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« Ce qu’il y a de plus riche dans une marque, c’est son aura culturelle », Patrizio Miceli, Al Dente.

Publié le par Journal du Luxe

Avec la crise actuelle, le monde du luxe doit perpétuellement se remettre en question et maintenir le lien avec sa communauté. Patrizio Miceli, Président de l’agence de communication et société de production Al Dente, nous explique l’importance de la culture au sein des marques.

Journal du Luxe : Qu’est-ce que la philosophie d’Al Dente ?

Patrizio Miceli : Al Dente est une agence qui est née suite à plusieurs missions de conseils pour Chanel. Notre façon de faire est de puiser dans la culture des maisons de luxe, afin qu’elles soient toujours aussi modernes aujourd’hui qu’inspirantes pour les générations futures. 

De la stratégie de marque, du positionnement et du branding au sens large, nous sommes devenus une agence qui conseille les maisons sur comment trouver leur vocabulaire et leur ton sur les médias digitaux et traditionnels. À force de proposer des stratégies, on nous a demandé de devenir progressivement une agence de publicité, c’est-à-dire de réaliser et de suivre la direction artistique des campagnes que nous impulsions déjà d’un point de vue stratégique. Progressivement, nous nous sommes retrouvés à définir tellement bien nos scripts de campagnes et de films que l’on s’est essayé à en réaliser. Nous avons alors créé notre boîte de production et avons intégré l’achat d’art. L’idée est de pouvoir tenir un discours avec les marques et de les accompagner jusqu’au bout dans la création d’objets de communication. 

Depuis la sortie du premier confinement, nous avons intégré dans nos nouveaux bureaux deux studios photo en interne : l’un pour les natures mortes, l’autre pour la mode. Ils nous permettent de gérer la ligne éditoriale de beaucoup de maisons, comme La Bouche Rouge ou Serge Lutens. Notre capacité de production et le fait de pouvoir shooter en interne nous redonne le temps de produire des images avec une créativité poussée. Nous sommes donc beaucoup plus efficaces aujourd’hui… et les marques s’y retrouvent énormément. 

JDL : Comment vivez-vous les crises aujourd’hui ?

PM : Pour moi, les périodes de crise sont toujours des moments d’opportunités très fortes. Les crises sont l’occasion de sortir du lot ! Avec Al Dente, nous avons cette faculté gymnastique à être autant des salariés que des entrepreneurs capables de rebondir. La difficulté de notre métier, aujourd’hui, c’est justement de se remettre en question presque tous les mois. L’exercice est devenu presque héroïque pour ceux qui s’en sortent. Mais comme je l’ai toujours dit, il y a des marques qui, en période de crise, se sclérosent, coupent leurs budgets, décident de faire profil bas et de laisser passer le temps. Elles laissent ainsi un espace de communication vierge pour d’autres qui, pour le coup, ont saisi la crise comme une opportunité et prennent alors beaucoup de parts de marché. Nous, nous poussons les maisons à retravailler les formats, à chercher l’intelligence d’autres médias qui ne sont pas exploités aujourd’hui par les acteurs du luxe. La période est au test and learn et à l’exploration de nouvelles pistes. 

JDL : Vous soulignez que les racines d’Al Dente, c’est le stratégique. En novembre 2020, quel est justement votre point de vue stratégique sur le rapport entre les clients et le luxe ?

PM : Notre concentration porte tellement sur les essentiels que cela justifie encore plus le fait de les « premiumiser ». Nous sommes tous obligés de devenir un peu plus écolo, de consommer moins mais mieux. Quand on se retrouve privé d’un certain nombre de libertés et d’actions, on a envie d’upgrader le peu qu’il nous reste. 

JDL : Vous avez eu une prise de parole très forte pendant le confinement sur le WWD. Vous appeliez les marques à se concentrer un peu plus sur la culture et un peu moins sur la communication produit. Pouvez-vous vous expliquer ?

