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Franck Malègue adapte le business model des cosmétiques au prêt-à-porter

Publié le par Journal du Luxe

Depuis 6 ans, la maison éclectic propose des vestes et des manteaux issus du vestiaire masculin. Franck Malègue, fondateur de la marque, nous présente son concept d’Active Tailoring sur lequel il fonde son business model, sa conception de la mode ou encore les perspectives d’avenir de sa société. Il nous reçoit dans sa nouvelle boutique installée au 17 rue Marbeuf.

 

Journal du Luxe : Franck Malègue, qui êtes-vous et qu’est-ce qu’est éclectic ?

Franck Malègue : Bonjour. Initialement, je viens de l’univers des cosmétiques, puis j’ai évolué dans le monde du luxe avant de créer ma marque, il y a 6 ans. Ce démarrage par les cosmétiques n’est pas anodin aujourd’hui, puisque j’adapte leur business model à celui du prêt-à-porter, via le concept d’Active Tailoring.

L’Active Tailoring consiste à détourner des matières high-tech issues du monde du sport que j’amène dans le travail du maître tailleur.

Une grande partie de ma réflexion se concentre sur la matière. Soit je détourne des tissus techniques déjà existants et destinés à des usages sportifs et parfois militaires. Soit nous les faisons développer de façon exclusive grâce à un assemblage de fibres.
Nous réalisons aussi énormément d’expérimentation. Le travail se veut nécessairement empirique car on ne peut pas prévoir comment ces matières nouvelle génération vont réagir. Chacune répond différemment selon les étapes de fabrication. Certaines vont rétrécir, d’autres vont s’étendre. Plus que pour toute autre marque de prêt-à-porter, la phase de prototypage est dès lors primordiale.

 

Pardessus composé d’un mélange de laine et cachemire, associé à une doublure en microfibres
Crédit photo : éclectic

 

JDL : Peut-on ainsi dire que vous pensez d’abord le tissu avant la conception du vêtement lui-même ?

Franck Malègue : En effet, j’étudie les tissus et leurs fonctionnalités et évalue s’ils sont adaptables ou non pour des vêtements. Ensuite, j’expérimente. Toute cette phase de développement de produits représente un cycle de 6 à 18 mois.

Nous ne pouvons pas développer nos produit dans un contexte de fast fashion.

Pour réaliser ce projet d’active tailoring, j’ai dû nécessairement penser un business model différent. Mon inspiration de la cosmétique a été évidente. En effet, dans ce domaine, et principalement en Skin Care, on investit beaucoup de temps dans la recherche et le développement. Une fois sa molécule ou sa crème minutieusement mises au point, nous pouvons les mettre sur le marché aussi longtemps qu’on le veut.
Je suis cette même logique avec mon vestiaire. Je propose une collection permanente évolutive composée de 70 ou 80 produits, où, à chaque saison, 15 modèles viennent en remplacement de quinze autres. Les pièces permanentes continuent toutefois d’évoluer. Je les adapte au fur et à mesure, en les réajustant et en les améliorant, à l’instar d’une crème.

Notre business model n’a donc rien à voir avec celui du prêt-à-porter. Etant en collection permanente, nous ne pratiquons pas de soldes, ce qui me permet de présenter le meilleur rapport qualité/prix toute l’année et de montrer ainsi que l’artisanat n’est pas nécessairement un luxe. En effet, j’essaie de proposer des produits qu’un client du luxe sera ravi de s’offrir mais je m’adresse également à un client qui dispose d’un budget plus réduit. Pour accéder à une pièce plus durable, beaucoup acceptent aujourd’hui de débourser 100 ou 200 euros de plus.

 

Caban demi-croisé en maille de laine technique
Crédit photo : éclectic

 

JDL : Qu’en est-il de votre modèle de distribution ?

Franck Malègue : Nous ne faisons que du retail. Nous ne vendons que dans nos points de vente car nous ne sommes pas dans le système saisonnier de la mode. De plus, cela nous permet d’expliquer le produit au client final, en évitant tout intermédiaire entre l’atelier et lui dans l’optique de donner le meilleur rapport qualité/prix.

