Bottega Veneta impose sa vision du luxe et revendique son statut d’acteur culturel.

Publié le par Journal du Luxe

Sandra Krim, consultante dans le luxe, la mode et l’image de marque, analyse, pour le Club des Chroniqueurs, la nouvelle stratégie digitale de Bottega Veneta.

Sandra Krim chronique
Sandra Krim

Depuis la nomination de Daniel Lee en tant que Directeur Artistique et la commercialisation de sa première collection pour l’automne-hiver 2019, Bottega Veneta ce cesse de croître. Avec une croissance globale de 18% au second semestre, la maison florentine est devenue une des marques de luxe les plus recherchées.

En parallèle, Bottega Veneta s’est imposé comme la coqueluche des réseaux sociaux, jusqu’à son retrait progressif et énigmatique de l’ensemble de ses plateformes en début d’année. Seule exception : le réseau chinois WeChat, sur lequel la marque n’a plus communiqué depuis février. Le silence et la discrétion observés par la maison ont depuis lors attisés les conjectures. Pourtant, le 31 mars dernier, le lancement d’un magazine digital trimestriel semble être un renouveau pour la marque. Le projet à pour vocation de représenter et de partager la vision esthétique et culturelle de Daniel Lee pour Bottega Veneta.

Une stratégie doublement disruptive.

Là où nombre d’observateurs analysaient ce retrait des réseaux sociaux comme un coup marketing destiné à alimenter le buzz autour de la marque, en prévision d’un retour fracassant, la stratégie adoptée par Bottega Veneta peut surprendre, tant sur le plan du contenu que de sa temporalité.

D’un point de vue temporel, la marque de Kering opte pour un rythme propre et lent, à contre-courant des standards imposés par la voracité et la volatilité des réseaux sociaux.

bottega veneta magazine
©Bottega Veneta

D’abord réticentes, les marques de luxe ont dû se résoudre à la digitalisation et renoncer à la verticalité de leur relation avec les consommateurs, afin de capter Millennials et Génération Z. Les réseaux sociaux leur permettent de tisser un lien avec ces générations connectées et avides de contenus et de sens. L’objectif ? Créer et fidéliser leurs communautés.

Depuis 2020, la situation sanitaire n’a fait qu’exacerber cette tendance et les maisons y ont vu l’occasion de se réinventer tout en demeurant pertinentes et désirables. Dans un tel contexte, la suppression des comptes sociaux de Bottega Veneta est d’autant plus disruptive.

Concernant le contenu, ce magazine digital trimestriel gratuit, baptisé « Issue » et disponible sur un site dédié, se démarque du traditionnel « brand content » digital. Dans une récente interview accordée à The Guardian, Daniel Lee accusait les réseaux sociaux d’une « homogénéisation de la culture ». Ainsi, le Directeur Artistique de la marque a fait le choix d’un contenu « plus progressif et plus réfléchi » pour Issue 01. Un premier numéro dont il espère que le lectorat « s’installera pour le regarder, comme vous le feriez avec un film ».

Une approche cohérente avec l’identité de la marque et sa vision du luxe.

Le retrait des réseaux sociaux et l’alternative digitale d’un magazine publié quatre fois par an, à la même période que les lancements de collection de la marque, ont été présentés comme un choix personnel de Daniel Lee. Ces éléments sont en totale cohérence avec la personnalité du créateur mais surtout avec l’identité-même de Bottega Veneta, qui s’est toujours positionné comme une marque de luxe discrète et réservée aux initiés.

On peut également observer un fil conducteur logique dans la stratégie opérée par la marque depuis mi-2020 avec une forme de recentrage sur l’essentiel du luxe, selon Bottega Veneta. Après l’installation d’un magasin éphémère « invisible » en juillet 2020 à Shanghai, cette stratégie a commencé à prendre sens avec la présentation de la collection Printemps-Été 2021, dénommée Salon 01, en hommage aux anciennes présentations de Haute Couture dans les salons des maisons. Le défilé, privé et tenu secret, a eu lieu dans un théâtre londonien en octobre avant que le film, réalisé par Tyrone Lebon, ne soit rendu public en décembre. S’en suivront la suppression des comptes officiels de Bottega Veneta sur les réseaux sociaux et le lancement du magazine qui – à l’exception du site marchand – demeure le seul lien digital avec la communauté et la clientèle de la marque.

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©Bottega Veneta

Bottega Veneta réimpose son rythme et son contenu, à la fois par une vision traditionnelle du luxe, et par une forme de dépassement de la contemporanéité.

Un positionnement assumé de media culturel.

Si d’autres marques de luxe – comme Hermès ou Dior – éditent leur propre magazine papier depuis plusieurs années, Bottega Veneta se positionne à l’avant-garde. Ce magazine audiovisuel, à la fois intimiste et immersif, dont la curation artistique embrasse aussi bien la mode – à travers divers regards d’artistes contemporains sur la collection Salon 01 – que l’ensemble des arts visuels. Il réunit aussi une trentaine d’artistes autour du projet. Ce faisant, la marque du groupe Kering institutionnalise sa dimension culturelle : un élément inhérent de la valeur symbolique des maisons, encore plus prégnant pour le luxe. Cette institutionnalisation de la dimension culturelle de la marque se trouve d’autant plus renforcée que, privilégiant ce mode exclusif de communication digitale, Bottega Veneta se revendique en tant qu’acteur culturel.

Alors qu’en octobre dernier, le Business of Fashion se demandait « comment Bottega Veneta pouvait concilier « hype », héritage et croissance rapide », il semble que Daniel Lee et Bartolomeo Rongone, le CEO de la marque, aient trouvé la réponse : la culture et un retour aux sources du luxe.

Crédits visuels : ©Bottega Veneta

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