Chronique

Les collaborations retail, lieux d’expériences nouvelles pour le luxe.

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Dans un premier temps, rappelons que le principe même de collaboration n’est pas un phénomène nouveau, ni même anecdotique ! En France, c’est d’ailleurs dès 1969 que La Redoute avait marqué les esprits et les garde-robes, en signant avec Emmanuelle Khan. Depuis, bon nombre de collaborations se sont élevées au rang de véritables références dans la mode, à l’instar d’H&M et Karl Lagerfeld, ou encore des multiples - et toujours remarquées - associations de la marque Suprême. Alors, si les collaborations dynamisent incontestablement les business des deux parties prenantes, il est pertinent de se demander si là est la seule justification de ces paris, parfois très audacieux… En quoi les collaborations et leurs expressions retail peuvent-elles aujourd’hui nourrir la relation entre une marque et ses clients ?

Bousculer sa boutique et ses clients.

Quelle enseigne de luxe ne s’est jamais sentie enfermée, emmurée dans sa boutique hautement codifiée ? Et que dire des clients, qui certes rassurés par la constance du service, pourraient avoir parfois envie d’être un peu surpris, chamboulés, durant leur visite… Disons-le simplement : collaborer, c’est avant tout la possibilité de s’offrir temporairement la liberté de s’aventurer sur des territoires nouveaux, et de se laisser tenter par des produits "non conventionnels" pour la marque. Souvenons-nous du coup de maître de Louis Vuitton et Supreme par exemple !

©Louis Vuitton Supreme

Et puis collaborer, c’est aussi simplement pouvoir animer sa boutique, comme l’a fait avec beaucoup de justesse Balenciaga, se laissant récemment "hacker" par Gucci. Les non avertis y auront vu un incroyable graffiti, et les plus curieux se seront laissés en outre déstabilisés à l’intérieur du point de vente, les "G" du monogramme de la maison italienne ayant subtilement fait place "aux doubles B" ! Bref, collaborer, c’est en premier lieu s’amuser, et amuser ses clients.

Proposer une expérience qui dépasse le produit.

Bien qu’il matérialise logiquement une collaboration entre deux entités, le produit n’en est absolument pas l’aboutissement aujourd’hui. Le propre d’une collaboration est en réalité la rencontre de deux univers de marque, pour donner naissance à une expression hybride. Le produit n’est donc, selon moi, qu’un moyen d’exprimer cette rencontre.

Aujourd’hui, pour les nouveaux consommateurs du luxe, la recherche d’une expérience client inédite dépasse l’intérêt porté au produit seul : 62% des 18-26 ans préfèrent dépenser 10.000 dollars pour une expérience, contre 38% pour un produit*. La quête du produit devient ainsi tout aussi importante que le produit lui-même, et les boutiques se transforment en véritable sanctuaire pour ces derniers. C’est pourquoi les collaborations doivent véritablement permettre d’inventer une nouvelle expérience client dans la boutique, qui ne se contente évidemment pas d’accueillir cette nouvelle collection.

Citons-ici la réussite du pop-up store The North Face x Gucci - immersion totale à l’intérieur d’une superstructure version camping, où gazon vert moelleux, projection d’étoiles, et bande son vous embarquent dans une découverte de haute altitude. Une expérience qui se poursuit d’ailleurs en ligne puisque des accessoires pour avatars étaient collectionnables via Pokémon Go. Proposer une expérience augmentée par le digital est en effet crucial lorsque l’on sait que 68% des milleniums sont en demande d’expériences intégrées et multi-channel*.

©Gucci The North Face

S’engager !

"Participer avec un ou plusieurs autres à une œuvre commune". Telle est la définition donnée par le Larousse pour le verbe "collaborer". Et si les collaborations proposées par les marques demain permettaient aux clients de s’engager à leurs côtés au profit de causes communes ?

En juin 2021, LVMH annonçait son partenariat avec la start-up française Weturn. L’objectif : développer le recyclage des invendus textiles, rouleaux de tissus et chutes de confection en les transformant en nouveaux fils de qualité. Cela m’interroge. Pourquoi ne pas créer des lieux dédiés, pour permettre au plus grand nombre de découvrir la collaboration entre les deux entités, en comprendre les bénéfices, et s’engager avec eux ? Pourquoi ne pas imaginer des objets – où même le pop-up store entier - créés à partir de cette matière recyclée exceptionnelle ?

Il est à souhaiter que ces collaborations nouvelles, pensées pour le bien commun, permettent aux marques de créer des leviers d’engagement expérientiels puissants pour embarquer leurs clients, dès la visite en boutique ! Faire du retail le point d’ancrage des engagements de la marque est sans doute le meilleur moyen de redonner du sens à la boutique dans des parcours d’achat toujours plus digitalisés. Inscrire ces engagements à travers des collaborations permet donc non seulement de les renouveler, et de les enrichir, mais aussi et surtout de bénéficier de la visibilité et de l’intérêt suscités par l’effet d’annonce.

*Source : Luxe & Millenials by Disko

Rémi Le Druillenec est le co-fondateur et directeur général de Héroïne, co-auteur du livre "Le magasin est-il mort ?".

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