Exclusif

« La montre est comme un symbole de l’alliance des valeurs d’une marque et de celles de son collectionneur » Guido Terreni, Fleurier Parmigiani

Publié le par

Les montres Parmigiani, à Fleurier, représentent un vrai cas d'école de construction de marque dans le haut de gamme horloger suisse. Rencontre avec son directeur générale Guido Terreni.

Il est rare qu'un manager exerce une influence aussi forte sur sa marque. Il faut réunir quelques conditions : organisation de petite taille, actionnariat aligné avec ses objectifs, et une puissante vision de la marque. Guido Terreni a réuni toutes ses conditions en travaillant depuis 3 ans chez Parmigiani et en s’épanouissant dans ce rôle.

L'homme est trilingue. Distingué et calme, il a fait ses preuves à la tête de Bulgari. C'est lui qui a créé un produit qui se nomme Octo et qui est le cœur des ventes de montres masculines du géant italien. Quand il reprend Parmigiani Fleurier, le Covid a déjà frappé, les confinements bloquent l'Europe et une partie du monde et le tableau est sombre. Il a pourtant une idée précise partagé avec la fondation Sandoz : refaire de Parmigiani Fleurier la marque qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être. Et cette idée repose sur une approche qu'il qualifie lui-même de "sartoriale".

Alexis de Prévoisin

Quelle est votre "photographie" de la marque pour la présenter aux lecteurs ?

Guido Terreni

Derrière le nom, il y a un horloger de génie, Michel Parmigiani. La première particularité que le public retient aujourd’hui est d'appartenir à la fondation Sandoz, véritable mécène horloger.

Le pôle horloger a été ouvert il y a douze ans, avec l'idée de composer une marque (une seule) et avec sa manufacture de production artisanal intégré. Une vision à très long terme, presque anachronique, qui est perçue comme très risquée au tournant des années 2000. Le défi est relevé dans ce marché actuel du haut de gamme, caractérisé, entre autres, par l'importance grandissante d'un contenu horloger original et authentique. Parmigiani Fleurier s'est ainsi construite peu à peu comme une véritable marque au style épuré, intemporel et pour servir de véritables collectionneurs.


L’histoire commence par la restauration de la collection de montre de la famille Sandoz. C’est à ce moment-là qu’ils demandent à Michel s’il veut créer une marque, en proposant de le soutenir financièrement dans cette entreprise. Michel a accepté, avec pour objectif, à la fin de la crise du quartz, de rétablir les savoir-faire de l’horlogerie traditionnelle. Cela a été possible grâce à son immense connaissance de l’histoire de l’horlogerie, de la finesse des finitions, des composants et des mouvements. Comme un restaurateur, il a bâti la marque de l’intérieur. Avec la Fondation, ils ont investi dans un "musée vivant", comme l’aurait fait un restaurateur ou un curateur de musée vivant.

À l’époque, c’était un autre temps, mais les valeurs intrinsèques qui émanent de Michel lui-même ont su toucher une cible de connaisseurs en horlogerie : une profondeur culturelle, une maîtrise du métier, une connaissance de l’histoire de l’horlogerie, avec un style discret. Parce que le restaurateur travaille sur la création de quelqu’un d’autre. Le restaurateur ne doit pas se mettre en avant ; il doit valoriser le créateur original. Cette tension entre ce savoir-faire et cette haute compétence forme un parti pris de discrétion, d’absence d’ego, qui sont les fondements de Parmigiani. Cette marque de fabrique est devenue l’ADN de la marque. Elle confère aujourd’hui à la maison une pureté, de l’esprit horloger, de l’art artisanal.

La marque a su toucher une clientèle, malgré un caractère peu commercial, alors que tout le monde se tournait vers le quartz et que l’accent était mis davantage sur l’esthétique que sur l’aspect technique. La renaissance de l’horlogerie mécanique a commencé au début de ce siècle, avec un retour en force des montres mécaniques, qui dominent aujourd’hui en termes de valeur sur le marché.

Voilà l’histoire – très résumée de la marque – et de son pivot pour passer de restaurateur à véritable marque de haute horlogerie épurée.

Alexis de Prévoisin

Vous êtes passés de la pire année d’exploitation (perte 2021) à la meilleure année, expliquez-nous comment ?

Guido Terreni

Durant vingt ans, Parmigiani Fleurier a produit des montres de poignet de tous types. Sportives, habillées, délicates, étranges, dans le goût de ces décennies, et aussi en travaillant sur des codes classiques. C’était lié à l’idée de restauration comme ADN de marque. Mais à force d’absence à la fois de "véritable de positionnement" et de "design récurrents", l'ensemble a fini par se "déliter". Pourquoi une marque aussi raffinée et ancrée dans les codes classiques n’avait-elle pas son style ? À force aussi de déficits chronique sur le plan business – une fondation n’est pas simple mécène et cherche l’équilibre au minimum - , la gouvernance a entièrement révisé sa position, décidé de faire le ménage. C'est ainsi qu'une pépite de la haute horlogerie, connue pour ses automates, son chronographe à seconde rattrapant, ses quantièmes perpétuels dédiés à des calendriers non grégoriens, sa bibliothèque des complications possible et son élégance folle, …est devenue une marque sans force, ni direction !

