« Nous allons passer d’un luxe d’apparat à un luxe plus naturel », Isabelle Capron, Icicle.
Publié le par Journal du Luxe
Allier la mode à l’éthique est une question centrale du luxe de demain. Isabelle Capron, Vice Présidente Internationale Paris Shanghai et Directrice Générale Paris de la marque Icicle, nous explique sa vision du luxe durable et du marché Chinois.
JDL : Comment voyez-vous le futur proche du luxe durable ?
Je pense qu’il y a énormément de phénomènes qui s’accélèrent, dont la digitalisation et l’écologisation du monde. Dans le secteur de la mode, le « verdissement » est de plus en plus en train de devenir un must chez les marques et pas simplement un nice to have. Il est donc évident qu’il va y avoir une nouvelle nature du luxe. Des fondamentaux vont perdurer comme la haute qualité, l’exigence, la créativité et l’excellence, mais il y aura des mouvements profonds. Le premier, c’est donc l’écologisation, le nouveau segment du green luxury. Nous allons passer d’un luxe d’apparat à un luxe plus personnel, « naturel » au sens propre et figuré, lié au fait que le monde change, avec de nouvelles générations plus éco-conscientes, animées par une forme d’éco-culpabilité et d’empathie environnementale et animale. La mode est un segment qui s’est éveillé assez tardivement sur tout cela, sous l’impact notamment de Kering, très en pointe lorsqu’il s’agit de mettre du vert dans ses marques, en particulier via les mesures d’empreinte carbone imposées à toutes ses maisons et publiées annuellement. Là où Stella McCartney, dès 2001, s’emparait de la problématique du monde animal, toutes les industries et les marques se positionnent désormais sur le luxe durable. C’est devenu central.
Le paradoxe, c’est qu’Icicle a été l’une des pionnières en la matière car elle a été fondée en 1997 à Shanghai avec un positionnement complètement éco-natif. C’est une marque précurseur et innovante dans ce segment que l’on peut nommer appeler éco-luxe ou éco-fashion. Elle a, au cœur de son ADN, la volonté de s’inscrire dans une transition écologique pour la mode, d’inspirer un nouveau chemin plus vertueux pour cette industrie très polluante.
JDL : Comment le luxe peut garder sa symbolique de rêve tout en étant éco-responsable ?
C’est la grande question : comment mettre plus d’éthique dans la mode tout en la gardant désirable ? Le luxe, c’est le rêve et l’émerveillement mais ces derniers vont s’exprimer d’une nouvelle façon. Dans le luxe durable, il faut qu’il y ait une forme d’émotion, soit dans ses marqueurs sociaux, soit dans l’émotion personnelle, le ressenti, le bien-être global. Icicle est au carrefour de tout cela : son positionnement est de prendre des éléments de la nature – le lin, le cachemire, la laine, la soie – et de les transformer en vêtements tout en étant très économe en tissus. Les pièces sont minimales mais sophistiquées, belles et sensuelles à porter, statutaires mais non ostentatoires. La qualité des matières naturelles apporte un bien-être et un chic naturel. Le design transcende aussi les saisons, assurant la longévité des vêtements et participant à l’éco-bienveillance. C’est le « consommer moins mais mieux ».
Il y a plein de notions dans l’éco-luxe ! Le fait de recycler des matières, d’en faire de nouveaux vêtements, la seconde main, la location… Chez Icicle, nous produisons en détruisant le moins possible la nature, nous sommes biodégradables, nous recyclons les chutes de tissus et nous réparons les vêtements qui peuvent ainsi se transmettre de générations en générations. Nous créons avec la nature et ses couleurs. C’est une nouvelle forme de luxe durable.
JDL : La dernière étude Ipsos montre que les critères éthiques et écologiques, sur un classement de 17 critères par rapport à l’acte d’achat, se retrouvent à la 15ème et la 16ème position. Est-ce que cette transition écologique du luxe vient plus de la volonté des maisons ou des exigences réelles des clients ?
Les deux. Il y a des marques qui sont éclaireuses. Les fondateurs d’Icicle – un couple de jeunes chinois – ont créé la marque en 1997, en pleine industrialisation du pays et en plein ravage écologique. Ils se sont dit qu’il n’était pas possible de continuer comme ça et qu’avec leur connaissance du textile, ils allaient inventer une nouvelle mode respectueuse en harmonie avec la nature. C’est l’ambition de la maison. Depuis, il y a eu des crises sanitaires en Chine qui ont mené au développement d’une éco-conscience, presque sécuritaire, de se demander ce que l’on mangeait, ce que l’on portait sur soi. La marque a donc beaucoup rassuré.
