“Nous continuons à assurer notre mission de transmission de la culture joaillière », Marie Vallanet-Delhom, Présidente de l’Ecole des Arts Joailliers Van Cleef & Arpels.
Publié le par Journal du Luxe
En pratiquement dix ans, l’Ecole des Arts Joailliers, soutenue par la maison Van Cleef & Arpels, a su s’imposer comme une référence dans l’univers du bijou. Sa présidente, Marie Vallanet-Delhom, revient sur les spécificités de cette structure inédite et sur les changements adoptés ces derniers mois face au contexte sanitaire.
Journal du Luxe : L’Ecole des Arts Joailliers s’articule autour de cours, de conférences et d’expositions : comment la situation sanitaire a-t-elle affecté cet équilibre et comment vous êtes-vous adapté ?
Marie Vallanet-Delhom : Je pense que le maître mot est l’agilité. Nous nous sommes tous retrouvés dans une situation contraignante. Selon moi, une école qui n’enseigne plus est une école qui, d’une certaine façon, n’existe pas. Mon équipe a été extraordinairement réactive et positive, je lui en suis d’ailleurs très reconnaissante. D’une manière générale, la résilience des entreprises dépend de la capacité de ses membres à être eux-mêmes résilients. Pour l’école Van Cleef & Arpels, c’est la qualité des collaborateurs qui a fait la différence.
Lors de la fermeture de l’école, il nous était impossible de continuer les cours car ils nécessitent un enseignement en présentiel. Notre pédagogie est extrêmement expérientielle : nous apprenons par notre cerveau, mais aussi par nos mains. Pour ne pas perdre le contact avec nos élèves, l’école s’est donc mise aux conférences en ligne et en live, un procédé qui était déjà en réflexion depuis quelque temps. Ainsi, le lien entre les enseignants et les participants a pu être préservé.
Nous avons aussi accéléré le programme en termes de sujets traités. Avant, les conférences en physique s’organisaient une fois par mois : le distanciel nous a permis d’en programmer plusieurs. Chaque conférence est donnée plusieurs fois, en français ou en anglais selon le territoire visé, pour correspondre aux différents fuseaux horaires de notre couverture internationale.
Une autre activité de l’école s’axe autour des expositions. Prolongée plusieurs fois, celle sur l’artiste-joaillier Jean Vendome – qui se termine en mai – a été retransmise en virtuel et sur les réseaux sociaux.
En parallèle, nous avons mis en place début mars un concours pour les enfants, “Créer à la manière de Jean Vendome », en écho à son approche ludique de la joaillerie. À travers toutes ces adaptations, nous continuons à assurer notre mission de transmission de la culture joaillière.
Vous organisez plusieurs fois par mois des conférences en ligne, sur Zoom. Quel accueil est réservé à ces contenus ?
Une communauté s’est fédérée autour des élèves déjà présents avant la crise, mais aussi autour de nouveaux participants. En tout, ce ne sont pas moins de 22.000 participants qui ont suivi nos conférences en ligne. Les élèves apprécient ce format et ne décrochent pas : au bout d’une heure de conférence, 90% des participants sont toujours connectés, et ce grâce à la qualité des contenus. Même sur internet, l’interaction entre les élèves et les speakers reste forte. C’est un moment où les amateurs de joaillerie se retrouvent, acquièrent du savoir et échangent autour de leur passion.
Dans un contexte de distanciation sociale, comment équilibrer pratique et théorie ?
Lorsque l’école a rouvert en septembre, toutes les mesures ont été prises. Comme partout, du gel hydroalcoolique, des masques, des blouses individuelles ou encore des kits d’outils désinfectés sont de rigueur. Pour permettre un retour en cours en toute sécurité, nous avons divisé de moitié les effectifs en classe. Par ailleurs, et avec regret, nous avons été contraints d’arrêter les moments d’accueil des élèves avant que ces derniers ne se rendent en cours. Cependant, nous savons que ce procédé est nécessaire si nous voulons continuer l’enseignement en présentiel.
Quelles sont vos grandes typologies d’élèves ?
C’est presque la question la plus difficile pour moi. L’école a été conçue, en 2012, avec la volonté d’initier le grand public à la joaillerie. Il n’y a aucun pré-requis pour accéder à nos programmes, nous ouvrons nos portes à toute personne de plus de 18 ans, peu importe le parcours. Pour l’anecdote, notre élève le plus âgé avait 83 ans ! Nous comptons environ 60% de femmes et 40% d’hommes avec 65 nationalités différentes pour les cours en présentiel à Paris. Cette diversité reflète notre humanité et fait la force de l’école.
