Chronique

MoonSwatch, une provocation luxe.

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Créer la rareté est la clé sur le marché de haute horlogerie depuis longtemps. Ainsi que faire de l’évent, une nouvelle tendance sur ce segment. C'est ce que joue aussi avec succès le groupe Swatch depuis mars 2022 avec le lancement de son modèle, la MoonSwatch - collaboration de Swatch et OMEGA. La commercialisation de la légendaire OMEGA Speedmaster Moonwatch à 250€ dans un segment "mainstream" surfe sur les codes du luxe… avec provocation ! Déclinées en différentes couleurs de planètes - mais sans séries limitées ou numérotées -, elles se font (trop) rares avec des livraisons au compte-goutte partout dans les magasins de la marque…et non vendues sur le site web de Swatch (comme le veulent les codes de l’horlogerie de luxe). 


Si Swatch a sauvé le groupe de la crise du quartz dans les années 80, la marque OMEGA permet la montée en gamme de Swatch aujourd’hui et relance (surtout) les ventes de Swatch avec ce nouveau segment "affordable luxury".

Fly me to the Moon(S)watch.

Fruit de la première collaboration des deux marques du même groupe, cette "fusion produits et marques" est l'événement horloger de l’année. Swatch Group a gagné son pari par une mise en orbite commerciale réussi avec déjà 150.000 MoonSwatch vendues. S'agit-il d'une Swatch premium ou d’une OMEGA d’entrée de gamme? La MoonSwatch a favorisé la spéculation sur les sites d’enchères, ainsi que le courroux de quelques influenceurs horlogers qui ont poussé des cris d’orfraie contre cette atteinte à l’icône d’Omega par ce "me too product"! En attendant, la Gen-Z et les collectionneurs Swatch ont adoré. Ce coup d’éclat est d’abord une "provocation marketing au luxe et un grand coup commercial" revendique le patron du Groupe Swatch & OMEGA, Georges Nicolas Hayek.

©Swatch

Ask for the Moon: écologique.

C’est un sacré pari que de toucher une icône et de la descendre en prix (250€ vs 6300€) et en gamme pour la rendre … désirable, affordable et sustainable. Coup double dans l’épure d’une époque plus écologique, la montre est aussi un manifeste green par une fabrication en biocéramique, ou biocompatible d’un plastique bio-sourcé d’huile végétale de ricin et de céramique conventionnelle. 

Surtout ce nouveau pan complet de collection avec 11 montres d’un coup - bien vu les couleurs et les références aux planètes, les packagings propices aux meilleurs unboxing d’Apple - sonne l'arrivée d’une nouvelle gamme complète, d’un nouveau segment premium chez Swatch. Le tout rapporte pour l’instant aux 2 marques : +6,5% pour le Groupe Swatch au premier semestre, moyenne des ventes des 18 marques tirés par les ventes d’Omega et Swatch, avec +50% de commande pour l’icône d’OMEGA et des ventes qui (re)décollent chez Swatch, surtout auprès d’une nouvelle cible GenZ et collectionneur de montres iconiques !

Coup de génie ou coup d’éclat?

Le marketing de rareté appliqué pour un produit mainstream…c’est nouveau. Ici c’est d’abord un réel coup de booster pour le trafic des 110 magasins par une distribution ultra limitée. Résultats : les images des files d’attente devant les boutiques renvoient aux grandes heures d’Apple Store, alors que la seconde main anime aussi le marché. Les ventes s’envolent et c’est formidable booster pour les 2 marques : quand on sait que le produit phare d’une marque pèse environ entre 30 et 40% de son CA…, la Moonwatch d’OMEGA et la MoonSwacth de Swatch (un S sépare les deux noms des modèles) vont tirer les 2 marques cette année.

L’effet Veblen, éclairage sur le luxe.

MoonSwatch joue l’effet Veblen, appelé aussi "effet de snobisme". Mis en évidence par l’économiste et sociologue Thorstein Veblen dans son ouvrage "Théorie de la Classe de Loisir" (1899) dans le domaine des biens de luxe ou du moins ceux qui permettent une certaine distinction sociale, la baisse de prix de ces produits se traduit par une baisse de l'intérêt qu'ils présentent aux yeux de leurs acheteurs potentiels. De manière inverse, la hausse du prix d'un produit peut le rendre davantage désirable et le faire entrer dans la catégorie des biens dont la possession traduit un rang social élevé. Chez MoonSwactch, le prix devrait faire baisser l’attrait d’une OMEGA Speedmaster, ce que pense beaucoup d’experts ! Mais la valeur perçue entre prix/matière/design pour une montre en plastique et surtout la rareté (feinte), ont joué leur rôle de désirabilité du produit des biens dont le prix reste élevé pour ce type de montre… sans la faire entrer dans la catégorie luxe pour autant. On joue avec l’effet "canada dry de la pub", et ça marche parce que les marques ne trichent pas sur leurs positions respectives et partagent la passion horlogère. Et si finalement cette MoonSwatch était un produit "primo-accédant" au luxe pour les Gen-Z, une démocratisation pour d’autre – le luxe n’en finit plus de faire le grand écart entre produit "d’appel" et "hard luxury", ou tout simplement un produit de collectionneur de la marque Swatch qui a toujours jouer l’effet collectionneur (et joue aussi très fort en horlogerie) !

