Le futur de l’influence existe déjà : il est chinois.

Publié le par Journal du Luxe

Le Club des Chroniqueurs du Journal du Luxe présente en exclusivité la nouvelle chronique d’Eric Maillard, consultant en communication en entreprises et en agences depuis 25 ans. Le thème ? Un tour d’horizon de l’influence en 2020 et de son futur asiatique.

Le commencement d’une nouvelle influence ? 

Alors que l’impact des influenceurs digitaux pour les marques a été largement remis en question en 2019, les tendances qui s’expriment en ce début d’année 2020 semblent prédire une transformation en profondeur de l’influence sur les réseaux sociaux. Les stars du social, souvent appelées Hyper Influenceurs, ne seraient bientôt plus qu’un souvenir. Depuis quelques semaines, on a d’ailleurs vu certains de ces influenceurs « A-list » prendre du recul, annoncer des pauses, pour des raisons plus ou moins lisibles.

Dans le même temps, les plateformes semblent chercher à rapatrier le business qui se cache derrière. A titre d’exemple, Instagram, sacrée plateforme de l’influence pour le pire et le meilleur en 2019, a déployé la suppression des compteurs de likes depuis novembre 2019. Officiellement pour privilégier la qualité du contenu et sortir d’une course aux likes destructrice de valeur; plus certainement pour anticiper le lancement de son offre « collaborations de marque » annoncée en décembre, se réservant ainsi l’exclusivité d’informations dont des tiers ne disposeront plus.

Ces évolutions contribuent à perdre un peu plus les marques, notamment dans les secteurs de la mode, de la beauté et du luxe. Et pourtant, le futur de l’influence existe sans doute déjà, mais ailleurs. Et si l’hyper-influenceur devait accepter son statut de super-vendeur pour continuer à exister ?

L’influence telle que nous la regardons

Lorsqu’il est question d’influenceurs, nous avons les yeux rivés sur l’occident, dominé par les américains et notamment les Kardashian/Jenner qui cumulent à eux-seuls presque 1 milliard de followers. L’hyper influence n’est pourtant pas en reste du côté de l’Europe, notamment dans les univers de la mode et de la beauté.

Chiara Ferragni, styliste italienne rendue célèbre par son blog mode il y a 10 ans est aujourd’hui à la tête de près de 18 millions d’abonnés sur Instagram et d’un véritable business. Elle a marqué l’année dernière avec son ultra-sponsorisé mariage avec le rappeur italien Fedez. Dior, Prada, Lancôme et Alberta Ferretti étaient aux côtés de la mariées, Supreme et Diesel habillaient le marié. Un documentaire diffusé sur Amazon Prime Vidéo lui a été consacré en 2019.

Mais les autres exemples sont nombreux…

Gianluca Vacchi, playboy italien, millionnaire finalement autant criblé de dettes que de followers (14,5 millions sur Instagram) reste une référence. La make-up artist hollandaise Nikkie de Jager est plus connue sous le nom NikkieTutorials avec 13 millions d’abonnés Instagram accros à ses tutos maquillage. Zoe Sugg, auteur britannique, réunit près de 5 millions d’abonnés sur YouTube et le double sur son coloré compte lifestyle Instagram. Felix Kjellberg, suédois plus connu sous le nom de PewDiePie, est le deuxième YouTuber au monde mais dans une catégorie plutôt gamer. Ses plus de 100 millions d’abonnés semblent par ailleurs le fatiguer puisqu’il fait partie de ceux qui ont annoncé une pause en 2020. Mais près de 21 millions d’abonnés Instagram continueront sans doute à entendre parler de lui. Leur communauté engagée et active leur permet de prétendre à des rémunérations substantielles ($70,000 pour PewDiePie à relativiser face au $1,266,000 pour Kylie Jenner selon Hopper).

