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Consommateurs chinois : les Quatre Fantastiques

Publié le par Journal du Luxe

Quelques semaines après l’édition 2019 du Salon du Luxe Paris, Eric Briones – Directeur de la production éditoriale de l’événement et du Journal du Luxe – a interviewé en exclusivité Aurélie Plessier, Head of Strategic Planning chez Brainvalue. Au coeur du sujet : le rapport à la consommation des jeunes consommateurs chinois, et plus particulièrement les spécificités intrinsèques aux tribus qui composent cette cible d’influence.

Eric Briones : Quelles différences avez-vous détectées entre les Millennials post 90s (>20 ans) et post 80s (>30 ans) chinois, en particulier dans leur rapport au Luxe ?

Aurélie Plessier : La majorité des écrits sur les Millennials occidentaux les présente comme une génération homogène. En Chine, on observe deux générations en une. Il est primordial de distinguer les Post 90s des Post 80s. Les Millennials Chinois nés dans les années 1990, qui ont aujourd’hui une vingtaine d’années, et les Millennials Chinois nés dans les années 1980, qui ont aujourd’hui la trentaine, ne présentent pas les mêmes types de comportement, en particulier dans leur rapport à la consommation. Les Post 90s sont une cible de plus en plus intéressante pour les marques du luxe, représentant déjà 28% des acheteurs du secteur, mais aussi une cible très exigeante et versatile. Nouveaux entrants sur la catégorie du luxe car pour la plupart clients depuis un ou deux ans, ils dépensent déjà autant que la génération de leurs parents. Ils accordent une place moins importante à la marque dans leur décision d’achat et s’intéressent plus au design ainsi qu’au prix que les ainés. Leur loyauté aux marques s’affaiblit, montrant comme en Occident une volonté de papillonner librement avec 52% des Post 90s affirmant acheter occasionnellement d’autres marques de luxe que leurs marques préférées. Enfin les Post 90s chinois chamboulent l’hégémonie des marques de luxe internationales et montrent un attrait grandissant pour les marques de luxe asiatiques, en particulier chinoises.

Chiffres jeunes consommateurs chinois 2019
© McKinsey

Quel est l’état d’esprit de ces enfants du « Chinese Dream » ?

Les Post 90s à la différence des Post 80s n’ont connu en grandissant qu’une Chine en croissance. L’image d’une Chine puissante est aussi fortement véhiculée par les media, sous l’impulsion du gouvernement. Les Millennials affichent leur fierté d’appartenir à un pays influent et innovant. « Je préfère choisir des marques nationales, car la qualité des produits est bonne et j’ai envie de soutenir notre économie dans son expansion » affirme ainsi Chen, 27 ans, habitant à Guanghzhou, que nous avons rencontré.

C’est aussi la génération de tous les possibles. Ils sont conscience de leur chance sur le plan économique. Leur pouvoir d’achat est solide, grâce à un soutien financier parental très répandu. Le monde semble leur ouvrir les portes, avec des possibilités accrues de voyager en Asie et en Occident, et d’étudier à l’étranger. Ils ont la conviction qu’ils vont progresser socialement et qu’ils ont à portée de main de nombreuses opportunités pour y parvenir. Le succès des Wang Hongs (célébrités internet) fait miroiter une ascension rapide et facile, tout en accentuant une pression de la réussite déjà bien exercée par les parents et la société chinoise dans son ensemble.

Pouvez-vous nous éclairer sur les deux tendances chinoises que sont la « Toxic Chicken Soup » et, surtout, « l’Esprit de Rébellion » made in « GenZChina » ?

Depuis le lancement du livre américain Chicken Soup for the Soul en Chine il y a trente ans, les écrits sur le développement personnel ont fait du chemin, avec une ascension extraordinaire grâce aux réseaux sociaux, au point d’en devenir toxique pour des jeunes sous pression constante. On découvre ainsi des conseils, plus ou moins culpabilisateurs, allant de « 17 good habits that will lead to your success », « 13 signs you are wasting your life » à« Successful people know how to endure suffering, those who fail will only run away ».