MoonSwatch un "petit pas pour OMEGA, un grand pas pour Swatch".

L’histoire se répète à l’envers : dans les années 1980 Swatch a sauvé l’industrie horlogère suisse – en portant sa marque sœur OMEGA – en prouvant qu’il était possible de fabriquer un produit en Suisse à un prix extrêmement compétitif avec un look branché et les codes d’une marque disruptive au moment de la crise du Quartz. Swatch a vendu plus de 20 millions de montres par an quand elle était au zénith de sa trajectoire fulgurante. Ce chiffre est descendu cependant à 2 millions de pièces vendues annuellement ces dernières années et des pertes en 2021. Ces chiffres sont à mettre en perspective avec une industrie qui a exporté moins de 16 millions de montres l’année passée (selon les statistiques douanières). Alors finalement OMEGA permet aujourd’hui une montée en gamme de Swatch mais ne fait pas entrer la marque dans le luxe même si elle joue avec les codes du luxe : re-design d’une icône, processus de vente de rareté, effet buzz…

"Allô Houston", on avait un problème… et ce n'est pas du luxe !

Swatch Group de 18 marques (qui compte aussi Breguet, Longines entre autres) qui pèse 6 à 7milliards du marché horloger Suisse, redresse les ventes depuis 2022 et effectue un beau démarrage (+6,5% de CA au premier semestre)…mais ce chiffre est inférieur au taux de progression affiché par l’ensemble de l’industrie horlogère à 31,4%. La marque Omega est passée n°3 derrière Cartier. Le groupe perdait des parts de marché jusque-là et l’inquiétant est l’accélération de Rolex par rapport à son principal challenger historique OMEGA, dont la part de marché (7,5%) correspond à un quart de celle de Rolex. Le Swatch Group est de plus en plus dépendant de 3 marques sur un total de 18 dans son portefeuille aussi bien pour ses ventes que pour ses marges : deux-tiers de son chiffre d’affaires sont générés par OMEGA, Longines et Tissot qui génèrent la quasi-totalité de son résultat opérationnel (EBITDA). On peut estimer qu’OMEGA génère à elle seule plus de la moitié de marge du groupe… quand Swatch – qui joue le volume- était en perte de vitesse jusque-là.

La MoonSwatch marque l’année horlogère 2022. Cette "fusion" réussit une mise sur orbite commerciale d’un nouveau segment prix et une probable relance de Swatch avec rétablissement des ventes (500,000 pièces cette année pour générer un chiffre d’affaires estimé à CHF 125 millions, et surtout une marge brute conséquente). Seule la gestion commerciale et communication post lancement de cette gamme ne semblaient pas très bien prévu d’une collection qui devrait s’établir pour longtemps.

Expériences horlogères "over the moon".

Côté expérience, les clients sont servis en produit icône… un peu moins dans les magasins non préparés à un tel " rush " et au discours commercial approximatif et non rodé face à l’attente et la frustration dans l’expérience. Signe que le luxe est autant un savoir-faire produit, qu’un savoir être vente en magasin et un protocole d’expériences à créer ! La conclusion sur le phénomène MoonSwatch revient à Georges Nicolas Hayek, le président du groupe : "c’est une volontaire provocation au luxe pour apporter du plaisir horloger". Ce flibustier de l’horlogerie - il affiche un drapeau pirate à la fenêtre de son bureau à Bienne - a finalement repris la maxime de Steve Jobs "C’est plus facile d’être Pirate que de s’engager dans la Marine" ! Il crée surtout les conditions d’un océan bleu marché chez Swatch : celui de la montre icône (très) accessible aux passionnés, par un changement de matière, de segment prix, de positionnement marque. La MoonSwatch n’a pas de concurrence … et sera sans équivalent marché mais elle n’en est pas un produit de luxe non plus : une montre pour les passionnés d’horlogerie. Elle a surtout le mérite d’aller chercher la Gen-Z sur ses codes : l’envie d’histoire produit, de code disruptif, de mode mêlée d’écologique pour les embarquer sur la lune… ou vers le luxe ! Viser la lune…pour atteindre les étoiles du luxe ?

Alexis de Prévoisin est consultant Retail-Real Estate & Expérience client et auteur du livre Retail Emotions.

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