En France, avec respectivement 13,8 millions et 13,4 millions d’abonnés sur YouTube et plus de 5 millions sur Instagram, les influenceurs Squeezie et Cyprien ne sont finalement pas si mal placés. Ils ont certes, comme PewDiePie, lancé avec succès leur propre marque de vêtements mais restent sur un positionnement humour et gamer. Pour les marques fashion, on descend sous la barre des 5 millions avec des influenceuses lifestyle telles que EnjoyPhoenix (4,8 millions Insta) et Caroline Receveur (3,3 millions).

Problème : ces influenceurs ont de plus en plus de mal à convaincre sur leur capacité d’engagement et donc de prescription pour faire du business. Les nano-influenceurs, qui se contentent de quelques milliers de followers, seraient plus engageants et meilleur gage de performance pour le futur. Certes, le premier YouTuber est en Inde : T-Series affiche 121 millions d’abonnés. Et on pourrait penser, en regardant un peu trop vite, que les KOLs (Key Opinion Leaders) ou Wanghong en Chine ne sont qu’une dénomination locale pour parler de nos bons vieux Hyper Influenceurs : des célébrités issues des médias sociaux. La réalité est tout autre.

L’influence qu’il faut regarder

Vous n’avez jamais entendu parler de Zhang Dayi, Mr. Bags, Li Jiaqi, Aikeli Li ou Becky Li ? Ils comptent pourtant parmi les influenceurs les plus puissants au monde. Âgés en moyenne de 22 ans, ils sont suivis par près de 10 millions d’abonnés en majorité masculins. Ils ne sont ni chanteur, ni acteur, ni sportif et pourtant ils sont célèbres et riches en gagnant plus de 130.000 euros par an grâce à leur activité en ligne. Leur secret ? : dès qu’on les voit, ils sont en train de vendre !

Ils se différencient de nos hyper-influenceurs avant tout par leur volonté permanente de montrer une image de proximité, de simplicité et d’accessibilité aux antipodes des vies de rêves presque irréelles assumées sur nos réseaux sociaux occidentaux. Ils partagent également la particularité d’afficher une expertise, une hyper-spécialisation, quitte à ne s’intéresser qu’aux rouges à lèvres ou aux sacs à main. Une démarche à l’opposé de l’approche lifestyle généraliste très en vogue en occident.

Mais surtout, sur leurs réseaux sociaux (WeChat, Weibo, Youku…), associés à la puissance des plateformes de e commerce telle que T-Mall ou Taobao (deux sites du géant Alibaba), ce sont avant tout des vendeurs qui s’assument et proposent ni plus ni moins qu’une version modernisée de nos télé-achats. Pour des millions de fans hyper réactifs, connectés au même endroit au même moment, ils proposent des produits de grandes marques internationales ou locales, souvent en collab et en séries limitées, de plus en plus pour des lignes qu’ils créent. Leur format roi est le livestream dont les célèbres opérations « See now, buy now » de WeChat ont fait leur marque de fabrique.

C’est ainsi que Becky Li, a vendu 100 Mini Cooper à 45.000 € chacune, en 5 minutes. Mr Bag a généré un business de 160.000 € avec 80 sacs co-designés avec Givenchy vendus en 12 minutes et 445.000 € de sacs Tod’s en 6 minutes. Les marques – Longchamp, Chloé, Dunhill…- se pressent depuis en première page de son site Internet. Li Jiaqi, surnommé « lipstick brother », bat ses propres records de ventes de rouges à lèvres dans des livestreams de quelques minutes, le dernier en date serait de 15.000 ventes en 15 minutes en juin 2019.

Le phénomène est suffisamment puissant pour qu’il intrigue de notre côté du monde. Zhang Dayi et ses revenus faramineux intéressent la presse internationale qui la compare souvent à Kylie Jenner. Le livestreamer Li Jiaqi, en plein dans la tendance du maquillage pour hommes en Chine, a eu les honneurs d’un portrait sur Arte quand le spécialiste des sacs à main Mr. Bags est étudié par Vice.

On attend toujours leur équivalent en Europe. La rencontre de l’expertise des très experts blogueurs, en vogue en France au milieu des années 2000, avec la force de frappe des Instagrameurs – YouTubeurs pourrait-elle prendre forme en 2020 ?

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