
Chronique
Contrefaçon et Dupes : un peu, à la folie…
Publié le par Olivia Dhordain
Autrefois, la contrefaçon était le fléau du luxe. Aujourd’hui, il n’est question que de "dupes"… Y a-t-il une différence ? Et si oui, laquelle ? Pour le savoir, il faut remonter un peu dans le temps.
Les Titans du luxe sont nés avec le "luxury branding". Au cœur de ce "branding" deux ingrédients : la marque et le marketing.
Le contrefacteur, laissant les dépenses de marketing aux Maisons de luxe, a pleinement profité du pouvoir de la marque. Sa recette à lui ? Vendre des copies de plus ou moins mauvaise qualité en y apposant la marque idoine. Peu importe le design du produit : tout est dans la marque. Une activité lucrative… mais pas sans danger.
En effet, les Maisons sont armées : la marque enregistrée est un outil redoutablement efficace. Elle permet de travailler directement avec les autorités douanières ou policières pour opérer saisies, destructions et interpellation de contrefacteurs sans d’abord passer par la case "tribunaux". C’est efficace. C’est rapide.
Mais pour mieux séduire, le luxe n’a de cesse de se renouveler… le branding a été délaissé, perçu désormais comme indésirable. En lieu et place, les Maisons ont puisé dans leur histoire pour identifier un produit ambassadeur. À chaque Maison son "icône" : Pour Hermès, c’est le sac Birkin ; pour Dior le Lady Dior ; Chanel, le 2.55 ; Cartier, Le bracelet Love ; Van Cleef & Arpels, le sautoir Alhambra ; Loro Piana, la chaussure à la semelle blanche…. La Maison se nourrit de son icône, les ventes s’enchaînent malgré un prix toujours en hausse. Le produit iconique incarne désormais la marque.
Ce faisant, de Titan, le luxe s’est transformé en colosse… Et tout colosse a son pied d’argile.
Le contrefacteur en a ajusté son business model, visant le pied. Il s’attache désormais à reproduire l’icône sans y apposer la marque… peu importe si le faux bracelet Love ne porte pas la marque Cartier. Il ressemble à s’y méprendre à l’original et la signature étant dans le produit, la marque n’est plus nécessaire. Le Gen Z a fait des dupes une contre-culture : il porte un bracelet iconique qu’il ne pouvait pas s’offrir. Il y trouve une certaine satisfaction – bien dupé celui qui croyait…
C’est d’autant plus vrai que face aux dupes, les Maisons sont démunies. Sans marque, pas de contrefaçon. Pas de saisie, pas de destruction. Les outils de design ou même de droit d’auteur sont souvent soit fragiles soit expirés… les équipes juridiques doivent redoubler de créativité pour plaider concurrence déloyale, parasitisme ou – en Chine – le décor d’influence. Pour chaque cas, il faudra engager des actions longues et coûteuses.
Les marques ne trouveront donc pas la solution devant les prétoires.
La seule issue est de reconquérir ses clients. Les séduire avec de nouvelles créations, des rituels uniques et des histoires que seules les Maisons peuvent raconter. Reconquérir ces clients qui ne sont pas dupes, mais qui expriment leur désamour : "un peu, à la folie… pas du dupe".
Avocate spécialisée en propriété intellectuelle, Olivia Dhordain a passée 17 ans chez Richemont dont 12 en qualité de Directrice adjointe du département de Propriété Intellectuelle du Groupe. Fort de son expertise et de sa connaissance de l’industrie du luxe, Olivia conseille et accompagne aujourd’hui des entreprises désireuses de faire de leur propriété intellectuelle un atout de compétitivité et de croissance.

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