« La stratégie marketing des réseaux sociaux présente des intérêts peu compatibles avec la notion de deuil. » Ludovic Broyer, iProtego

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Comment gérer l'identité numérique de celles et ceux qui ne sont plus là ? Peut-on parler d'immortalité virtuelle ? Entretien avec Ludovic Broyer, fondateur d'iProtego, société spécialisée dans la gestion et la protection de l'identité numérique des particuliers et des entreprises.

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Comment est vécu, en 2021, le deuil numérique d'un proche ?

Ludovic Broyer

Très souvent douloureusement. Faire son deuil consiste à laisser partir la personne défunte alors que les réseaux sociaux ont cherché à créer de la proximité et de l’engagement. Le premier cas de deuil numérique que j’ai rencontré était celui de parents dont le fils était mort et dont le compte Facebook continuait à publier, étant utilisé par la compagne du défunt. Cette situation illustre parfaitement la complexité qui se dégage de ce sujet.

L’émergence des réseaux sociaux et leur stratégie marketing, qui consiste à créer toujours plus d’engagement entre les utilisateurs de manière à bénéficier d’une base de données la mieux qualifiée possible, présente des intérêts peu compatibles avec la notion de deuil. C’est la raison pour laquelle lorsque que vous cherchez à supprimer un compte d'un réseau social pour cause de décès, ce dernier fera tout son possible pour vous amener à choisir une conversion plutôt qu’une suppression. Lorsque je supprime un compte de Facebook, je fais baisser la valeur de Facebook ! De très peu, certes, mais je la fais baisser quand même. Facebook préfère alors convertir le compte du défunt en stèle numérique, permettant de qualifier les autres comptes Facebook qui entreront en interaction avec celui du défunt.

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À quoi renvoie le concept d'immortalité virtuelle ?

Ludovic Broyer

L’intelligence artificielle est un outil prodigieux capable de grandes choses pour peu qu’on puisse la nourrir avec une base d’apprentissage suffisante. Appliqué au concept social, on peut l’utiliser pour animer un compte, un avatar, ou une vidéo. Dans le prolongement de ce que j’ai évoqué tout à l’heure, c’est-à-dire l’intérêt commercial, ces plateformes digitales ne nous ont pas attendu pour faire le constat que le deuil numérique allait devenir un sujet de grande ampleur. En effet, nous n’en sommes qu’aux prémices : aujourd’hui, la majorité des utilisateurs sont plutôt jeunes et cela ne fait que quelques années seulement que les réseaux sociaux ont été adoptés. Néanmoins il n’aura échappé à personne que le sujet va en grandissant, amenant ces acteurs à se demander comment continuer à valoriser ce capital de données même après la mort.

Si on combine un compte Facebook avec une intelligence artificielle, il devient tout à fait facile de recréer un avatar de la personne défunte. Le réseau social sait tout d'elle : ce qu'elle a aimé, ce qu’elle n’a pas aimé, ce qui l’a fait réagir vite ou moins vite, de quelle manière elle s’exprimait à travers ses posts... À partir d’un enregistrement sonore, il est possible de recréer la même voix. Avec la 3D et l’IA, toujours, il est possible d'animer une vidéo ou un avatar vidéo qui parlera, utilisera les mêmes mots avec la même voix que le défunt. Encore plus fort au vu des échanges MSN ou sur Facebook, Twitter ou Instagram, ce clone virtuel aura acquis la mémoire du défunt c’est-à-dire que je pourrai parler avec lui de telle ou telle personne, me remémorer tel événement que nous avons partagé… Or, faire son deuil c’est laisser partir, accepter la séparation imposée par la mort. Dans ces conditions, on peut se demander quel sera l’impact profond de ce concept d’immortalité numérique.

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Quelle est la solution d'iProtego ?

Ludovic Broyer

Nous agissons à deux niveaux. Dans le cas où aucune disposition particulière n’a été prise pour le départ le défunt, notre interlocuteur est la famille et notre mission consiste à supprimer les éléments qui peuvent être des comptes sociaux, des e-mails ou des pages web. Par ailleurs, nous avons développé une solution "Deuil Numérique" qui permet à chacun de prendre ses propres dispositions sur ce sujet. Ainsi, il est possible de définir à l’avance ce que l'on souhaite faire de son compte Facebook, Instagram ou encore Twitter, de ses e-mails, de son compte de crypto-monnaie et de n’importe quel compte nécessitant une identification numérique. Je peux décider de sa supression, de sa conservation ou de sa transmission à la personne de mon choix. Cette solution épargne à la famille de douloureuses démarches, encore compliquées par les process mis en place par les éditeurs.

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Les notions d'héritage et d'immortalité virtuelle peuvent-elles s'associer ?

Ludovic Broyer

La question financière est très intéressante car si une immortalité virtuelle existait, elle serait nécessairement dépendante des machines qui la font exister, il y aura donc nécessairement un coût à prendre en compte. Qui payera alors ? Peut-on imaginer un service freemium offrant un avatar de base qui pourra être ensuite amélioré par un service payant souscrit par la famille ? Ou bien y aura t il des "fermes" d’êtres immortels, à la façon de gros data centers qui feront vivre virtuellement des millions d’individus ? Et ces individus, considère t-on qu’ils sont encore vivants ? Auquel cas il n’a pas lieu de faire hériter quelqu’un à leur décès...  Cette question soulève encore plus de questions, j’y vois différentes frontières dont certaines sont sociétales. À partir de quel moment puis-je considérer qu’un programme tournant sur un ordinateur qui anime un avatar est vraiment la personne ?

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