Consommateurs chinois : guide développement personnel
Le bestseller « What is EQ? » par l’écrivain en développement personnel Li Xiaoyi

Par ailleurs, on observe en particulier chez les plus jeunes Millennials, les Post 90s, de nouveaux comportements, un semblant de vent de rébellion. Une rébellion en douceur qui signifie avant tout une prise de recul par rapport aux règles et normes imposées par la société et le gouvernement chinois. Cela se traduit par une volonté de s’affirmer en tant qu’individu avec sa propre personnalité et par de l’autodérision, tonalité que les jeunes du même âge une décennie plus tôt ne se seraient pas autorisés. Les mêmes rencontrent, comme en Occident, un très grand succès auprès de cette cible et permet de parler de sujets délicats avec humour.

Lors du dernier Salon du Luxe Paris, vous nous avez présenté rapidement les Quatre Fantastiques Chinois : Moonlight Spenders, Success Seekers, Hedonists et Young Buddhists. Pouvez-vous nous les pitcher ? Quelles sont d’après-vous les tribus dominantes auprès de la Gen Z chinoise, parmi les quatre présentées ?

Les comportements des Post 90s sont en effet loin d’être uniformes. Lors de nos études sur le terrain en Chine, nous avons pu identifier quatre grands types de comportements, quatre grandes tribus.

Deux tribus ont des comportements plus traditionnels et un rapport à la consommation tel qu’il a pu être souvent évoqué pour ce pays. Il s’agit d’un côté des Succes Seekers, des jeunes ambitieux, éduqués et travailleurs. Leur ambition est de devenir riche et de grimper l’échelle sociale. Les marques sont pour eux des faire-valoir, qui permettent d’afficher leur succès et leur progression aux yeux de tous. De l’autre côté les Moonlight Spenders, plus centrés sur leur propre personne et la satisfaction immédiate de leurs besoins. Ils vivent pour consommer et sont attirés par les dernières nouveautés. Leur choix de marque et de produit est motivé par un besoin profond de se distinguer.

Enfin on observe deux nouveaux types de comportement, deux nouvelles tribus : les Hédonistes et les Young Buddhists. Le comportement hédoniste des jeunes adultes est apparu en Chine il y a quelques années déjà et marque une rupture par rapport aux générations précédentes obsédées par le succès et la réussite matérielle. Leur statut actuel parvient à les satisfaire et beaucoup ont du mal à concevoir comment ils pourraient faire mieux que leurs propres parents aujourd’hui. En conséquence ils veulent profiter de la vie et être heureux. Ils préfèrent voyager, découvrir le monde et de nouvelles cultures, plutôt que faire du shopping. Leur choix de marque est motivé par la qualité et la satisfaction qu’ils tirent de l’usage des produits, plus que la marque et sa valeur sociale. Enfin, les Young Buddhists sont une tribu émergente qui rejette à la fois le concept d’accumulation des biens – principe souvent cher à leurs parents- et les diktats de la société. Ils souhaitent avant tout s’extraire de la course à la réussite. Ils cherchent à être heureux et font preuve d’un flegme qui a pu faire sourire sur les réseaux sociaux. Le compte WeChat Xin Shixiang donne quelques exemples de cette philosophie de vie : en couple un Young Buddhist dirait « tu décides, tout me va », quand il s’agit de commander en ligne « je ne sais pas de quoi j’ai envie, commande le même plat qu’hier », et au travail « je veux avant tout arriver sain et sauf au bureau et partir tranquillement en fin de journée ». Ils ont donc des besoins simples. Plus pragmatiques et responsables dans leur consommation, ils rejettent les marques show-off et préfèrent acheter moins mais mieux.

Cette diversité des comportements invite donc les marques à faire des choix de ciblage précis, afin de satisfaire au mieux ces jeunes clients prometteurs.

A propos : Brainvalue, société d’études marketing et de planning stratégique, accompagne les marques dans leur développement à l’international, en particulier depuis plus de 10 ans en Asie avec le soutien de sa filiale chinoise implantée à Shanghai et à Hong Kong.

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