Chronique
Le beach club, pas un grain de sable dans le luxe.
Publié le par Paul Carluy
Sur la plage abandonnée, beach club et crustacés... Il y a soixante ans, Brigitte Bardot posait ses valises en carton dans le Golfe de Saint-Tropez. C’est aujourd’hui au tour des maisons de luxe : le beach club, l’expérience de marque jusqu'au-boutiste.
Le rendez-vous était à Pampelonne
Nombreuses sont les marques cet été à s’être mouillées, ouvrant ainsi des pop-up stores les pieds dans l’eau. Un peu partout dans le monde, les destinations phares de farniente se sont vues rhabillées pour l’occasion. Ramatuelle, terre sainte des saintes, est en tête de liste avec cinq beach clubs estivaux.
On retrouvait ainsi sur la plage de Pampelonne : Jacquemus à l’Indie Beach, Dolce&Gabbana à la Casa Amor, Gucci chez Loulou, Giorgio Armani au Bagatelle, Dior au Shellona Beach et enfin Loro Piana à La Réserve. Le sixième, Louis Vuitton avec LV by the Pool, fait bande à part et se feutre ainsi sur la plage privée du Cheval Blanc de Saint-Tropez, au plus proche de son restaurant et de sa boutique.
La pluralité de marques présentes traduit la transition du segment qu’elles occupent. Les couturiers ont laissé place aux directeurs artistiques, les marques de luxe étendent peu à peu leur spectre du vêtement au lifestyle. Elles rivalisent toutes donc de créativité pour offrir des moments d’exception. L’avènement de la vente en ligne a plus que jamais renforcé l’idée qu’il faut rendre l’expérience physique et sensorielle avec la marque exceptionnelle.
Le beach club, what money can’t buy
Suite aux cafés, spas et restaurants, les marques s’attaquent aujourd’hui à une typologie de lieu bien particulière. Le beach club peut pour certains représenter la quintessence du luxe. Louer un matelas posé sur le sable immaculé et peigné pendant ses congés payés à Saint-Tropez représente encore un idéal de la société marchande. Ce moment de villégiature est donc une fenêtre de détente idoine à la joyconomy.
Cette pause tant attendue est pour la marque un point de contact privilégié avec sa clientèle. C’est un moment spécial de connexion avec une population qui lui est 100% utile. Personne en effet de non intéressé ne vient à priori jusqu’au beach club de telle ou telle marque. Quant à elle, la population habituée du beach club, au lien fort avec le lieu, transfère ainsi ce même lien à la marque : what money can’t buy.
Saint-Tropez est une destination prisée des étrangers qui y trouvent encore un idéal, the place to be. Le puissant sentiment d’appartenance sociale de ces populations est déjà là, prêt à être cueilli, ou plutôt converti. On revenait hier avec une boîte d’allumettes de chez Sé-néquier ; c’est aujourd’hui du restaurant Vuitton avec la même vaisselle assortie au resort que celle dans laquelle on a pu manger.
Chacun des cinq beach clubs de la plage de Pampelonne cités plus haut propose son pop-up store. Le lieu est assorti à la collection capsule si bien qu’on n’achète plus du Dioriviera, on représente un mode de vie.
Le défi d’un aménagement estival
Dans la pratique, ce mode de vie se doit d’être impeccable. Si le loud luxury de certaines marques peut rimer avec ce que Saint-Tropez a de plus ostentatoire, la glorieuse image d’un petit port de pêche investi par l’intelligentsia de penseurs et artistes français de l’après-guerre sied à merveille à quelque Loro Piana qui soit. Pour autant, si leur corps de métier leur permet draper les matelas des plus belles étoffes, on peut douter que la gérance d’un club de plage en fasse partie.
Il est donc plutôt avisé et commode de faire appel au savoir-faire d’un lieu existant habillé pour la saison - sans oublier l’importance du sentiment d’appartenance à un club existant développé plus tôt. Car tout maîtriser dans des boutiques pensées pour le retail se révèle être un tout autre jeu les pieds dans le sable, si bien que le moindre grain dans un cocktail ou sur le matelas enraye la mécanique du luxe.
L’exercice de design du beach club relève donc du compromis entre celui de scénographie de défilé, de musée mais aussi de point de vente fixe et pérenne. Une sorte de boutique muséale éphémère. Il n’y a qu’à jeter un œil sur Tiktok pour voir le tabac qu’ont eu les beach clubs. On s’y montre, et par la même, avertit qu’on s’y montre. Les codes visuels doivent donc être aussi forts que la qualité de la prestation exempte de tout défaut, le tout dans un environnement hostile à la pratique du luxe... Enfin, on sait que ces projets ne coûtent par leur nature-même de pop-up qu’une part toute proportionnelle de ce qu’ils rapportent. Ils ont un rôle de catalyseur, que ce soit auprès d’une population qui vit ce rêve d’appartenance jet-set ou auprès de celle qui n’est condamnée qu’à la regarder par écran interposé.
En somme, on ne prêtera pas attention à la retouche apportée à cette chaise de réalisateur, cachant ainsi ses prosaïques et maladroites charnières tout comme on aura soin de garder les coussins de la banquette d’un autre restaurant de face, cachant ainsi l’étiquette obligatoire et pourtant révélatrice "made in China". Le rêve se doit d’être rentable pour les marques et cela a un prix pour le client, le premier étant d’abord de devoir fermer les yeux... sur quelques détails, what money can’t buy ?
Chronique rédigée par Paul Carluy, auteur du podcast Acid : archives contemporaines et internationales de design.