Chronique

La Gamification en Asie : une réalité culturelle ?

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Squid Game, Battle Royale, The 8 Show, Terrace House, Running Man, Produce 101, Sauve qui Pécho… Ces titres témoignent de la fascination mondiale pour les séries et émissions de compétition asiatiques. Le succès phénoménal de Squid Game, série la plus visionnée de l’histoire de Netflix, en est une preuve éclatante. Mais cette fascination dépasse le simple engouement pour des scénarios haletants. Elle révèle une dynamique culturelle plus profonde, où la progression, l’élimination et la récompense façonnent les comportements sociaux.

Pourquoi ces récits résonnent-ils aussi puissamment en Asie ? Et pourquoi cette logique influence-t-elle aujourd'hui les attentes des consommateurs et des marques ?

La compétition comme socle culturel

En Chine, en Corée du Sud ou au Japon, la compétition structure les trajectoires individuelles. Dès l'enfance, le système éducatif impose des épreuves d'une intensité rare. Le Gaokao en Chine, le Suneung en Corée et le Shiken Jigoku au Japon conditionnent l'accès aux meilleures universités et, par conséquent, aux opportunités professionnelles les plus prestigieuses.

Ces épreuves, véritables rites de passage, laissent une empreinte durable. Elles installent l'idée que le mérite se conquiert à travers l'effort et la persévérance, et que chaque progression est le résultat d'un engagement constant. Cette mentalité s'étend ensuite à la vie professionnelle, aux relations sociales, et même à la consommation.

Cette vision du mérite et du parcours se reflète dans les récits culturels. Squid Game transpose cette réalité dans une fiction dystopique, où la survie passe par des épreuves brutales. Produce 101 plonge des jeunes artistes dans un processus d’élimination, où seuls les plus stratégiques et endurants parviennent au sommet. Même des formats plus subtils comme Terrace House exposent la pression sociale et les attentes silencieuses qui encadrent les relations interpersonnelles.

Une économie du prestige conditionnée par l’engagement

Cette dynamique de progression s'étend à l'économie et à la consommation. Accéder à l'exclusivité en Asie dépend de la capacité à démontrer son engagement et sa détermination.
À Séoul, la Maison Galleria illustre parfaitement cette logique. Pour accéder à son espace ultra-exclusif dédié aux HNWI (High Net Worth Individuals), les clients doivent d'abord réaliser un volume d'achats conséquent, pouvant atteindre 30 000 €. Cet investissement initial n'est pas perçu comme une contrainte, mais comme le prélude à l'accès à un cercle restreint et valorisé. L'expérience devient alors une quête, et l'accès, une récompense méritée.
Ce modèle, fondé sur la progression et la récompense, renforce le désir et l'attachement à la marque. Chaque étape franchie valorise l'engagement du client et transforme l'achat en un parcours initiatique.

L'Exemple Hermès : la Maison qui a tout compris

Hermès illustre parfaitement cette logique. L'accès aux sacs iconiques, le Kelly et le Birkin, dépasse l'acte d'achat classique. Ces pièces ne sont pas immédiatement accessibles. Elles nécessitent de construire, dans le temps, une relation et de démontrer sa ténacité.
Cette stratégie n'est pas perçue comme un obstacle, mais comme une valorisation du parcours. Obtenir un Birkin ou un Kelly devient l'aboutissement d'une démarche construite, presque comme gagner la Triforce dans Zelda. Le luxe, qui se mérite, renforce l'aura de la marque et nourrit le désir d’appartenance.
En Asie, l’accès au prestige n'est pas donné, il se conquiert. Ce modèle s’inscrit en parfaite résonance avec les habitudes culturelles de la gamification, où chaque progression renforce le sentiment d’appartenance et la valeur symbolique de l’objet convoité.

Une fascination globale

Cette logique de progression et de mérite ne se limite plus à l'Asie. Elle séduit désormais une audience mondiale. Le succès planétaire de Squid Game en est l'illustration : il révèle un désir universel de conquérir le prestige, de le mériter, et d'en faire l'aboutissement d’une quête.

Dans un monde où l'immédiateté a banalisé l'accès au luxe, la notion de parcours redevient centrale. Les marques qui sauront proposer des expériences engageantes, où chaque interaction devient une étape vers l'exclusivité, capteront cette attente croissante. Elles renforceront la valeur perçue de leurs produits en transformant l'accès au luxe en un privilège qui se gagne.

Parce qu'aujourd'hui, le prestige ne se résume plus à la rareté d'un produit. Il s'incarne dans le chemin parcouru, dans l'effort consenti et dans la satisfaction d'avoir mérité sa place. Le luxe devient une histoire personnelle, façonnée par l'engagement et la persévérance. Et c'est dans cette dynamique que réside désormais le désir.


Hana Tolio, fondatrice de The Art of Jeong, est experte en marketing culturel asiatique. Spécialisée dans le soft power coréen et la pop culture japonaise, elle accompagne les marques de luxe dans leur développement stratégique entre l’Europe et l’Asie, en concevant des stratégies sur mesure adaptées aux attentes des consommateurs asiatiques.

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