En 2021, Parmigiani Fleurier m’a demandé de retravailler le mix complet de la marque pour la relancer. En 3 ans, nous sommes passés de déficitaire à marque rentable et désirée.

© Fleurier Parmigiani

Alexis de Prévoisin

Parlez-nous de votre travail de "reset" de la marque ?

Guido Terreni

J’ai travaillé avec les équipes sur les collections, le client et les valeurs. Dans cet ordre. Avec la "chance" de la pause COVID pour faire en profondeur ce travail durant cette pause imposée. La démarche de création a été fine, longue, réfléchie.  

Nous avons épuré, simplifié les lignes de collections, fait le choix de l’artisanat d’art dans une approche "sartoriale" – c’est-à-dire mêlant le fait main et les règles de l’art du métier, en reliant l’artisanat épuré à tous les codes de haute horlogerie, élevé au rang d’art horloger. Au cours de ces 20 dernières années, la marque avait perdu le contact avec sa clientèle, et puis le goût pour l’horlogerie a beaucoup évolué.

Le luxe est devenu un secteur beaucoup plus grand, beaucoup plus ostentatoire, avec un luxe plus quantitatif, si l’on peut dire. Nous avons d’abord renouvelé les collections d’un point de vue stylistique, et donné de la force par un positionnement plus clair. Ensuite nous sommes allés revoir nos clients avec ce travail. Nous voulions répondre à la question qui est notre client ? Qui voulons-nous servir ? Qui achète Parmigiani ?

Un client éduqué au luxe, à la joaillerie, avec un tempérament indépendants et discrets... ne suit pas des plans marketing trop formatés pour se décider d’acheter. L’accueil a été extraordinaire sur cette démarche d’artisanat épuré, élégant, intemporel et vivant.

Coté valeurs de marque, elles se sont alignées avec celles du client, et vice versa. La montre est comme un symbole de l’alliance des valeurs d’une marque et de celles de son collectionneur. Notre ambition est désormais très élevée : la marque est ancrée dans la Fondation avec une vision de manufacture artisanale, une compréhension de la clientèle, et une cohérence stylistique… ce qui explique notre carnet de commande auprès des acheteurs du monde entier, et les résultats !

Alexis de Prévoisin

Quels ont été les clés de succès ?

Guido Terreni

Nous avons progressé de l’intérieur, et nous sommes passés du rang de nouveauté à celui de référence en seulement trois ans. Ce n’est pas seulement une question d’esthétique, bien que le style soit extrêmement important.

Nous travaillons avec des horlogers de haut niveau et nous avons innové sur le plan technique. Ce n’est pas seulement la partie visuelle qui est cruciale pour une marque de montre, même si le logo s’est fait plus discret en version symbole "poinçon" comme celui du restaurateur ou du maitre horloger.

Alexis de Prévoisin

Comment s’organise votre distribution ?

Guido Terreni

En 2022, nous avons réduit notre distribution de deux tiers. Cela ne sert à rien de disperser nos produits aux quatre coins du monde. Ce qui est important, c’est de comprendre qui veut travailler avec nous sur le long terme, qui croit en notre projet et à notre vision, et qui a une clientèle potentielle. Vendre cinq montres par an dans une boutique, je ne sais où, n’est pas suffisant pour maintenir la fraîcheur de l’assortiment. Est-ce que "marque indépendante" signifie "circuit de distribution indépendant" ? Pour l’instant, oui.

Nous avons des partenaires qui sont parmi les meilleurs de l’industrie. Nous travaillons avec environ 80 clients et une centaine de points de vente, certains étant multi-points de vente. Ces partenaires ont leur propre clientèle, qu’ils amènent à la marque. De notre côté, nous apportons notre créativité et notre identité de marque. Les deux parties doivent se respecter.

La longévité d’une marque est liée au respect qu’elle inspire chez ses partenaires. Si ces derniers exploitent la marque, il vaut mieux se séparer immédiatement, car nous ne sommes pas là pour un coup d’éclat, mais pour grandir ensemble.

© Fleurier Parmigiani

Alexis de Prévoisin

Quelle est votre définition du luxe ? 


Guido Terreni

J’aime parler d’élégance, de raffinement et d’intimité. D’une élégance qu'on ne crie pas. D’un raffinement pour soi. Du plaisir de porter le noble d’un artisanat sans que cela ne se distingue de loin.

