Chronique

Le retail sous abonnement : nouveau business model du luxe ?

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Dis-moi à quoi tu es abonné et je te dirai qui tu es ! Impossible aujourd’hui de minimiser l’omniprésence des services sous abonnement dans nos quotidiens. Et pour cause : si l’on peut aisément affirmer que Netflix, Spotify et consorts n’ont rien inventé en ce domaine, ils ont pour autant réussi l’exploit d’une expérience si fluidifiée que tous les freins traditionnellement attribués à l’abonnement ont été levés en une poignée d’année. Tant et si bien que le cabinet Gartner prédit qu’en 2023, 75% des entreprises proposeront des abonnements à leurs clients, et qu’en miroir, 27% des consommateurs entendent augmenter leurs dépenses pour ces services (NCR, 2021). Alors, si le prêt-à-porter (Rent the renway), l’automobile (Audi) ou encore le sport à domicile (Fitbit) ont su s’adapter, qu’en sera-t-il du luxe ?

Quand l’argent n’est (presque) plus une question.

Qui n’a jamais rêvé de pénétrer dans une boutique débarrassé de la pression du prix de chaque article à portée de regard ? De la même façon, quelle marque ne souhaiterait pas réduire au maximum la composante transactionnelle d’une visite ? A fortiori dans le secteur du luxe, où la dimension servicielle doit être au cœur des parcours. La maison Hermès semble avoir rendu cela possible avec son programme "Hermès Ties Society", qui a pour vocation d’offrir aux clients membres un service personnalisé et ultra-premium autour de l’univers des cravates. Si un premier quizz permet de définir les modalités de l’abonnement à mettre en place en fonction des envies et besoins du client, c’est ensuite une myriade d’attentions qui lui est proposée, telle que l’entretien, la réparation ou encore la customisation des pièces. Le sujet du prix étant ici évacué, la concentration peut être portée sur les produits, les savoir-faire et les engagements de la marque.

©Hermès

Estime et reconnaissance, le nouveau luxe.

Inutile de rappeler ici l’exemplarité que se doit d’avoir le secteur au sujet de l’expérience client. Or, plus l’expérience délivrée est alignée avec l’expérience attendue par les clients, plus la sensation d’avoir vécu une bonne expérience sera forte. Les services (retail) d’abonnements, parce qu’ils permettent une incroyable collecte d’informations à l’inscription, mais aussi en marge de chaque visite, sont donc tout indiqués pour aiguiller les marques dans les animations et contenus qu’elles peuvent imaginer pour eux, au juste moment.

C’est ainsi que Chanel a créé il y a quelques années son Atelier Beauté. Une fois membre de l’Atelier, les clients de la maison au double C s’octroient la possibilité d’y accéder quand ils le désirent, et de tester l’ensemble des produits comme s’ils étaient dans leur propre salle de bain ! Pour parfaire cette sensation, la marque a également misé sur des experts discrets, qui ne viennent à votre rencontre que sur demande, de manière à offrir une expérience sur-mesure.

Un sentiment d’appartenance, cela se cultive tous les jours.

Un abonnement peut aussi et enfin permettre de proposer deux niveaux d’expérience selon le client, sa fidélité ou son panier moyen. A l’instar de ce qui a pu être déployé à Paris par CMG Sports Club, la marque Chanel, encore elle, a fait le pari d’ouvrir des boutiques qui soient désormais réservées à leurs clients VIP. Ainsi, ces derniers bénéficient d’une expérience de plus grande qualité, pensée pour eux qui connaissent et ont déjà une relation forte avec la maison, riche d’évènements et de moments très particuliers et adaptés. C’est également l’occasion pour la marque de compter sur des équipes et profils formés spécifiquement, avec sans doute une forte dimension "personal shopper".

En somme, qu’il s’agisse de performance économique (57% des clients ont commencé à dépenser plus d’argent après avoir souscrit un abonnement selon le rapport Deloitte "Demystifying the hype of subscription" 2022), de stratégie de fidélisation (40% des clients ayant souscrit un abonnement ont réduit leurs visites auprès de marques concurrentes, toujours selon l'étude), ou plus simplement d’amélioration de l’expérience client, le retail sous abonnement a de nombreux atouts pour embarquer les marques de luxe, qui se doivent de demeurer précurseurs sur chacun de ces sujets. Par ailleurs, tandis que le phénomène de possession semble progressivement s’éteindre auprès d’une génération également sensible à une baisse de la production, la consommation réinventée qu’il induit a nécessairement de quoi nous inspirer.

Rémi Le Druillenec est le co-fondateur et directeur général de Héroïne, co-auteur du livre "Le magasin est-il mort ?".

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