Exclusif
« Il est fascinant de voir à quel point le contexte géopolitique et idéologique a dominé et orienté les découvertes technologiques. » Gilles Babinet, Conseil National du Numérique.
Publié le par Journal du Luxe
Focus exclusif sur le dernier Hors-Série "IA, Web3 et Luxe : au cœur d’une (R)évolution technologique" du Journal du Luxe avec un extrait de l'entretien mené avec Gilles Babinet, Entrepreneur & Co-président du Conseil National du Numérique.
Journal du Luxe
En tant qu’entrepreneur, vous avez développé une expertise reconnue dans le domaine des technologies de l’information et de la communication. Pouvez-vous nous partager les enseignements les plus précieux que vous avez tirés de votre parcours et de vos collaborations ?
Gilles Babinet
C’est une vaste question et elle pourrait mériter une très longue réponse. Pour ceux qui entreprennent, je dirais "qu’il n’est de richesse que d’hommes". En la faisant courte, il est préférable d’avoir un projet moyen et une très bonne équipe que le contraire. Je l’ai vérifié à de nombreuses reprises. Parmi les talents d’une bonne équipe, il y a le focus et la capacité d’exécution, un réel enjeu à l’ère de TikTok et des réseaux sociaux. En moyenne, on change de tâche toutes les 45 secondes aujourd’hui... Il y a 20 ans, je me souviens que mon associé et moi-même passions 12 à 14 heures sur des feuilles Excel à discuter avec les différentes équipes du budget. Je me demande si c’est toujours possible aujourd’hui.
Journal du Luxe
Votre dernier ouvrage "Comment les hippies, Dieu et la science ont inventé Internet" (Éditions Odile Jacob, 2023) explore l’histoire d’internet et met en lumière les acteurs méconnus qui ont façonné le paysage numérique d’aujourd’hui. Comment la compréhension de cette histoire peut- elle nous aider à mieux appréhender les défis et les opportunités qui se présentent à nous dans ce nouveau paradigme ?
Gilles Babinet
Merci pour cette question car c’est exactement à cela que j’ai cherché à répondre lorsque j’ai écrit ce livre : je me suis demandé ce que pouvait nous enseigner l’histoire de la technologie à un moment où nous n’arrivons plus à prévoir ce qui pourrait bien se passer, ne serait-ce que l’année d’après. Ce qui est fascinant, et cela continue à m’impressionner, c’est de voir à quel point le contexte géopolitique, idéologique, a dominé et profondément orienté les découvertes technologiques. Le mainframe, gros et opaque, inventé par les militaires de la guerre froide, le micro-ordinateur par les hippies des 30 Glorieuses américaines, le cloud par les marchands de la globalisation, le Web3 par les néo réactionnaires et populistes qui dominent l’espace idéologique contemporain.
Journal du Luxe
L’avènement technologique de ces deux dernières années amène désormais les régulateurs à se pencher sur le sujet. Selon vous, comment les gouvernements et les entreprises peuvent-ils renforcer leur collaboration afin de dynamiser l’innovation et d’encourager la croissance économique ?
Gilles Babinet
C’est loin d’être facile et je n’exclus pas que les différentes approches se révèlent fatales à certains. Si l’on prend l’IA, personne ne sait prédire ce qui va se passer. Nous savons que nous avons besoin de régulation mais franchement, nous ne savons pas laquelle. Le risque pour l’Europe avec le AI Act, c’est de faire fuir les équipes qui veulent expérimenter des choses un peu hasardeuses, mais potentiellement de nature à changer le jeu. Les questions que l’on peut se poser sont de l’ordre de "accepte-t-on que des données de quelques patients se retrouvent dans la nature si les bénéfices, par ailleurs en santé, sont immenses ?". Aujourd’hui, en Europe, c’est clairement non. La sécurité absolue peut cependant aussi signifier des possibilités d’innovation marginales. Autre exemple, accepterait-on qu’une voiture autonome tue quelqu’un parce qu’elle a confondu le reflet de l’arrière d’un camion avec le soleil ? Il s’agit d’un cas réel. Il n’est pas impossible qu’après un tel accident, des voix s’élèvent pour une mise à l’arrêt des programmes de VEA en Europe, même si les accidents liés à ce type de véhicules sont 15 fois moins importants que ceux conduits par des humains. Malheureusement, ce débat est en proie à une hystérisation provoquée par ceux qui ressentent une appréhension face à l’avenir. La France étant le pays le plus pessimiste au monde selon Time Magazine (2016), celui où les gens ont le plus peur dans le noir (Adventourly 2023), il est manifeste que nous avons un enjeu à traiter si nous voulons innover sérieusement.
La suite de l'interview, l'intégralité du Hors-Série ainsi que le replay du Webinar "IA & Data" sont