Toute personne qui s’intéresse au monde de la joaillerie, par passion ou simple curiosité, est la bienvenue. Au vu de l’hétérogénéité dans les cours, l’accès à la connaissance est facilité par les moyens pédagogiques mis en place par nos enseignants. Le programme à la carte, qui couvre 27 thèmes, permet également d’élaborer un parcours spécialisé en fonction des besoins et des motivations de l’élève.
Ce système, pour l’enseignement de la joaillerie, est unique au monde. L’univers du bijou est profond et fascinant : cet objet accompagne l’homme depuis le début de son existence.
La crise a-t-elle fait bouger les lignes de ces typologies, notamment en matière de réorientation professionnelle ?
Pour les cas de réorientation professionnelle, il est encore trop tôt pour analyser ce phénomène. Avant la crise, nous recevions déjà une part de personnes qui se questionnaient sur leur métier. En général, celles-ci exercent une profession qu’elles n’ont pas choisie par véritable aspiration et se demandent si elles peuvent renouer avec leurs rêves… L’école leur permet de vérifier si cette ambition est suffisamment forte pour faire le grand saut de la réorientation. Si tel est le cas, l’établissement les accompagne et les redirige vers des écoles de formation professionnelle.
Quels sont les programmes les plus prisés ?
Les cours de savoir-faire sont très appréciés. Un grand nombre de nos élèves s’intéresse à la façon dont est créé un bijou et aux gestes joailliers, un domaine assez méconnu du grand public.
La gemmologie est aussi un programme populaire. Le monde des pierres, lorsque l’on apprend seul, peut être assez difficile à assimiler car il fait appel à la géologie, à la chimie, à des notions scientifiques… La pédagogie de l’école rend les choses plus accessibles. Le cours d’histoire du bijou rassemble plutôt les personnes passionnées d’histoire ou d’histoire de l’art. Un de nos cours traite, par exemple, de la période de l’Antiquité à la Renaissance. Nous ne nous contentons pas d’un enseignement théorique : l’école s’est dotée d’une collection de bijoux de façon à pouvoir présenter les pièces “en vrai” et expliquer ainsi de manière concrète leurs spécificités. Il est certain que nous n’apprécions pas une œuvre d’art uniquement en la regardant en photo.
L’appétence asiatique – et particulièrement chinoise – pour les produits et les arts joailliers ne cesse de grimper en flèche. L’activité au sein de votre école en Asie-Pacifique traduit-elle cet engouement ?
C’est une évidence. L’école est itinérante et se déplace dans plusieurs pays. Ainsi, en 2013, nous étions au Japon et j’ai pu y observer la passion sur le fait d’apprendre à tout âge. Ce goût du savoir s’observe dans d’autres pays d’Asie, comme en Chine. Nous avons d’ailleurs ouvert une école à Hong Kong où, comme à Paris, les cours sont pleins. Je pense que plus nous pourrions programmer de cours, plus nous aurions d’inscriptions d’élèves avides de connaissances !
Quelles sont les innovations pour 2021 ?
Nous avons décidé de conserver ce système hybride mêlant présentiel et distanciel. D’une part, il nous est très important de préserver cette proximité physique entre l’école et ses élèves. Cette relation nous est précieuse et fait partie de notre identité. En temps normal, lors des conférences en présentiel, nous accueillons les participants par un cocktail. C’est un moment important de rencontres et d’échanges, tant entre les élèves qu’avec les conférenciers et les membres de l’école.
D’autre part, le dispositif en distanciel permettra de ne pas perdre cette nouvelle communauté et de partager les connaissances joaillières au plus grand nombre.
Par ailleurs, nous organisons une nouvelle exposition le 10 juin consacrée au dessin joaillier. Personne n’a jamais étudié ce sujet dans son ensemble, d’un point de vue historique. Cet évènement, que nous espérons tenir en physique, a été rendu possible grâce à notre Département de Recherche qui a travaillé pendant deux ans sur ce thème afin de donner naissance à cette exposition, mais aussi à un nouveau cours.
Quelle est la nature de ce Département de Recherche ?
Au sein de l’école, nous accueillons des chercheurs qui travaillent sur une grande variété de sujets. En ce moment, il y a par exemple tout un chantier de recherche autour de la perle et des échanges commerciaux du XIXe et XXe siècle, où Paris s’inscrivait comme le temple mondial du négoce. En parallèle, nous travaillons sur les bijoux des années 60, dont les spécificités artistiques sont très intéressantes. Grâce à ce Département, nous redécouvrons et analysons diverses notions que nous mettons en lumière à travers des expositions toujours plus exclusives et via nos programmes d’apprentissage.
Crédits visuels : ©L’École des Arts Joailliers