Happy birthday ! Avoir 50 ans quand on est un parfum.

Publié le par Journal du Luxe

Ou le syndrome « too old to be cool, not old enough to be cool again”. Pour le Club des Chroniqueurs, Pascal Barragué, expert et consultant dans le luxe et la beauté, nous délivre les clés de longévité de deux parfums Saint Laurent et Clinique.

Souffler les bougies.

On dit souvent que ce sont des parfums de grand-mères ou qu’ils sont trop lourds. Même s’ils sont toujours en vente et possèdent encore de nombreuses fans, les parfums nés il y a quelques dizaines d’années sont souvent jugés négativement. Examinons deux parfums qui fêtent leur cinquantième anniversaire, un cap réputé difficile à franchir, entre les exceptions vénérables (le numéro 5 célébrant par exemple son centenaire) et les nouveaux classiques (Angel, J’Adore ou le Mâle n’ayant pas plus d’un quart de siècle).

Emblématiques de la parfumerie moderne, chacun a leur manière, ces essences sont nées à l’aube des seventies. L’un est français, et est signé Saint Laurent. Le second est américain, un chypré d’outre-Atlantique : le premier parfum de Clinique.

Rive Gauche.

Rive Gauche d’Yves Saint Laurent sort en 1971. Il porte le nom qu’YSL a donné à sa toute première ligne de prêt-à-porter qu’il va commercialiser à partir de 1966 dans une boutique située Rive Gauche, rue de Tournon. Le parfum est donc une aspiration à la modernité, un clin d’œil à une ère nouvelle où la couture n’est plus réservée à des milliardaires. C’est la possibilité pour une femme libre d’accéder à un monde dont elle était jusqu’alors exclue. Concentré de bourgeoisie accessible à toutes, le parfum cible des femmes indépendantes et mondaines, à l’instar de Catherine Deneuve, souvent décrite comme la muse de cette création.

©Yves Saint Laurent

Rive Gauche est donc un parfum qui cultive un paradoxe : il cible une femme moderne mais lui propose un jus bourgeois. C’est d’ailleurs ce qui se dégage de la saga publicitaire : si la femme mise en scène est « imprévisible » (nous dit-on) ou si elle n’est pas « effacée », elle n’en reste pas moins très BCBG, parfaitement apprêtée et finalement extrêmement convenable : un condensé de chic parisien.

©Yves Saint Laurent

On lui reprochera ainsi, sans surprise et malgré son nom, d’être le parfum de la parfaite bourgeoise. Aujourd’hui, Saint Laurent Rive Gauche reste culte. Mais sa composition, qui fait la part belle aux aldéhydes (très à la mode à l’époque de sa création), lui donne ce côté un peu « daté », presque démodé.

Aromatics Elixir.

1971, année de naissance d’un ovni de la parfumerie américaine : Aromatics Elixir de Clinique. Ce premier parfum d’une marque connue pour ses soins de la peau « sans parfum » emporte les chyprés – jusqu’ici bastion de la parfumerie française – dans une toute nouvelle direction. Il inaugure également les seventies et ouvre la voie, avec le N°19 sorti la même année, des parfums comme « Halston », qui sortira en 1975.

©Clinique

Ce jus si particulier ne laisse, paraît-il, personne indifférent : on l’adore ou on le déteste. Si ses « fans » lui sont extrêmement fidèles, il est souvent vu comme un parfum lourd à porter, mais très sensuel et voluptueux. On dit que seules les vraies femmes l’aiment et certains comparent son sillage à l’odeur de l’amour. La rumeur court que les hommes deviennent fous quand ils le sentent sur une femme.

Au-delà du mythe, le parfum original a une telle force et une identité si marquée qu’il renvoie ceux qui le sentent dans une autre époque.

Comment traverser les décennies ?

L’histoire de ces deux jus cinquantenaires nous le prouve : la parfumerie s’ancre dans son époque et ses produits, et les plus emblématiques reflètent la mode – ou créent la tendance. Alors comment résister au temps qui passe et qui, inévitablement, vous démode ? Sans avoir la prétention de répondre à cette question, nous pouvons tout de même tirer une ou deux leçons de l’histoire de ces créations.

Savoir évoluer : Tom Ford ou la parisienne réinventée.

Celui qui dessine le prêt-à-porter d’YSL à partir de 2000 et qui semble faire corps avec l’époque, comprend que le portrait un poil compassé de la parisienne, proposé dans la publicité Rive Gauche, ne contribue pas à projeter la franchise dans la modernité. Tom Ford réinvente donc son image en 2003 avec l’aide du talentueux photographe Solve Sundsbo et de la mannequin britannique Karen Elson.

Exit la parisienne impeccable attablée en terrasse ! Le créateur nous propose un portrait tout en sensualité d’une femme allongée et alanguie, pendue à son combiné téléphonique et perdue dans une conversation que l’on imagine torride.

©Yves Saint Laurent

Une mise en scène très probablement inspirée d’une image forte de Guy Bourdin, datée de 1976. Guy Bourdin qui, par ailleurs, inspira cette même année le clip de Madonna, réalisé par JB Mondino pour le titre « Hollywood ». Le cliché de la bourgeoise de Saint-Germain cède alors sa place à celui d’une parisienne sexy et troublante. Ce faisant, Rive Gauche abandonne une image somme toute « 80’s » pour entrer de plein pied dans le 21e siècle et tenter de conserver toute son attractivité auprès d’une cible plus jeune.

Aromatics Elixir ou l’art du silence.

Aromatics Elixir est presque un parfum de niche. Malgré l’accessibilité conférée par la marque Clinique, il a été lancé sans grande campagne de publicité, sans égérie connue, sans storytelling publicitaire univoque. Il doit d’abord son succès à son odeur, plus qu’à un positionnement marketing et publicitaire. Nous pourrions quasiment dire que c’est cette absence de discours, « d’archétype narratif », qui explique son succès en lui permettant de séduire des personnes qui ne se projettent pas dans une « histoire » préétablie.

Il est le précurseur de toute la parfumerie de niche qui fait actuellement les beaux jours de la catégorie. Derrière l’hétérogénéité des marques rassemblées sous ce vocable, un point commun : l’absence de publicité, un modèle marketing aux antipodes de la parfumerie sélective traditionnelle. On le voit, les parfums qui fêtent leur cinquantième anniversaire peuvent nous paraître vieillots et dépassés. Pourtant, s’ils sont toujours là, c’est probablement parce qu’ils ont quelque chose à nous dire et à nous apprendre.

Crédits visuels : ©YSL ©Clinique

par Journal du Luxe