Chronique

Les Objets du Temps non Identifiés envahissent la grande horlogerie

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Quel point commun entre une mini-montgolfière, une sculpture mécanique nommée "Albatross", une bouée culbuto de bureau nommée UFO, une voiture-objet envahissant nos bureaux et maisons ? Ce sont les nouvelles icônes de l'horlogerie : des objets horlogers à admirer et poser chez soi !

Ces OTNIS – objets du temps – pensés pour être admirés dans un salon, incarnent une révolution discrète mais puissante dans l'univers du luxe. Alors que les montres connectées dominent désormais les poignets – rappelons qu'Apple, qui fête ses 10 ans, caracole en tête des ventes en réalisant le même chiffre d'affaires que les exportations suisses de montres mécaniques (soit 29 milliards) – et qu’Hermès a sagement choisi de s'y associer, les marques horlogères traditionnelles se tournent vers des créations transcendant le simple porté au poignet pour devenir des objets d'art à exposer.

L'objet horloger, une réponse aux nouveaux canons d'intérieur luxe

Si le temps se lit désormais majoritairement sur nos smartphones et que la montre mécanique est reléguée au rang de pièce d'art ou de valeur statutaire, le renouveau de la lecture du temps passe par de véritables œuvres d'art fonctionnelles, des symboles de créativité et de savoir-faire artisanal, dédiés aux collectionneurs et amateurs d'exception.

La grande histoire de ces montres de bureau commence sans doute avec l'Atmos de Jaeger-LeCoultre en 1928 et se décline depuis en de nombreuses versions design, de ce que les spécialistes surnomment la "pendule du président" car objet maintes fois offertes en cadeau par la Confédération helvétique à tous les grands de ce monde (Churchill, Kennedy…).

Aujourd'hui, MB&F x L'Épée 1839 signent les objets horlogers les plus spectaculaires, des sculptures dynamiques inspirées d'un oiseau ou d'un dirigeable majestueux tout droit sorti des romans de Jules Verne. L’Albatross est le fruit de cette collaboration qui associe la signature du designer Eric Meyer, et incarne l'étendard de ces mécaniques horlogères de précision. Un objet aussi fascinant à regarder qu'à rêver ou écouter égrener le temps.

La Montgolfière Aero de Louis Vuitton emboîte le pas : symbole d'évasion et de légèreté, cette pièce horlogère revisite le thème cher du voyage pour ce malletier, dans sa forme la plus poétique, et positionne les ambitions de Louis Vuitton dans l'horlogerie d'art et la grande horlogerie, envoyant aux collectionneurs un signal fort avec des pièces d'exception, loin du grand public.

Le Culbuto d'Ulysse Nardin - moins connu - s'inscrit dans la tradition des pendules de bureau et reste sans doute le plus spectaculaire avec son effet culbuto de bureau. Conçu comme une bouée élégante, ce garde-temps bascule sur lui-même sans jamais tomber, un clin d'œil à l'instabilité maîtrisée des océans et à l'univers nautique cher à la marque avec son caractère audacieux et son "freaky style". Un objet que la marque pourrait remettre en avant dans cette tendance, tout en lançant l'incroyable collection Freak.

© Ulysse Nardin

Une expérience émotionnelle qui va au-delà du temps

Le grand spécialiste de ces objets horlogers non identifiés est MB&F de Maximilian Büsser, le trublion de l'horlogerie design moderne. Ce "grand enfant rêveur d’horlogerie" souhaite émerveiller avec des objets, de véritables collections de sculptures mécaniques, des machines horlogères. MB&F se distingue par ses collaborations avec d'autres artisans d'exception, apportant ainsi une nouvelle dimension au monde de la montre.