La stratégie horlogère de Parmigiani est issue d'une culture du beau. Une sorte d’idéal de la Renaissance moderne. Je n’aime pas parler de ce qu’est le luxe, car cela touche au privé. Vous venez "à" Parmigiani à la suite d’un parcours initiatique. Vous avez déjà fait vos expériences de marques horlogères pour satisfaire vos besoins de reconnaissance sociale, d’affirmation de votre identité…. Cela fait partie d’une initiation au luxe pour soi ou d’être d’un club privé de connaisseur.

Ensuite, les vrais connaisseurs du luxe comprennent que le luxe est une expérience personnelle, privée, intime, d’éducation, de chemin. Et lorsque vous optez pour ce choix de luxe, c’est pour moi un signe que vous êtes libre d’acheter ce que vous désirez vraiment, non influencé par l’opinion des autres, ni par le marketing.

Nos clients savent que leur montre ne sera pas immédiatement reconnue, mais quand quelqu’un lui dira : "Vous avez une Parmigiani", alors là, vous êtes déjà à un niveau de connaisseur, d’intimité et d’initiés entre eux.

Alexis de Prévoisin

Quelle est votre politique de communication ? Vous avez des égéries ou des collectionneurs connus ?

Guido Terreni

La communication, c’est d’abord et surtout le produit ! Uniquement. Et la pureté des images pour rendre les textures, les couleurs, les matières.

Bien sûr, tout le monde a commenté notre montre au poignet du Roi Charles III– client prestigieux de la maison - mais nous n’avons jamais communiqué dessus, et nous gardons très secrète l’intimité de nos clients.

Notre communication tient dans nos gardes temps, notre manufacture et notre réputation

Alexis de Prévoisin

Comment définissez-vous votre style, votre signature de marque ?

Guido Terreni

D’abord je tiens à faire la différence entre une marque de niche et une marque indépendante. Nous avons l'âme d'une marque indépendante, pas de la marque de niche.

MB&F fait de la haute couture horlogère avec un style très personnel, très créatif. Nous avons le parti pris d’un style élégant, classique et moderne à la fois. On pourrait parler de notre style comme minimaliste, mais très raffiné. C'est une tension dans un concept mixte d’épuré et de générosité à la fois. Parce que la pureté de l'idée doit être simple, doit être forte.

Quand vous regardez nos montres dans les détails, elles sont d’abord pures. Et puis, quand vous regardez le soin qu'il y a dans chaque composant, vous découvrez sa richesse. Par exemple nous travaillons sur le confort au poignet, aussi bien par le poids de la tête des montres que par le bracelet morpho-poignet. Notre public suit l'innovation dans l'industrie et celle de nos montres.

Alexis de Prévoisin

L’expérience client horlogère haut de gamme souffre d’un point : l’attente du client

Guido Terreni

En effet, le marché "demande" des délais courts dans une industrie où les temps de développement sont longs. Il est parfois plus simple de rééditer un modèle que de se lancer dans quelque chose de nouveau. Le Covid vous a imposé une introspection, une pause, puis à repartir vers une quintessence de nous-même.

C’est vrai que c’est une industrie où il faut jongler entre des délais courts et des cycles longs. Il y a aussi un changement du côté de la clientèle. Dans les années 70, les produits de luxe s’adressaient à seulement 1 % de la population.

Aujourd’hui, beaucoup plus de gens s’y intéressent, et ces nouveaux clients achètent souvent par aspiration. Cela crée une convergence dans les goûts, tandis que la véritable clientèle cible tend à diverger. C’est pourquoi les marques indépendantes sont si intéressantes en ce moment – et permettent de servir les clients -, car la clientèle haut de gamme élargit ses horizons. Elle constate que le marché de masse s’étend dans le luxe, et elle cherche à se différencier.


Aujourd’hui, le temps d’attente a beaucoup diminué. C’est intéressant car, dans notre industrie, l’attente fait partie de l’expérience client mais n’est pas travailler par la marque comme un désir. Quel est le bon délai d’attente ? Est-il normal d’attendre six mois parce qu’on est dans l’artisanat et que l’attente fait partie de l’expérience pour le client ? Ou bien, si on annonce trois ans d’attente, les clients pourraient ne pas comprendre non plus… il faut sans doute travailler sur "l’expérience de l’attente", ce temps de désir, comme en amour !

Consultant indépendant, expert retail lifestyle et horlogerie, Alexis de Prevoisin travaille à l’exécution commerciale, au parcours client pour les maisons de luxe, les marques et les enseignes, dans la définition de leurs cahiers des charges et leur développement des réseaux retail, élabore des stratégies d'expérience client signature et forme les équipes de vente, pour que l’expérience client porte la vision des marques. Serial "doer", il est auteur et conférencier avec "Retail Emotions" et "Store Impact" chez Dunod ; il est le correspondant Suisse du Journal du Luxe.

par