Chronique
C’est l’histoire d’une star déchue : Lil Miquela, l’influenceuse virtuelle qui a perdu son âme.
Publié le par Muriel Ballayer
Lil Miquela est un phénomène qui a marqué l’histoire des réseaux sociaux. Créée en 2016 par deux Américains, Trevor McFedries et Sara Decou, elle est la première influenceuse virtuelle occidentale à avoir connu un succès planétaire. Avec son visage de poupée, ses taches de rousseur et ses macarons bruns, elle a séduit plus de 3 millions d’abonnés sur Instagram, où elle se présentait comme une mannequin, une chanteuse et une militante engagée pour les causes sociales.
Pour les marques prestigieuses ayant collaboré avec elle, elle incarnait leur modernité, le média du nouveau siècle. Aux côtés de Rihanna et Kanye West, elle fut louée en 2018 par le Time comme l’une des 25 personnalités les plus influentes du web. En 2020, ses revenus auraient atteint 10 millions de dollars.
Mais aujourd’hui, Lil Miquela semble avoir perdu de sa superbe. Son compte TikTok est inactif depuis novembre 2022, sa chaîne YouTube n’a plus été mise à jour depuis deux ans, et son compte Instagram ne publie que trois fois par mois, avec une baisse significative de l’engagement de ses fans. Comment expliquer son déclin ? Quelles leçons tirer de son échec ? Décryptage.
Lil Miquela, victime de sa propre imposture
Lil Miquela a bâti sa notoriété sur un mystère : était-elle réelle ou virtuelle ? Pendant deux ans, ses créateurs ont entretenu le doute, en la faisant apparaître aux côtés d’humains, en lui faisant raconter des anecdotes personnelles et en défendant des causes nobles que personne n’osait encore embrasser : lutte contre les violences faites aux femmes, ambassadrice du mouvement Black Lives Matter, porte-étendard des minorités.
Mais en avril 2018, dans un storytelling digne des grandes séries américaines, Lil Miquela révèle qu’elle est un robot, créé par une entreprise nommée Brud. Ce coup de théâtre a fait l’effet d’une bombe, et a suscité des réactions contrastées. Certains ont salué le génie créatif de ses concepteurs, d’autres se sont sentis trahis ou manipulés. Lil Miquela a alors changé de stratégie : au lieu de cultiver le mystère, elle a assumé sa nature virtuelle dans le monde réel. Mais elle s’est alors emballée en singeant la vie des humains et en imitant les codes des influenceuses de chair et d’os.
Du statut d'icône virtuelle à celui de diablesse de l'IA
Un changement de cap qui lui a causé tous les torts. Car entre-temps, la technologie de l’intelligence artificielle a fait des progrès fulgurants rendant inquiétant le paysage numérique. Lil Miquela n’a en effet rien à avoir avec un robot. C’est un personnage partiellement en 3D animé par des humains avec un gros travail de post-production pour chacune de ses publications. Elle n’est pas capable de générer du contenu par elle-même, ni d’interagir avec ses fans de manière autonome. Elle est une marionnette numérique, contrôlée par une société et animée par une équipe de talents pluridisciplinaires.
Or, depuis fin 2022, l’avènement de l’IA générative a bouleversé le paysage numérique. Grâce à des algorithmes sophistiqués, il est désormais possible de créer des images, des textes, des sons ou des vidéos à partir de rien, ou en imitant des sources existantes. Ces contenus sont souvent indiscernables du réel, et posent des questions éthiques et juridiques sur leur usage. Face à ces avancées technologiques, Lil Miquela, d’une technologie pourtant déjà dépassée, apparaît comme le symbole dangereux de l’IA. Elle incarne les craintes des humains face à la possibilité d’être remplacés, trompés ou influencés par des machines.
Lil Miquela, un exemple à ne plus suivre
Lil Miquela est donc l’exemple d’une influenceuse virtuelle qui a perdu son âme. En voulant imiter les humains, elle a perdu son originalité et sa crédibilité. En se prétendant robot, elle a perdu sa proximité et sa sympathie, pire elle a joué avec le feu de son attrait initial.
Mais surtout, elle a raté l’opportunité d’utiliser le potentiel de l’influence virtuelle. Au lieu de créer une valeur distinctive, elle a copié les codes des influenceuses humaines : poses hypersexualisées, voyages, nourriture… Elle n’a pas su se différencier, ni apporter une vision nouvelle du monde. Elle n’a pas su exploiter la créativité et l’innovation que permet l’influence virtuelle.
Quelles leçons tirer de son échec ? Celle de proposer une autre vision du monde numérique ! Un monde où les personnages virtuels ne cherchent pas à se substituer aux humains, mais à les compléter. Un monde où les personnages virtuels ne sont pas des outils de manipulation, mais des sources d’inspiration… transparentes.
Construire un monde numérique positif : voilà le défi inspirant de tout projet d’influence virtuelle !