PM : Nous pensons que ce qu’il y a de plus riche dans une marque, c’est son aura culturelle. Les grandes marques de luxe, mais aussi les nouvelles, sont historiquement nées d’une différence, d’un caractère, d’un point de vue. Nous avons vécu des années où, pour le bien de leur développement, il fallait que les marques plaisent au plus grand nombre. Nombre sont devenues mondiales mais certaines connexions ont, parfois, fait perdre un peu de l’identité de ces maisons… 

Aujourd’hui, c’est la différence et l’engagement qui créent la désirabilité. Avec la mondialisation émerge une clientèle éparse mais très forte, prompte à partager ses opinions. Par exemple, je ne suis pas un consommateur de la mode de Balenciaga, mais je suis un grand fan de leur parti-pris culturel. Une fois l’affirmation culturelle de la marque établie, il existe une large opportunité économique dans l’exploitation de cette aura, au-delà du produit. 

JDL : La mission de grands travaux culturels est-elle de plus en plus présente pour les maisons de luxe, demain ?

PM : C’est mon souhait et c’est pour moi la direction qui devrait être prise par les maisons de luxe. Je ne vais pas porter de l’attention à l’accumulation d’objets physiques, par contre je vais être très consommateur d’expériences culturelles. Ce n’est pas pour rien que LVMH rachète Belmond et d’autres secteurs de la vie culturelle que sont le voyage et la découverte ! Les marques de luxe ont ce rôle fantastique d’enrichir et d’offrir ce que l’argent ne peut offrir, c’est-à-dire l’accès à la culture.

JDL : On a beaucoup vu le luxe s’engager sur des causes sociétales, produire du gel hydroalcoolique, des masques ou encore effectuer des dons liés à la Covid-19. Mais finalement, il s’est moins engagé pour soutenir les artistes et la scène culturelle qui rencontre d’énormes difficultés. Est-ce que vous partagez ce point de vue ? 

PM : C’est juste. Nous avons une Ministre de la Culture mais nous avons également des marques qui, effectivement, pourraient jouer un rôle et intervenir davantage pour sauver cette culture. À titre d’exemple, une librairie du type Ofr pourrait tout à fait opérer une sélection de livres sur une plateforme d’e-commerce comme Louis Vuitton, permettant à la maison de soutenir ce genre d’institution culturelle. Ces actions solidaires permettent aussi aux marques de sortir grandies et de fidéliser encore plus leur clientèle.

JDL : Dans le secteur de la joaillerie, 2020 marque un changement d’époque notamment avec l’émergence de la notion de responsabilité dans cette filière, poussée par Richemont et d’autres. Que pensez-vous de la joaillerie responsable ? Quel est le rôle de la création pour rendre cette responsabilité riche émotionnellement et désirable ?

PM : C’est toujours un peu le même principe, celui de délivrer cette culture. Pour faire un parallèle, prenons l’exemple du vin : il y a une vingtaine ou une trentaine d’années, à l’international, les gens ne savaient pas faire la différence entre un bourgogne, un bordeaux ou un beaujolais. Comment sommes-nous aujourd’hui entrés dans cette connaissance du marché, des produits ? Parce que progressivement, les châteaux et les maisons viticoles ont décidé d’ouvrir leurs chais et de permettre aux gens de s’éduquer. Ce sont des switchs qui vont, au fur et à mesure, s’opérer dans différentes activités. Je pense que pour ce genre de choses, notre rôle est de rendre ce développement de l’éthique plus désirable, plus sexy. Cela passe par une grosse part de communication sur cette culture et, ensuite, par les notions de transparence et de créativité qui viennent tout sublimer. 

JDL : Lancel est chez Al Dente. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez redémarré la maison?

PM : Lancel est une marque qui disposait dans son ADN de choses beaucoup plus décontractées, fraîches et joyeuses, que ce que laissait transparaître sa communication ces dernières années. Ce que je trouve intéressant, c’est que nous avons réussi à faire ce parallèle entre la culture de la maison historique et une envie de fraîcheur en sortie de confinement. La réussite de cette campagne a été de trouver des ingrédients bénéfiques par rapport à la période que l’on vit actuellement. Elle a à la fois aidé Lancel à émerger auprès d’une clientèle plus jeune, plus dynamique et plus trendy, tout en racontant son histoire de maison d’une façon très intuitive. C’est notre métier : rendre moderne l’ADN des maisons en trouvant des parallèles, une justesse, par rapport à l’époque.

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