Quand Hollywood fait de la résistance. De Liz Taylor à Rihanna : les célébrités et la beauté.

Publié le par Journal du Luxe

Depuis plusieurs décennies, certaines stars tendent à s’écarter de leur rôle d’égérie de marque afin de créer leur propre gamme de cosmétiques et de parfumerie. Un phénomène décrypté par Pascal Barragué, expert et consultant dans le luxe et la beauté, pour le Club des Chroniqueurs.

La stratégie de communication.

Si le celebrity marketing constitue depuis fort longtemps un axe de communication prisé par certaines marques (n’est-ce pas George ?), un secteur l’a peu à peu érigé en stratégie dominante : le marché de la beauté. Les actrices et autres célébrités trustent les publicités pour les parfums et le make-up depuis de longues décennies. Pourtant, au tournant des années 2000, un cap a été franchi. La notoriété mondiale d’une poignée de stars et leur capital image – tout à la fois sexy et cool – leur ont permis de monnayer à prix d’or l’utilisation de leur visage et de leur nom.

Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Tout d’abord, l’explosion des cachets payés par les grandes marques de cosmétiques à une poignée de A-listers pour qu’ils deviennent des égéries publicitaires globales. Les 4 millions de dollars supposément payés pour Nicole Kidman en 2004 par Chanel furent rapidement dépassés par des deals de plus en plus explosifs : 5 millions de dollars par an pour Charlize Theron, 7 millions de dollars pour Brad Pitt, 12 millions de dollars pour trois ans pour Robert Pattinson, 28 millions de dollars pour un deal tri-annuel avec Natalie Portman… Mais aussi via des accords de licence signés entre ces célébrités et de grandes entreprises du secteur – tels qu’Elizabeth Arden, Coty, Puig ou encore Procter & Gamble – portant sur le développement de parfums éponymes, en propre, au profit de vedettes comme Jennifer Lopez, Madonna, Beyoncé, Rihanna, Katy Perry, Nicki Minaj et consorts, sans oublier Antonio Banderas, David Beckham ou Justin Bieber. Ce deuxième phénomène a vite été affublé d’un vocable spécifique, le « celebrity perfume ».

Le « celebrity perfume ».

Il est bien difficile de dater précisément la naissance de ce phénomène. Certains évoquent la bouteille de parfum dessinée dans les années 30 chez Schiaparelli et s’inspirant des formes de Mae West. On parle aussi de L’Interdit, créé pour Audrey Hepburn par Hubert de Givenchy. Mais c’est White Diamonds, le parfum lancé en 1991 par Liz Taylor avec Elizabeth Arden qui est considéré comme le véritable premier parfum de célébrité de l’ère contemporaine. On dit alors que son chiffre d’affaires serait supérieur à un milliard de dollars et que les revenus attribués à l’actrice seraient supérieurs à tous ses cachets de cinéma cumulés.

Une dizaine d’années après le lancement de White Diamonds, ces « celebrity perfumes » ont donc connu un essor considérable. Ils ont boosté les ventes de la catégorie entière pendant toute la première décennie du siècle. En 2012, il y eut ainsi pas moins de 85 lancements de parfums de célébrités.

©Elizabeth Taylor ©Elizabeth Arden

Les raisons de cette explosion sont d’abord et logiquement financières : on parle de deals combinant des honoraires avoisinant les 3 à 5 millions, avec des commissions de 5 à 10% sur les ventes.

Un succès fulgurant au début des années 2000.

Ce segment a rapidement représenté une part significative du marché – de 10 à 20% selon Euromonitor – et ses performances ont tiré celles du secteur tout entier aux USA. En 2011, par exemple, le lancement de « Someday » de Justin Bieber a dynamisé toute la catégorie avec 3 millions de dollars de chiffre d’affaires chez Macy’s en moins de 3 semaines.

« Curious » de Britney Spears avait lui atteint les 100 millions de CA en 5 semaines. Et en 2013 la franchise « Heat » de Beyoncé – le parfum de star qui se vendait alors le mieux – réalisait 400 millions de dollars de CA.

©Beyoncé

Comment expliquer un tel raz-de-marée ? Certains de ces parfums ont notamment bénéficié du désormais fameux « Teen Factor », c’est-à-dire le comportement d’achat des « fans » adolescent(e)s) alors que d’autres modes de promotion puissants et originaux se sont imposés comme le sampling des parfums de Beyoncé sur ses tournées, la politique de tweets de Paris Hilton…

Un revirement soudain.

L’engouement qu’ont suscité ces parfums s’est cependant rapidement dissipé. En cause, des lancements incessants, une absence chronique de loyauté/fidélité/ré-achat débouchant sur un marché saturé… tout cela entrainant une perte générale d’intérêt pour ces produits.

Le celebrity marketing supplanté par l’influence marketing.

