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Le Made in Africa, un luxe responsable ?

Publié le par Journal du Luxe

Le Club des Chroniqueurs du Journal du Luxe présente en exclusivité la nouvelle chronique de Ramata Diallo, consultante en stratégie marketing au sein de Fashion Consulting Paris.

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Valoriser l’artisanat local

©Sistersofafrika

C’est dans la ville de Bargny à une trentaine de kilomètres de Dakar, la capitale du Sénégal, que l’on peut retrouver Mère Diouf et son équipe de teinturières. Ici, ces femmes ont constitué un véritable laboratoire de couleurs, testant différents supports, différents dosages pour proposer des tie and dye uniques. Le processus créatif comporte plusieurs étapes qui se répètent inlassablement depuis des générations. D’abord, il faut tremper le tissu brut dans un premier bain de préparation à la teinture. Une fois sec, le tissu est noué selon des techniques spécifiques pour créer des motifs linéaires, circulaires ou aléatoires. Ensuite, le tissu noué est plongé dans des bains successifs pour créer l’alternance de couleurs caractéristique du tie and dye. La dernière étape consiste à sécher et repasser le tissu en prévision du rendez vous avec le designer ou le marchand d’étoffes qui a passé la commande. Les ateliers de traitement de tissus sont généralement à ciel ouvert. Le rythme de travail varie selon les saisons et l’activité est concentrée pendant la saison sèche. Teinturiers et designers travaillent en collaboration pour créer des variantes uniques en édition limitée. Plusieurs essais sont réalisés pour valider un prototype avant le lancement de la production. 

Hélène Daba, la cofondatrice de la marque Sisters of Afrika fait régulièrement le voyage entre Dakar et Bargny pour passer ses commandes de tissus. Le tie and dye est ancré dans l’adn de la marque qui revendique le choix de ce savoir-faire artisanal du Sénégal comme un élément de différenciation. Cet engagement à proposer des pièces de collections faites à la main en série limitée est un choix de positionnement haut de gamme audacieux, qui séduit les consommatrices au delà des frontières du continent. En mai 2019, Beyoncé Knowles portait le modèle iconique de la marque, la « Flora », une robe cache coeur flamboyante, également vue sur Fatou Ndiaye la blogueuse aux 140K abonnés sur Instagram connu sous le pseudo BlackBeautyBag. Ces collaborations avec des personnalités influentes ont une portée qui va au-delà de la promotion de marque. Elles contribuent au rayonnement du Made in Africa à travers le monde.

Créer un business model performant et responsable

Née en 2013, Sisters of Afrika est distribuée dans des concept stores situés dans des grandes villes d’Afrique telles que Bamako ou Abidjan. La marque dispose également d’un site internet qui permet aux potentiels clients basés hors du continent d’acquérir des pièces de collection made in Africa. À Dakar, le showroom/boutique/studio photo est situé sur l’avenue Cheikh Anta Diop. L’espace est aménagé de façon à pouvoir réaliser des prises de mesure et proposer des retouches aux consommatrices. Ce point de vente a également été pensé pour la création de contenus pour les réseaux sociaux et le site internet. 

Les collections proposées en séries limitées sont régulièrement renouvelées. La détermination du volume à produire ne suit pas une logique de consommation de masse. Il est plutôt question de résoudre l’équation entre les capacités de production et le désir d’unicité d’une consommatrice de mode exigeante. Ainsi, les entrepreneurs du continent maîtrisent la stratégie des drops pour inviter les consommateurs potentiels à anticiper l’arrivée des nouveautés en boutique, sur les réseaux sociaux ou via WhatsApp. Le produit sold out est célébré comme une réussite. Ces patrons de marque ne calculent pas le manque à gagner lié à une rupture de stocks. Ils se félicitent de pouvoir financer leur besoin en fond de roulement. Chaque étape du développement de la marque est financée par le consommateur. Les capitaux des fonds d’investissement destinés aux startups du continent privilégient le digital, la finance, l’agrobusiness. Les premières ressources des patrons de marque de mode sont donc des fonds propres investis dans l’achat des tissus, le recrutement d’une équipe, l’ouverture d’un atelier et ou d’un showroom. 

L’autofinancement est à la base du développement du business. Ces chefs d’entreprise sont experts en structure des coûts et ajustent l’allocation de leur budget fonction des rentrées d’argent. Ce sont des entrepreneurs créatifs pragmatiques qui cherchent à créer un business model performant et responsable. Chaque mois, le challenge est de vendre l’intégralité de la production proposée en « prêt à retoucher ». Il faut aussi répondre aux commandes sur mesure dans des délais qui varient selon la complexité des modèles demandés. La qualité du service est la clé de voûte de ce business qui a su garder les valeurs d’un commerce de proximité. Chaque pièce vendue garantit la sécurité de l’emploi aux maître-tailleur, aux teinturiers, à chacun des acteurs de la chaîne. Au fil des mois et des années de développement, la régularité des revenus permet à l’industrie de la mode de se structurer localement.

Une chaîne de valeur en construction

Les entrepreneurs puristes qui se revendiquent « 100 % Made in Africa », développent des collections dont les matières sont fabriquées sur le continent et contribuent ainsi à préserver les savoirs-faire en considérant l’intégralité de la chaîne de valeur. La maîtrise du processus de fabrication est centrale dans la structure des entreprises de mode en Afrique. C’est un défi créatif permanent. La marque Sisters of Afrika a récemment mis en vente sa première collection de pièces dont le coton est sourcé au Sénégal. 

L’immense usine de production de coton est situé à Kaolack à 200 kilomètres au sud-est de Dakar. Hélène Daba y a fait le déplacement pour sélectionner les tissus de sa collection 100 % made in Sénégal dont les premières pièces sont déjà sold out. Pour réussir ce challenge, il a fallu prévoir des investissements en recherche et développement et travailler en étroite collaboration avec les différents acteurs la chaîne, producteurs de coton locaux, teinturiers, maître-tailleur. Les patrons de marque du continent sont des managers de projet. Il cumulent habilement les mandats tantôt aux remerciements à la clôture d’un défilé, tantôt aux essayages avec leurs clients fidèles. tantôt dans les ateliers pour vérifier la production. Ils travaillent chaque jour à structurer une industrie encore trop chahutée par la concurrence extérieure. Les importations de vêtements d’occasion, la disponibilité dans les marchés d’une large sélection de tissus provenant du monde entier sont des éléments perturbateurs. 

Dans un contexte aussi défavorable, les entrepreneurs engagés dans la valorisation de l’artisanat local appréhendent le made in Africa par paliers. Ils confectionnent exclusivement sur le continent. Ils sourcent des matières provenant de Chine, d’Inde ou de Turquie pour les transformer sur le continent, élaborant ainsi un processus créatif riche mêlant savoir-faire traditionnel et matériaux industriels. Lentement mais sûrement, ils structurent une véritable chaîne de valeur pour développer les capacités de production de tissus localement et proposer des collections 100 % made in Africa. Une rareté recherchée à prix accessible qui rémunère correctement chacun des intervenants du processus de fabrication. Le défi du made in Africa garantit une traçabilité des processus de fabrication qui rassure un consommateur averti de plus en plus exigeant.

Crédit à la Une : ©Sisters of Afrika

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