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Quand le Luxe s’attaque au territoire du Cool

Publié le par Journal du Luxe

Consultant décryptant les grandes tendances de la consommation, Dominique Cuvillier observe les comportements pour mieux prévenir ce qui se jouera demain dans le luxe. À quelques jours de son intervention au Salon du Luxe Paris, l’auteur du livre « Le Triomphe du Luxe Cool : De l’hyperluxe à l’hypermarché » répond en exclusivité aux questions d’Eric Briones, Directeur de la publication du Journal du Luxe.

Eric Briones (E.B) : Dominique, pouvez-vous nous définir ce qu’est le luxe cool ?

Dominique Cuvillier(D.C) : Ce qui prédomine, c’est la perception des clients qui ne sont plus attachés à un luxe statutaire guindé par un protocole hérité de l’aristocratie européenne, mais recherchent des normes moins compassées, plus libres, plus élastiques pour mettre en valeur leur singularité. La consommation frénétique et désincarnée laisse place à une consommation plus « philosophique » où la notion de bien-être s’infiltre partout : pour soi, pour les autres, pour la planète, pour la société… C’est pour cette raison qu’il ne faut pas réduire la notion de cool à une décontraction hédoniste, elle porte en elle les germes d’une société de consommation qui change et tend vers des valeurs plus humanistes. 

E.B : À partir de quelle période, le luxe s’est-il attaqué au territoire du cool, quel a été l’élément déclencheur, le créateur à l’avant-garde du mouvement ?

D.C : Après les horreurs de la première guerre mondiale, les années folles ont été la première période « cool » d’euphorie créatrice et libératrice porteuse d’une grande liberté et de modernité. Le krach boursier de 29 y mettra hélas un terme violent. C’est aussi à cette période que Coco Chanel va imposer sa vision de la mode avec une matière prolétaire mais confortable et souple : le jersey (du streetwear avant l’heure). Chanel a été l’incarnation du cool libérateur pour les femmes qui étaient alors engoncées dans des vêtements de parade qui entravaient leur épanouissement. Elle a anticipé le rejet de représentation des femmes dans la société où elles ne voulaient plus être objet de la mâlitude dominatrice mais sujet d’une coolitude émancipatrice.

E.B : L’émergence du luxe cool est-il une conséquence de la prise de pouvoir économique du consommateur chinois sur le secteur ?

D.C : C’est avant tout la conséquence d’une société qui est de moins en moins descendante et de plus en plus ascendante, métissée par les multiples singularités qui la composent, une société de consommation où les clients ont pris le pouvoir. Pour autant, les consommateurs chinois, sans être une véritable avant-garde, accélèrent la façon dont on consomme le luxe là-bas aujourd’hui et ici demain. Les Chinois désacralisent le rituel d’achat d’un produit de luxe : ils sont totalement connectés au monde (on recense 1,5 milliard d’abonnements mobiles en Chine) et communiquent énormément via les messageries instantanées pour y faire des achats rapides de produits de luxe, entre autres. Le social commerce y est beaucoup plus élevé qu’en Europe de l’Ouest ou aux Etats-Unis.

E.B : Peut-on utiliser cette valeur « cool » comme une véritable boussole pour le pilotage stratégique d’une marque ?

D.C : Une marque, quel que soit son secteur, doit être en phase avec ses clients, avec ses marchés et avec les rythmes de l’époque. Le cool est en effet une sorte de boussole pour orienter la marque, à condition qu’elle sache se l’approprier, l’adapter à son propre territoire, sans que ça devienne un leurre marketing pour faire « jeune et moderne ». Car ce qui sous-tend derrière la notion du cool est de croire qu’il est un attrape-millennials facile et efficace. Évidemment, les plus jeunes sont dans la ligne de mire des marques de luxe, mais il ne faut pas négliger les quinquas et sexas pour qui le cool évoque vitalité et optimisme, bien-être et lâcher-prise. Ces générations se sont libérées des constructions sociales et culturelles qui ont dicté les comportements humains au cours des dernières décennies.

E.B : Le luxe cool peut-il avoir une influence sur les violences urbaines qui touchent les magasins de luxe à Paris et au-delà du radicalisme des réseaux sociaux ?

D.C : La chasse aux riches est un désolant sport national. La France n’est pas le plus beau pays du monde, si tant est qu’il existe, mais il est extraordinaire par son histoire, sa richesse, la beauté et la diversité de ses paysages, sa culture… Ce pays ne serait pas ce qu’il est, sans des élites visionnaires qui ont créé et promu une certaine idée française du beau, du bon et du bien. Le secteur du luxe, fleuron de notre économie, est une industrie de l’excellence française qui doit demeurer élitiste, tout en sachant être populaire pour se rendre accessible. Il faut donc résister aux extrémistes vivant dans l’obscurantisme sectaire qui arase les différences par le bas. Il ne faut jamais oublier que le luxe est aimable (au sens : digne d’être aimé), car il rend heureux.

E.B : Toutes les marques de luxe sont-elles solubles dans le cool ?

D.C : Le cool n’est pas une fin en soi. Pour autant, toutes les marques ont intérêt à plonger dans son bain vivifiant, non pas pour se dissoudre, mais pour assouplir les règles qu’elles croient s’imposer parce qu’elles appartiennent au secteur du luxe. Dans mon livre, j’ai clos un chapitre avec cette formule : « une marque cool est une marque qui n’ignore rien de la retenue et se relâche pour embrasser les mythes contemporains de la posture sociale : une marque qui claque la bise mais sait encore faire le baisemain ». En un mot, une marque qui sait demeurer élitiste et être populaire.

Retrouvez Dominique Cuvillier et Eric Briones sur la scène du Salon du Luxe Paris le 09 juillet prochain, Salle Wagram.

Crédit à la Une : © Pierre Antony Allard

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