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« Le luxe contribue à faire vivre toute une économie et une population au niveau local », Bénédicte Epinay, Comité Colbert.
Publié le par Journal du Luxe
Vecteur d’emplois et de réindustrialisation des territoires ruraux, le luxe sait anticiper les phénomènes sociétaux et créer de la richesse sur le sol français. Bénédicte Epinay, Déléguée Générale et CEO du Comité Colbert, décrypte la nouvelle étude « Le luxe français, créateur de valeurs ».
Le Journal du Luxe : Le Comité Colbert vient de dévoiler le rapport « Le luxe français, créateur de valeurs ». Sur quelle méthodologie, quelle approche, repose cette étude ?
Bénédicte Epinay : Au moment où Emmanuel Macron appelle à réindustrialiser la France, peu de travaux se sont jusqu’à présent attachés à recenser les caractéristiques des territoires de production du luxe dans l’hexagone et étudier les enjeux auxquels ils sont confrontés, analyser leur apport en termes de revitalisation des régions et de dynamisation du marché de l’emploi. C’est ce travail que le Comité Colbert publie. Un exercice qui s’appuie sur un questionnaire et des interviews réalisées auprès des membres du Comité Colbert et, au-delà, complété par une analyse documentaire.
Journal du Luxe : Quels en sont les fondamentaux à retenir ?
Bénédicte Epinay : Ils tiennent en quelques chiffres. Depuis cinq ans, l’industrie du luxe a créé 3500 emplois dans la production – un emploi sur deux dans le luxe est un emploi de production – à destination de populations souvent sans qualification et a ouvert 20 nouveaux sites de fabrication dans l’hexagone. Malgré la crise sanitaire, neuf nouveaux projets sont en cours de réalisation dans les années à venir. Quelle autre industrie en France, employant directement et indirectement 1 million de personnes, peut se prévaloir d’un tel bilan ? Il est temps de changer de regard sur l’industrie du luxe et de considérer qu’elle est un poids lourd de notre économie pesant 33% du CAC 40. On est loin de la déclaration de Georges Pompidou qui prophétisait en 1972 la fin du luxe français, condamné sur l’autel de la modernité et de l’industrialisation de la France.
C’est bien tout le contraire. Dans un pays qui a vu ses emplois industriels chuter au cours des dernières décennies, le luxe contribue à faire vivre toute une économie et population locales. En s’implantant dans de nouveaux territoires, souvent loin des grands centres urbains dynamiques, le secteur participe et anticipe un phénomène de réindustrialisation des espaces ruraux délaissés par les services de proximité et les acteurs économiques.
Le luxe est même parfois le premier acteur à revenir sur les territoires et permet, par un effet d’entraînement, de les revitaliser. Par sa stratégie cohérente de développement des implantations, il contribue aussi à créer de nouveaux clusters d’expertise à l’instar de la Glass Vallée qui fabrique 70% de la production mondiale de flacons à destination du parfum. Enfin, cette industrie offre l’opportunité de carrières enrichissantes dans les métiers de production. Le luxe assure ainsi des emplois durables et de qualité et répond aux nouvelles tendances sociétales qui font désormais prévaloir le désir d’un cadre de vie agréable plus loin des métropoles en privilégiant des métiers qui ont du sens.
Journal du Luxe : Le rapport évoque notamment les engagements du luxe en matière de formation professionnelle. De nombreux postes sont à pourvoir alors que, paradoxalement, le secteur peine à recruter… Qu’est ce qui explique ce phénomène ?
Bénédicte Epinay : Dans un pays où l’apprentissage des métiers de l’artisanat a longtemps été dévalorisé, la connaissance de la diversité et de la qualité des métiers proposés par le secteur du luxe reste faible. Par ailleurs, les institutions de formation aux métiers du luxe sont trop nombreuses. D’où la tension persistante sur certains métiers du cuir, du textile, de la vigne et du tourisme : plus de 10 000 offres d’emplois restent à pourvoir chaque année dans le luxe.
Face à ce constat, le secteur a assuré lui-même son avenir en prenant en charge les coûts de la formation en interne. De nombreux programmes et écoles sont ainsi directement financés par les maisons de luxe, permettant à la jeunesse d’une part et aux personnes en reconversion d’autre part de se former à ces métiers durables et de qualité. 15 écoles et programmes de formation ont ainsi été créés par des maisons.
Ce soutien et cet engagement sur le long terme ont permis la sauvegarde de nombreux savoir-faire français. Mais les maisons de luxe capitalisent également sur leurs sites de production existants pour créer des programmes de formation intégrés et ce, dès la conception de leurs implantations. La formation ne s’arrête pas là mais se poursuit tout au long de la carrière : 10 à 13 % des effectifs des maisons de luxe françaises sont des collaborateurs en formation.
Journal du Luxe : L’un des autres sujets-clés est l’ancrage territorial du secteur. Comment se structure-t-il en 2021 ? Peut-on parler d’un véritable maillage ou de concentrations de type « hubs » ?
