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« L’expression du luxe et de l’identité de chaque maison est plus complexe à maîtriser dans un environnement où les touch points se multiplient » Delphine Vitry & Jean Revis, MAD.

Publié le par Journal du Luxe

Dans la série d'interviews "Le Bilan Luxe de l'année", Eric Briones, Directeur Général du Journal du Luxe, invite plusieurs spécialistes du secteur à s'exprimer sur les sujets qui ont animé 2021. Focus avec Delphine Vitry et Jean Revis, fondateurs de MAD, cabinet de conseil spécialisé dans l'industrie du luxe.

Eric Briones

Quel bilan peut-on faire du luxe en 2021 ? 

Delphine Vitry & Jean Revis

 L’année 2021 a démontré la résilience de l’industrie. Les grands groupes ont majoritairement retrouvé et souvent largement dépassé leurs performances pré-Covid. Les organisations ont bougé, la digitalisation s’est globalement accélérée. L’expérience client, qui était déjà un sujet d’attention majeur chez nos clients, s'est imposée au cœur de leurs enjeux stratégiques dans un monde résolument omnicanal. 

Eric Briones

Quels sont les "grands gagnants" et les "perdants" du luxe cette année ?

Delphine Vitry & Jean Revis

"The winner takes it all!" Les résultats impressionnants de l’industrie en 2021 sont néanmoins contrastés, avec une indéniable prime aux puissants. Louis Vuitton, Dior, Cartier, Chanel ou Hermès ont considérablement renforcé leurs positions. Déjà très présents en Chine, ils ont pu y consolider leurs positions. Incarnation du luxe ultime et, pour les plus puissants, capables de parler à toutes les générations, ils ont su profiter des effets du "revenge buying" ou incarner les valeurs refuge. Ils ont enfin eu les moyens d’investir massivement dans la production de contenus, creusant là aussi l’écart avec leurs challengers. En revanche, les marques plus fragiles, moins agiles, ou tout simplement dont l’assise financière n’a pas permis de poursuivre les investissements nécessaires aux transformations, ont beaucoup plus souffert. 

Eric Briones

Quelle est la définition du luxe en 2021 ? 

Delphine Vitry & Jean Revis

Elle est, comme d’habitude, multiple. Plus que jamais, le luxe doit aussi bien symboliser une victoire individuelle d’accès à un monde fantasmé pour ses « primo-accédants » que repousser ses propres limites pour satisfaire le besoin d’über-luxury de ses aficionados les plus fortunés. Mais plus que la définition du luxe, qui mériterait un ouvrage à elle seule, il paraît important de relever que l’expression du luxe et de l’identité de chaque maison est plus complexe à maîtriser dans un environnement où les touch points se multiplient, où personne n’est à l’abri d’un impair sur les réseaux sociaux. Elle évolue avec la société dont elle est à la fois le reflet et la projection des rêves ou des aspirations. 

Géographiquement, le marché du luxe aux Etats Unis s’est montré extrêmement résiliant sur les deux dernières années et confirme sa solidité. Omnichannel, il s’inscrit dans une vision inclusive portée par exemple tant par feu Virgil Abloh que par les dernières campagnes de Tiffany.

L’Europe, quant à elle, reste le berceau des maisons de luxe, le lieu de la création produit et de la production. Cet ancrage est encore incontesté. D’un point de vue business, la reconquête de la clientèle locale a été l’objet d’une attention particulière qui a porté ses fruits, réconciliant des clients qui avait délaissé le luxe pour d’autres plaisirs… même si in fine la perte des touristes aura été parfois meurtrière.

S’il fallait choisir un seul mot pour définir le luxe en Chine, ce serait "politique" : ce marché, qui représentera bientôt la moitié du business pour cette industrie, est également le plus à risque s’il devenait le symbole d’une vision du monde occidentale à combattre. Wait and see…

En Asie hors Chine, la situation est très contrastée d’un pays à l’autre avec des résultats divers entre Hong Kong, la Corée, le Japon, la Thaïlande ou l’Indonésie. Tous ont souffert de l’absence des touristes chinois. Mais avec des maturités très différentes, la Corée et le Japon ont pu compter sur leur marché domestique pour limiter la casse.

Eric Briones

Quelle méga-tendance luxe voyez-vous triompher en 2022 ?

Delphine Vitry & Jean Revis

2022 devrait poursuivre les mouvements engagés depuis deux ans, dans une situation sanitaire qu’il est difficile d’imaginer soudainement meilleure... D’un point de vue offre, l’über-luxury devrait continuer à se développer, pour porter toujours plus haut le rêve et sécuriser sa désirabilité auprès de HNWI toujours plus nombreux. D’un point de vue business, les enjeux de digitalisation, d’engagement CSR et de réorganisation de la supply chain vont encore s’accentuer pour les maisons. 

Enfin, d’un point de vue capitalistique, les rapprochements pourraient s’accélérer sous deux effets conjugués : la fragilisation des maisons déjà affaiblies et la certitude qu’à moyen terme cette industrie est extrêmement rentable. La balle est dans le camp des vendeurs, car les acheteurs sont pléthores..

Eric Briones

Qui va gagner la guerre du luxe entre Cartier et Tiffany&Co ?

Delphine Vitry & Jean Revis

Peut être les deux ! La puissance de LVMH va indéniablement booster Tiffany qui va profiter d’une nouvelle vision portée par un management qui a fait ses preuves. Mais n’enterrons pas Cartier pour autant dont les résultats 2020 et 2021 ont confirmé la force. La saine émulation entre deux maisons solides pourrait leur permettre d’accélérer leur croissance dans un jeu qui n’est pas forcément à somme nulle, le marché de la joaillerie ayant été l’un des plus actifs ces dernières années. 

Eric Briones

Le luxe a-t-il sa place dans le métaverse ?

Delphine Vitry & Jean Revis

 Le luxe trouvera sa place dans la société car il répond à des aspirations qui sont avant tout humaines. Tout dépend de l’horizon que l’on considère. À court ou moyen terme, nous n’envisageons pas une profonde mutation du business model de l’industrie dont les fondements ne sont pas avant tout technologiques. 

Néanmoins, le luxe se doit d’être dans son temps, pour croiser la route et inspirer ses clients. Si le métaverse est une promesse de rêve et d’émotion, alors il a des points communs avec le luxe. Et si le e-commerce n’a pas permis aux marques de luxe de se distinguer réellement des autres segments - comment battre Amazon ? ou faire significativement mieux que Zara ? - le métaverse semble ouvrir largement les portes de la création et de la qualité d’exécution. Deux domaines où le luxe garde un savoir-faire inégalé. À ce titre, une nouvelle vision du luxe et de nouvelles formes d’expressions pourraient émerger. À suivre.

par Journal du Luxe