Maintenant que l’occident vit de plein fouet cette crise du virus, l’éco-conscience devient importante dans la demande des consommateurs devenus particulièrement vigilants sur le sujet. Les maisons ne peuvent s’improviser éco, c’est beaucoup de travail, de technologies. Chez Icicle, 25 ans d’efforts et de recherches font qu’aujourd’hui nous avons la capacité de produire à l’échelle industrielle tout en ayant une mode très attractive basée sur un concept naturel et durable.
JDL : Comment les marques font, par rapport aux clients, pour que le luxe durable devienne un argument déterminant lors du processus d’achat ?
Il faut quand même que la beauté et l’esthétisme restent au centre, c’est la porte d’entrée de la mode et du luxe. Mais les marques qui auront su faire du beau et du bien fait de façon éthique seront favorisées par leur supplément d’âme. De plus, en faisant de l’éthique, nous pouvons investir un nouveau champ de beauté. Pour Icicle, le propos est de révéler la beauté d’une mode faite avec la nature. C’est de dire « ce cachemire teint avec de l’écorce de noyer est d’une beauté incroyable ». En ce moment, notre collection Natural Way présente une palette de couleurs qui mélange des fibres 100% naturelles et des fibres colorées avec du thé, et d’autres végétaux… Ces nuances subtiles, alliées à aux volumes du design, révèlent un nouveau champ esthétique.
JDL : Le luxe durable est donc une nouvelle muse ?
Exactement : la nature peut-être une muse. Par exemple, en faisant des vêtements avec du plastique recyclé ou du cuir végétal, nous pouvons avoir de nouveaux touchés, de nouvelles sensations ou de nouveaux bénéfices comme la légèreté ou plus de sensualité.
JDL : Quelle est la place des marketeurs et des communicants dans la transition positive qui semble être dominée par les profils plus ingénieurs ?
La place des marketeurs est de vendre l’écologie désirable, et d’en faire une pédagogie facile à comprendre. C’est de dire que l’éco, c’est cool et de le faire comprendre, autrement que par des standards comme Oeko-Tex, GOTS ou BCI, qu’il y a une poésie incroyable à faire une collection en noir naturel par exemple. Ou d’expliquer que l’on peut obtenir un beige magnifique avec une teinture à base d’oignons. C’est de montrer que plutôt qu’un carton en papier, vous pouvez avoir une boite-cadeau en pulpe de maïs. C’est de rendre l’écologie attractive, concrète et sexy.
JDL : Votre clientèle chinoise est-elle plus avertie sur la question de l’exigence écologique que les clients occidentaux ?
Il y a des différences. Le marché chinois est un marché moins mûr en matière de mode par rapport à l’occident. Début 2010, la première motivation des clients chinois était la sécurité, celle d’acheter des vêtements beaux mais sains. Désormais, la Chine a pris de l’avance en termes d’écologie (villes et transports propres), de digital ou d’intelligence artificielle. Face à la pollution et aux ambitions leaders de la Chine, il y a une conscience, une volonté de la part des nouvelles générations de montrer l’exemple. Pour les jeunes chinois, il est important de consommer green – qu’il s’agisse de nourriture, de vêtements ou encore de transport – mais il y a aussi cet appétit de consommer, lié à l’histoire du pays et de ses 40 ans d’essor phénoménal. Tout cela s’est passé en une décennie. En occident, nous sommes davantage sur la déconsommation. Je dirais qu’il y a tout un nouveau segment – que j’appellerais le luxe statutaire mais non ostentatoire –sur lequel le luxe durable va surfer. Un nouvel élitisme éclairé.
JDL : Aujourd’hui, la mode appartient-elle à la Chine ?
Il faut mettre les choses en perspective. Le XXème siècle appartenait aux Etats-Unis avec Coca, Nike, Calvin Klein et ses valeurs exportées partout dans le monde, de l’american way of life aux techniques de business. Après, si l’on parle de la mode, c’est l’Europe : la France avec la couture, l’Italie avec des créateurs comme Armani ou Prada, mais aussi l’Angleterre, pour l’Homme. À la fin du XXème siècle, il y a eu la vague japonaise et coréenne avec la mode conceptuelle. Et maintenant, c’est au tour de la Chine. Il est intéressant de voir la mobilité des régions et leur rôle dans l’histoire de la consommation et des modèles. Ce que je vois venir, depuis huit ans, c’est cette nouvelle Chine, ce new Made in China : j’ai rencontré des gens remarquables qui pensent une nouvelle mode et cherchent une nouvelle route. Ils veulent contribuer à la société.
Crédit à la une : ©Icicle