominer – voire dévorer – par le Loup.

Chanel réinterprète ainsi l’un des contes pour enfant les plus célèbres du monde pour en faire une métaphore de la liberté de la femme, à même de décider non seulement de ses amours mais aussi de son destin. Ce film publicitaire confié à la caméra d’un Luc Besson au sommet de sa gloire (le Cinquième Élément est sorti quelques mois plus tôt) est couronné d’un Lion d’Or au Festival de Cannes de la Publicité.

Le film… Nicole Kidman & Baz Luhrmann (2004)

A l’orée du nouveau millénaire, J. Helleu a l’idée de reformer le duo gagnant du film Moulin-Rouge, le réalisateur Baz Luhrmann et l’actrice Nicole Kidman. Plus qu’un spot publicitaire, ce film se veut d’abord la bande-annonce d’un long-métrage imaginaire, au romantisme extrême.

Mais, au-delà de son romantisme, c’est également le film de la démesure. A l’orée du nouveau millénaire, Chanel veut frapper un grand coup pour continuer de faire l’événement avec le 5, vénérable parfum octogénaire mais toujours leader mondial des ventes. Ce film hollywoodien (on dit qu’il est la publicité la plus chère de l’histoire) sonne comme une déclaration de puissance.

Nicole Kidmann pour Chanel ©Baz Luhrmann / Chanel

Il retrace l’histoire d’un amour impossible, l’histoire d’une star planétaire qui rêve de s’enfuir pour vivre (une autre vie). La star c’est Nicole Kidman, une égérie longtemps disputée à Dior dit-on dans les milieux autorisés, une beauté cinématographique blonde qui fait écho à Marylin et à Catherine Deneuve. On la voit s’enfuir entre les voitures, au cœur d’une Chanel City imaginaire pour trouver refuge et amour dans les bras d’un écrivain. Le Numéro 5, symbole de liberté, devient ici l’attribut d’un romantisme échevelé.

Un format exceptionnellement long et un dispositif média tout aussi exceptionnel (ce spot fut ainsi l’unique film diffusé dans l’écran publicitaire lors de sa première diffusion) achèvent de créer l’événement : tout comme la participation active et « visible » de Karl Lagerfeld qui n’hésitera pas à se mettre en scène aux côtés de la star lors du défilé PE 2005.

On le voit à travers cet échantillon de films, le Numéro 5 de Chanel c’est aussi une épopée publicitaire unique.Le mythique parfum n’a jamais hésité à se renouveler pour emprunter de nouvelles voies : de la bande-annonce made in Hollywood au conte pour enfants revisité, du désert américain aux abords d’une piscine de la French Riviera, de Marylin à Warhol, la saga publicitaire du 5 n’a jamais été aussi intéressante que quand elle a accepté de quitter les voies faussement « safe » du conformisme publicitaire et de l’air du temps pour s’aventurer dans de nouveaux chemins… Démontrant ainsi que l’acte de création et la créativité ne doivent pas se réduire au produit, mais bien irriguer également sa communication.

Crédit à la une : ©Chanel par Jean Paul Goude

Beauté