Chronique
Le luxe en renaissance : un récit, une RSE authentique et une hybridation technologique.
Publié le par Jeanne Bordeau
Chaque année, Jeanne Bordeau, linguiste, auteure et fondatrice de Madame Langage, dévoile son Observatoire des mots du Luxe. Quelles grandes tendances lexicales se dégagent pour cette édition 2021 ?
Origines et ancrage.
Cette année, les grandes marques du luxe "réinterprètent", "revisitent", "redécouvrent", "réinventent" et font "renaître" leur patrimoine. C’est un retour aux origines, un besoin d’ancrage des marques dans une histoire. Mais aussi une renaissance.
Ainsi, la marque horlogère suisse Breitling "réinterprète" ses anciens modèles : elle fête le retour du "chronographe mécanique près de 40 ans plus tard" et offre des "réinterprétations rétro-modernes des modèles Top Time et Premier". Les montres "néovintage" ont le vent en poupe, de Tag Heuer à Vacheron Constantin, la haute horlogerie réactualise ses anciens modèles. La Maison Caron, "revisite ses fragrances". Arthus Bertrand nous invite à "redécouvrir une Maison rare". Et Baccarat "réinvente le verre Harcourt". Gucci dans son nouveau concept store en ligne ne s’en cache pas et dit "dessiner en partant du passé" certaines de ses pièces "vintage". Ces retours nostalgiques ont pris le nom de "olding".
Même les marques plus récentes réinterprètent et réinventent. Le créateur sud-africain, Thebe Magugu "réinterprète" les robes que portait sa mère Iris quand il était enfant, "genealogy" est d’ailleurs le nom de sa collection printemps-été 2022. Ce retour aux sources est exacerbé par la mise en avant du "fait local" ou du "made in France". Rabih Kayrouz affirme que ses "pièces sont intégralement produites en Europe, essentiellement en France". Chez Cheval Blanc, c’est "un art de vivre sans pareil, à la française, à la parisienne" qui est célébré.
Par ailleurs, une rupture a lieu. Oui, il faut toujours posséder une histoire ou une origine quitte à la magnifier, mais les marques du néo-luxe ne se sentent plus obligées d’utiliser les mots référents du luxe classique, comme "excellence", "perfection", "spectaculaire", "légendaire", "prestigieux", "exceptionnel", "exclusif", "unique", "intemporel", "iconique". Elles ont fait sécession. Ces mots ont été remplacés par un lexique qui caractérise une nouvelle ère, celle de la RSE qui utilise un florilège de mots nouveaux tel "vestibilité".
L’ère de la RSE.
Dans le néo-luxe, un passage lexical obligatoire par toutes les dimensions de la RSE s’impose. Et ce n’est pas un hasard si la cosmétique a signé en juillet 2021 le "plastic act". Mais, si chez les créateurs, la séduction et la beauté sont toujours là, des expressions comme "sisterhood", "inclusion", "unisexe", "genderless" se doivent de conter l’époque, voire sa précarité. Ainsi, Mossi Traoré a lancé les ateliers d’Alix à Villiers-sur-Marne puis une école de formation en haute couture à Paris pour créer du lien social. Il rêve que les mères du quartier créent des collections de haute couture. La femme Mossi est une femme "engagée". Le luxe aussi.
Poussé par la volonté d’action de la génération Z, le luxe tisse son engagement RSE dans un langage de preuves. Première exigence du consommateur : la provenance des matériaux utilisés.
Les marques s’attachent désormais à prouver la provenance de leurs matériaux. Thebe Magugu utilise du "satin recyclé". Le vétiver des parfums de Caron est issu d’une "filière responsable à Haiti". La Maison Arthus-Bertrand "contrôle minutieusement la provenance de l’or utilisé" et garantit qu’il "ne provient d’aucune zone de conflit". La marque horlogère suisse disruptive Code 41 offre "une transparence totale sur l’origine et le coût des matériaux et composants" de ses garde-temps.
