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Que retenir de l’émergence et du succès de nouvelles marques de soins de la peau ?

Publié le par Journal du Luxe

Le Club des Chroniqueurs du Journal du Luxe présente en exclusivité la chronique de Pascal Barragué, publicitaire expert de l’univers du luxe et de la beauté.

Pascal Barragué Club

Comment les marques de soin de la peau nouvellement créées construisent-elles leur succès ? Quelle stratégie gagnante mettent-elles en place en matière de plateforme de marque ? Leur succès a beaucoup à voir avec les engagements clairs qu’elles prennent et avec le contrat qu’elles passent avec leur clientèle.

On lit ces jours-ci une prose abondante sur le « monde d’après » et autre « new normal », destinée à nous éclairer sur le mystérieux monde « post-covid 19 »… On sait pourtant depuis Tocqueville et « l’Ancien Régime et la Révolution » que les ruptures sont bien souvent de façade et que les révolutions dissimulent fréquemment la continuité. Cette vérité historique est aussi économique et « marketing ». Le monde de la beauté et du soin de la peau n’y échappe pas. Pour mieux dessiner le destin du skincare de demain autant jeter un coup d’œil dans le rétroviseur…

Que peut-on y voir ? De nouvelles marques de skincare qui connaissent depuis quelques années (ou parfois simplement quelques mois) un succès croissant. Des marques qui nous disent quelque chose du consommateur d’aujourd’hui et de demain. Qui nous éclairent sur l’époque. Certaines d’entre elles vont continuer à croître et à attirer de plus en plus de consommateurs. Autant de raisons de les examiner d’un peu plus près pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui et de demain.

Le soin de la peau, une catégorie qui n’a cessé d’innover.

Le soin de la peau, malgré une image moins créative et moins fun que le make-up ou le parfum, n’a pas manqué d’inventivité ces dernières années : l’avènement de la k-beauty, les « bridge-products », le bio, le vegan, etc : autant d’innovations couronnées de succès qui ont bousculé les usages et le business au niveau mondial. Que retenir de cette créativité foisonnante ? 

©Fabien Sarazin /Opos

De nouvelles marques « engagées » 

La beauté, et tout particulièrement le skincare, sont aujourd’hui à l’avant-garde du combat pour plus de durabilité et plus de protection de l’environnement : moins de composants nocifs, des ingrédients de plus en plus naturels, des packagings recyclés, ou recyclables ou bio-dégradables : voici quelques sujets qui concernent aujourd’hui toute l’industrie. Les marques les plus visibles ont su faire de ce « new deal » un véritable engagement de marque, un manifeste revendiqué ou plutôt brandi haut et fort, à l’instar de The BeautyCounter. Ou encore de Biossance qui se définit fièrement comme le leader de la Clean Beauty (« We formulate clean, nontoxic skincare using the highest standards in the industry through our commitment to transparency and our blacklist of 2,000+ toxic ingredients »).

Des marques dotées de spécificités fortes, à l’équity ultra-affirmée 

Tout se passe comme si, face à une offre pléthorique, les marques n’avaient d’autres choix que d’affirmer leur identité de manière très visible et « loud ». Plus possible de simplement se définir comme une marque « clean » ou bio. Pour émerger chez les distributeurs et dans la tête des clients, il faut désormais revendiquer un concept de marque très lisible et clairement revendiqué, qui agrège en général plusieurs axes stratégiques :

  • La preuve de l’efficacité : elle fait l’objet d’un story-telling qui se concentre sur les actifs utilisés. On peut par exemple mettre en avant un nouvel actif « transversal » à la gamme (c’est à dire présent dans tous les produits) qu’on souhaite « propriétaire », comme le squalane végétal chez Biossance (un actif huileux au toucher soyeux non gras possédant un fort pouvoir hydratant). Cet actif serait par ailleurs paré de nombreuses vertus pour la peau mais aussi pour la planète (il est issu de la canne à sucre, un produit renouvelable dont la culture ne nécessiterait pas beaucoup d’eau). On peut également mettre en avant plusieurs ingrédients, chacun connu pour des propriétés particulières en lien avec le problème traité. C’est ainsi que SkinProud n’utilise que des actifs très connus : le rétinol (Recharge – Sérum de nuit au rétinol 0,5%); la vitamine C (Bright Boost – Sérum multi-vitamines 2% vitamine C); l’acide hyaluronique (Smooth Talk – Sérum gel avec 2% d’acide hyaluronique)
  • La destination peau : là encore on peut tout envisager, à condition d’intégrer de manière convaincante cette dimension dans son storytelling de marque : Skinproud met en avant une vision universaliste de la peau, et s’adresse donc à toutes les peaux, quel que soit le genre de l’utilisateur ; Biossance, fort logiquement, s’adresse en priorité aux peaux sèches, son ingrédient-clé étant reconnu pour ses propriétés hydratantes.

Affirmer son accessibilité tout en restant « pointue » et cool

Au-delà de ces discours « produit », scientifiques, ces marques émergentes n’hésitent plus à porter un discours fort sur l’accessibilité et le prix. Elles savent être abordables sans paraitre cheap ; elles affirment leur accessibilité comme faisant partie intégrante de leur « coolness ». On a beaucoup écrit et analysé le segment des produits et marques très haut de gamme, « hyper-luxe » : La Prairie, La Mer, Lancôme Absolu, Dior Prestige et L’Or de Vie, l’Orchidée Impériale de Guerlain…. Toutefois il semblerait qu’on puisse désormais affirmer une accessibilité prix sans perdre en modernité ni attractivité.

The Ordinary, depuis son lancement, a par exemple mis en avant son souci d’intégrité, de simplicité et de transparence. Et dénoncé certaines pratiques fréquentes dans l’industrie du soin, dont des prix injustifiés pour des actifs et des technologies devenus « mainstream ». La marque propose donc des sérums à partir de 6 euros ; le site Nocibé France classe ainsi 29 références à moins de 10 euros, 16 références entre 10 et 30 euros et un seul produit au-dessus de 30 euros. Quant à SkinProud, ses prix de lancement en Angleterre sont tous inférieurs à 15£.

Vers l’émergence d’un skincare de qualité et « low-cost » ?

L’hypothèse d’une prochaine re-segmentation de la catégorie avec l’apparition et la croissance d’un segment « petits prix » n’est donc pas irréaliste. Comme ce fut le cas du make-up qui fut bousculé il y a quelques années par l’apparition et le succès d’une offre dite low-cost (pensez par exemple à Kiko Milano). Et comme ce fut également le cas dans la mode avec la création d’un segment intermédiaire dit « luxe accessible » incarné par des marques comme Zadig & Voltaire ou the Kooples.

En guise de conclusion, on peut donc souligner le fait que, pré ou post-covid, l’époque aime, voire plébiscite, les marques engagées qui affichent une cause, un combat, un purpose. Et on peut également noter qu’on peut désormais être branché, « cool » et pas cher, une bonne nouvelle concernant le fameux monde d’après.

© Fabien Sarazin /Opos

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