Bénédicte Epinay : Nous avons fait l’exercice de superposer les sites de production de tous les métiers du luxe. La carte met en évidence de manière spectaculaire une couverture géographique presque parfaite de l’Hexagone avec 188 territoires de savoir-faire. Toutes les régions françaises ou presque bénéficient, d’une façon ou d’une autre, des emplois du luxe. En effet, des écosystèmes de nature et de taille très diverses y font vivre ces métiers. Il peut s’agir aussi bien de villages tels que Saint-Louis-lès-Bitche pour le cristal ; de villes moyennes comme Cognac pour l’eau-de-vie éponyme ou Limoges pour la porcelaine ; de métropoles telles que Lyon, capitale mondiale de la gastronomie, ou Paris, capitale de la mode ; ou encore d’imposants clusters : la Cosmetic Valley pour la parfumerie-cosmétique ou la Glass Vallée pour le flaconnage.
La stratégie de mise en place de ces sites de production est tout sauf anodine. Elle s’articule autour de bassins historiques de savoir-faire remontant parfois à plusieurs siècles comme pour la porcelaine, la vigne ou le cristal, mais aussi d’entreprises permettant un regroupement de la chaîne de production sur un territoire limité – c’est le cas des pôles de compétitivité – et enfin d’instituts de formation pertinents. C’est la combinaison de ces différents critères et leur importance relative qui influencent la stratégie d’implantation et déterminent in fine la diversité de l’empreinte du secteur du luxe sur tout ou sur une partie du territoire français. Cette empreinte locale est parfois très forte. Le bassin d’emplois de la ville de Cognac est considérablement lié à la production d’eau-de-vie. La maison Chanel est le premier employeur de l’Oise avec trois sites dans le département, liés à la parfumerie et à la maroquinerie. La maison Louis Vuitton emploie 1 000 personnes sur son site de Saint-Pourçain-sur-Sioule, une commune de 5 200 habitants.
La vision stratégique du secteur pour assurer son développement exceptionnel se manifeste également dans la conquête de nouveaux territoires de savoir-faire, mis en place ex nihilo. Ceux-ci deviennent progressivement des bassins de ressources d’une main d’œuvre qualifiée nouvellement formée. La réussite d’un site engendre souvent la mise en place de nouvelles implantations qui s’appuient sur l’expertise accumulée par la manufacture originelle. Après une première installation d’un atelier à Seloncourt (Doubs) en 1996, Hermès a ouvert, en 2016, un nouveau site à Héricourt (Haute-Saône), une commune de 10 000 habitants située à 20 kilomètres de Seloncourt. Dans ce cas, le rôle sociétal de la maison a été important avec la réhabilitation d’une ancienne filature fermée depuis 25 ans et la création de 280 emplois.
La multiplication et la diversité de l’empreinte des sites de production participent à la revitalisation de territoires pour lesquels toute nouvelle implantation devient le vecteur d’une croissance locale et d’une attractivité renouvelée.
Journal du Luxe : Dans quelle mesure la crise sanitaire a-t-elle engendré – ou accéléré – des mutations au sein de certaines filières ? La pandémie a-t-elle, malgré tout, fait naître de nouvelles perspectives/opportunités pour le luxe français ?
Bénédicte Epinay : La pandémie a effectivement accéléré des mutations et réflexions au sein de nos entreprises s’agissant du digital et de l’éco-conception par exemple, sans impacter pour le moment les filières. Il est clair également que nous vivons une dynamique de la transformation des comportements sociétaux avec l’envie constatée de quitter les grandes villes pour revenir dans des territoires, la recherche d’une meilleure qualité de vie combinée à celle d’un emploi épanouissant et valorisant avec une vraie possibilité de carrière dans des structures à taille humaine. Le secteur du luxe répond à cette demande en offrant notamment des emplois ouverts à tous – jusqu’à 90 % des nouveaux artisans embauchés sont novices. Notez bien aussi que la pandémie n’a pas stoppé les ouvertures de sites, bien au contraire.
Journal du Luxe : Parlez-nous de la nouvelle campagne publicitaire de communication du Comité Colbert ? Avez-vous travaillé en collaboration avec une agence ? Quels sont les objectifs stratégiques de cette opération ?
Bénédicte Epinay : Cette campagne de communication exprime d’abord la volonté du Comité Colbert de reprendre la parole auprès du grand public pour faire connaitre l’empreinte forte de notre secteur sur les territoires en France, pour souligner la qualité des emplois offerts et ainsi attirer les jeunes vers les métiers d’avenir. Songez que Chanel emploie par exemple sur ses sites de R&D jusqu’à 250 biologistes ! Les quatre messages stratégiques que vous allez voir fleurir dans la presse ont été imaginés et mis en page au sein du Comité Colbert : le luxe français continue d’ouvrir des sites en France ; le luxe français, première école de chevaliers ; le luxe français crée des objets de désir durable ; le luxe français est le plus ancien secteur d’avenir. Nous avons par ailleurs enregistré des podcasts avec quatre de nos présidents et réalisé des petites vidéos avec cinq de nos créatifs, chef, nez, chef de cave, joaillier, pâtissier qui viennent compléter nos messages dont nous espérons qu’ils changent l’image du luxe.