D’autre part, le développement des réseaux sociaux a créé de nouvelles attentes de « transparence et d’honnêteté » : le celebrity marketing s’est retrouvé supplanté par l’influence marketing. La star n’est plus le seul levier influençant le choix et l’achat. Les macro- influenceurs – tout comme les micro, voire les nano – sont le nouveau graal permettant d’améliorer la visibilité d’un produit et son image. Ces derniers jouent également un rôle-clé dans le développement de contenus adéquats pour influencer les communautés via de nombreux formats – unboxing, tutorials, « Get ready with me », challenges, etc. – et surtout la création de l’engagement. Ce faisant, l’influenceur possède un pouvoir global de recommandation en faveur de la marque – l’advocacy – qui le transforme en un outil privilégié du marketing de la beauté.

Par conséquent, les budgets de communication se sont rapidement et massivement réorientés vers le digital et les campagnes d’influence. Chiara Ferragni, Taylor Hill… voici les nouveaux noms de celles et ceux qui doivent désormais poster à propos de votre nouveau produit pour en faire un succès !

Les stars d’Hollywood sont-elles définitivement has-been ?

La majorité des A-listers n’a cependant pas tardé à s’adapter à cette «nouvelle donne» et à convertir leur popularité en communauté sur les principaux réseaux sociaux. Ce faisant, elles ont réussi à ne pas se faire supplanter par les influenceurs et à en devenir… Ceci leur permet de transformer leur fanbase en clientèle potentielle en leur proposant cette fois-ci non plus du parfum mais du make-up, voire plus.

Le cas FENTY Beauty

Fenty Beauty, la marque de make-up lancée en 2017 par Rihanna, est probablement l’exemple le plus emblématique de ce « New Deal ». Il s’agit d’un modèle hybride dans lequel Rihanna possède une partie (15%) de la marque et touche également des royalties, comme pour une licence classique. C’est Rihanna elle-même qui assure une grande partie de la promotion/communication.

Mais Fenty, c’est aussi et surtout une histoire d’innovation, la marque ayant assis son succès sur une gamme particulièrement large de fonds de teint. Son FDT Pro Filt’R comprenait 40 teintes au lancement, puis 50. Ce faisant la marque a instantanément été celle qui offrait le plus grand choix de couleurs à ses clientes. Toutes les carnations ont pu ainsi trouver leur bonheur, et Fenty est devenu synonyme d’inclusion et de diversité. En 15 mois d’exploitation, la marque aurait généré un revenu estimé à 570 millions de USD selon le NYTimes.

©LVMH

Cette success-story ne pouvait rester une initiative isolée. Les célébrités ont vite compris que de nouvelles opportunités s’offraient à elles, comme la possibilité de jouer dans des catégories plus attractives (taille supérieure, niveau de marges, nombre d’achats plus élevé etc.) tels le make-up et le soin de la peau ; et la possibilité de créer des entreprises gérant leurs marques qui, de ce fait, leur appartiennent.

On a donc récemment observé un nombre croissant de lancements parmi lesquels celui de Haus Laboratories en 2019 (la marque de Lady Gaga) et celui de Rare Beauty en 2020 par Selena Gomez.

Nouvelle vogue, nouvelle vague.

Tout dernièrement avait lieu le lancement de “JLO Beauty”, une gamme dotée d’un slogan accrocheur (« Beauty has no expiration date ») et proposant sept produits – une crème, plusieurs sérums, un gel démaquillant etc. – autour d’une promesse commune : l’éclat.

Évoquons également le lancement en novembre dernier de Humanrace, la gamme unisexe de Pharell Williams, qui propose de mixer « la simplicité et la science » et revisite la célèbre routine en trois étapes de Clinique (le « Basic 3 Temps » : 3 steps, 3 minutes, twice a day) en instaurant un « Three-Minute Facial ».

La gamme est « cruelty-free » et vegan. Les packagings intègrent des mentions en braille et offrent un système original de recharge, recyclable. C’est cet engagement en faveur de la préservation de la planète et de ses ressources qui fait tout l’intérêt de cette gamme. Plus globalement, ce sont les valeurs que les célébrités vont injecter ou pas dans leurs marques qui vont permettre au public de juger si ces marques « ressemblent » aux vedettes – et aux valeurs qu’elles professent – ou s’il n’ y a là qu’un effet d’aubaine et d’opportunisme mercantile.

En ce début d’année, on annonce déjà des lancements imminents concernant Kanye West, Hailey Bieber et Ariana Grande… L’occasion de voir très prochainement si ces stars vont réussir à créer des marques à leur image ou si elles vont se contenter d’un simple et lucratif rôle d’homme et de femme sandwich. Quoiqu’il en soit, il semblerait donc bien que la longue histoire entre la beauté et les célébrités se poursuive et entame un tout nouveau chapitre.

Crédit à la une : ©Instagram JLO Beauty

par Journal du Luxe