Se multiplie aussi, avec son lot de mots, le déploiement des emballages "durables" et esthétiques. Caron crée pour ses parfums des "flacons rechargeables". Estée Lauder signe un partenariat pour des "bouteilles éco-responsables à base de pâte de bois". La Maison Ruinart opte pour un "emballage de ses bouteilles 100% recyclables en fibres de bois provenant de forêts européennes gérées de manière éco-responsable". Et Hermès en a fait un des critères fondateurs de sa ligne beauté "Rouge Hermès". Les rouges à lèvres privilégient les ingrédients naturels et leurs écrins en métal laqué sont "rechargeables".
Dans l’éventail des preuves apparaît également le "pas de gâchis", "réutilisation", "seconde vie", et "seconde main". Rabih Kayrouz ne détruit pas ses stocks, il s’engage activement dans la "réutilisation tant de matières que de produits finis". Il prône le "pas de “gâchis” lors de la création d’une collection". Depuis sa création, Marine Serre utilise des matériaux recyclés et prône le "upcycling". Son "fuck fast fashion" est "tagué" dans les esprits.
LVMH crée Nona Source, la première plateforme de revente de matières en surplus pour ses Maisons de mode et maroquinerie. Emily Bode lutte "contre la mort des étoffes". Elle offre une "seconde vie" aux tissus et crée ses vêtements à partir de nappes, rideaux ou autres étoffes récupérées. Il est aussi tendance de ne plus posséder mais plutôt de louer. Avec "Breitling Select", la marque horlogère propose "la location" de montres. Sobriété oblige, le joailler éco-responsable Courbet crée "à la demande".
Digital et hybridation technologique.
Filmer l’artisanat d’excellence, apanage du luxe, c’est entrer dans l’intimité d’un atelier. Grâce à des vidéos, on admire pour notre plus grand plaisir les gestes des "souffleurs d’imaginaires" de Baccarat. Jon Lipfeld parle dans le livre Luxe & Résilience, dirigé par Eric Briones, d’hybridation technologique. Conjugaison du son, du texte et de l’image, les défilés des maisons de haute couture scandent les saisons de façon planétaire. Ces défilés, visuellement "explosifs" donnent le "la". Dior était à Athènes. Chanel et sa collection croisière à Dubaï.
Quant aux phrases, elles sont courtes et incarnent le mouvement. Chez Baccarat, on peut lire : "stealing the show" ou encore "designed for glory". Toujours plus ou moins privées de contacts et rencontres physiques, les marques nous font entrer, disent-elles, dans des mondes digitaux enchantés, et c’est sur Tik Tok, Snapchat et Instagram que le spectacle se joue. L’omnicanalité s’est définitivement installée. Et se baladent des mots comme "hybridation technologique", "réalité augmentée" et "fashion tech".
De plus, comme beaucoup de dirigeants de marques le reconnaissent, la crise sanitaire a accéléré la diffusion d’un "luxe digital" qui possède de nombreux nouveaux atouts. Rabih Kayrouz confie : "finalement, je trouve que l’on perçoit mieux le vêtement à travers une photo ou une vidéo que lors d’un défilé. Lorsque l’on regarde le vêtement bouger à travers un écran, c’est comme si on l’avait chez soi. Mon but est de transmettre l’émotion que j’investis dans ma création et j’ai l’impression qu’avec une certaine mise en scène et une musique bien choisie, on transmet beaucoup". Par ses propos, Rabih Kayrouz n’est-il pas de ceux qui ouvre le luxe au métavers ?
Les mots majeurs du luxe 2021 : réinterpréter, revisiter, redécouvrir, réinventer, renaitre, patrimoine, rétro-moderne, néo-vintage, revisiter, olding, made in Europe, sisterhood, inclusion, mixte, unisexe, genderless, recyclé, rechargeable, éco-responsable, recyclable, pas de gâchis, réutilisation, seconde vie, seconde main, réutilisation, upcycling, location, à la demande, hybridation technologique, tik tok, réalité augmentée, fashion tech.