 

JDL : Cela impacte également votre rapport avec vos clients…

Franck Malègue : Oui, notre modèle crée davantage de proximité avec le client. En s’adressant directement à lui, nous sommes à même d’optimiser le conseil en boutique. Lorsqu’un client choisit une pièce, nous mettons à sa disposition toute notre expertise pour aboutir à un fitting impeccable. Grâce à notre service de demi-mesure, nous allons même au-delà du concept de prêt-à-porter. A l’aide d’un logiciel, nos artisans italiens peuvent adapter un patron à la morphologie du client dans un délai de quatre semaines.
Le service client étant crucial pour nous, nous avons également développé le « home shopping ». Nos conseillers tailoring se déplacent, à Paris ou en proche banlieue, chez les clients n’ayant pas le temps de se rendre dans un de nos points de vente. Nous étudions leurs besoins par téléphone et leur proposons d’essayer 3 ou 4 modèles sur leur lieu de travail ou chez eux.
Nous proposons aussi aux hommes de présélectionner les pièces via notre site web et de transmettre leur vestiaire à nos conseiller afin d’optimiser leur session d’essayage en boutique.

Notre approche de l’expérience client est différente de celle que l’on trouve dans les multimarques. Il s’agit de donner une place privilégiée au conseil sur les produits.

 

JDL : Nous sommes aujourd’hui dans votre nouvelle boutique rue Marbeuf, que pouvez-vous nous en dire ?

Franck Malègue : Paris est très segmentée. Les gens vivant dans l’ouest parisien estiment que le Marais est bien trop loin, et inversement. Pour ma part, j’ai choisi de commencer dans le Haut Marais que je vois comme l’épicentre créatif de la capitale. Nos premiers clients étaient des architectes ou des galeristes. Par la suite, nous sommes arrivés au Bon Marché, auprès d’une clientèle plus classique, composée d’hommes d’affaire ou en professions libérales. Nous n’arrivions néanmoins pas à capter la clientèle de l’ouest de Paris. La rue Marbeuf, véritable destination de mode masculine, finit donc ce triangle parisien. Cela nous permet d’accéder aux hommes travaillant dans le 8ème arrondissement et également la clientèle des palaces, à la fois asiatique, russe, américaine et anglo-saxone. A présent, notre objectif principal se porte sur le développement à l’international. Un processus d’autant plus naturel que j’ai vécu 25 ans à l’étranger.

 

JDL :  Nous avons pu voir que vous avez prévu d’installer une boutique à New York. Pourquoi s’implanter aux États-Unis ?

Franck Malègue : C’est une des villes dans laquelle j’ai passé le plus de temps. Elle semble présenter une influence inconsciente sur ma créativité puisque nos produits plaisent aux Américains. Aujourd’hui, ils représentent 20% du chiffre d’affaires de notre boutique rue Charlot. Les New-Yorkais ont été les premiers à avoir instauré le sportswear dans le urban wear. Je me rappelle, lorsque je vivais à New York, que les secrétaires américaines arrivaient au travail en sneakers et cachaient leurs talons sous leur bureau ou encore les hommes à Wall Street mettaient leur doudoune sur leur costume trois pièces. Aujourd’hui, ce mélange stylistique a atteint le monde entier.

Ce que j’offre, ce sont des pièces d’urban wear qui ont les fonctionnalités du sportswear.

Ça, l’Américain le comprend tout de suite. Il veut de l’élégance et des fonctionnalités, à la fois du confort et de la protection, contre la pluie ou le vent notamment. Ainsi, New York représente un point de départ, et l’idée serait idéalement d’ouvrir une boutique dans d’autres grandes villes des États-Unis tous les ans.

 

JDL : À l’instar d’une diversification géographique, nous avons vu que vous vous diversifiez également en termes de produits. Pourquoi avoir choisi de créer une collection de maroquinerie ?

Franck Malègue : Il s’agissait de produits test présentés dès 2015, à savoir des Duffle Bags (24h) et des Travel Bags (48h). J’ai d’abord voulu expérimenter avec un maître maroquinier afin d’identifier comment amener les matières de mes vestes vers le domaine des accessoires. Il était important de créer des pièces qui conservent un savoir-faire traditionnel tout en leur appliquant des tissus techniques.

A partir de ce premier travail, nous pouvons désormais envisager une ligne plus complète, prévue avant fin 2018.

sac - innovation - cuir - cordura
Duffle Bag en cordura
Crédit photo : éclectic

 

 

 

 

 

 

JDL : Dernière question. D’après les éléments que vous nous avez livrés, quelle serait votre conception de la mode ?

Franck Malègue : Je vais vous répondre au sens de la mode masculine car, selon moi, elle présente une immense différence avec la mode féminine.

La mode masculine est une approche du vêtement en fonction de son utilisateur.

L’homme a une démarche très personnelle et très réfléchie dans sa façon de s’approprier un vêtement. Des notions très pragmatiques entrent en ligne de compte, comme son mode de vie, l’endroit où il habite, la façon dont il se déplace… A mon sens, la mode masculine doit anticiper les nombreuses, et nouvelles, typologies de quotidiens des hommes du 21e siècle.

Plus d’informations : www.e-eclectic.com

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