Chaque création est une aventure esthétique qui raconte une histoire, un trait commun à cette nouvelle vague horlogère. Ces créations audacieuses transcendent les conventions pour offrir des pièces hybrides mêlant design futuriste et savoir-faire horloger traditionnel. Et il fallait des lieux qui ne soient pas des horlogeries pour les vendre. Une nouvelle génération d'objets horlogers se propose en "galerie du temps". Ce sera les M.A.D. Gallery ! Une galerie ? Un concept store ? Un cabinet de curiosité de grande horlogerie ? Probablement un peu des trois. Depuis 2011, MB&F exploite ce schéma unique en horlogerie, appelé M.A.D. Gallery, qui rassemble les amateurs de curiosités mécaniques en quelques rares lieux à travers le monde. D’artisanale et empirique, l’idée de M.A.D. Gallery a mûri jusqu’à donner vie, à son tour, à un nouveau format d’espace de vente appelé MB&F Lab, associant les Machines MB&F à une sélection soigneusement choisie d'œuvres d'art mécanique et cinétique.

© M.A.D. Gallery

Même si les grands distributeurs ont réussi à faire une petite place dans leur magasin à ces objets, comme Bucherer, MB&F a du inventer ses galeries pour les présenter avec six implantations dans le monde, créant une expérience immersive et maîtrisant sa distribution directement au grand public. Et les marques de luxe sont en recherche d’objet du temps pour leur clientèle de flagship. La marque MB&F, soutenue par Chanel au capital, donne ainsi une nouvelle envergure à ces ambitions.

La grande horlogerie entre art et émotions made in France

Ces objets du temps ne se contentent pas de mesurer les heures ; ils redéfinissent notre rapport au temps et à l'objet. Placés dans un espace personnel, ils deviennent des catalyseurs d'émotions, mêlant beauté, innovation et patrimoine… et ne se vendent pas forcément chez les horlogers traditionnels ! À Paris vous pourrez les trouver chez Laurent Picciotto qui avait senti le vent venir, en collectionneur et distributeur avisé.

L'horlogerie française connaît une véritable renaissance, repoussant aussi les frontières de la montre traditionnelle pour en faire un objet de désir. Ce retour à l'essence même des instruments du temps s'incarne à travers des créations uniques, fusionnant esthétique et fonction. Des maisons comme "Maison Alcée", "L'Épée 1839" ou encore "Utinam" contribuent à ce renouveau, pour le plus grand bonheur des collectionneurs.
La Maison Alcée, par exemple, réinvente l'horlogerie de luxe en transformant la montre en objet de décoration, de collection et d'expérience du temps. Chaque coffret contient les composants horlogers, les outils et un beau livre permettant aux passionnés d'assembler eux-mêmes leur propre garde-temps. Alcée Montfort résume cette évolution : "Le temps, n’a jamais été uniquement fonctionnel. Il est un reflet de l’identité et des valeurs de celui qui le porte ou l’expose. La montre est désormais aussi un objet d’art et un vecteur de liberté créative. Nous en avons fait un objet d’expérience avec Maison Alcée ! Nous accompagnons chaque curieux dans son parcours de bâtisseur d’un "prétexte" à mesurer le temps ou plutôt, à le comprendre".

© Maison Alcée

À en croire le succès des ateliers magasins ou des workshops comme ceux de Zenith, l’expérience de montage personnel a un bel avenir et la Maison Alcée pourrait presque faire "école du temps" en magasin pour jouer l’expérience client.
 
Dans cette tendance d’"OTNI" – objet du temps non identifiés -, les horlogers français cherchent à intégrer des éléments de personnalisation et de modularité, et d’expérience offrant à leurs clients la possibilité de s’approprier le temps de manière inédite. Un phénomène socio culturel, une expression d’identité de son collectionneur et… une expérience pour soi. Ce renouveau horloger répond également à une tendance socio-culturelle : dans une ère dominée par le digital, les clients recherchent de plus en plus des objets "industriels" comme des jouets tangibles et personnalisés. Les montres et horloges deviennent des pièces de collection, des symboles de statut et de goût, incarnant l’héritage et le savoir-faire français.


Le retour à la signature de designer horloger



En s’émancipant du poignet, les montres deviennent des objets d’art à part entière et font appel au designer, comme de "faire salon" par exemple au FAB – fine art la biennale de de Paris. C’est d’ailleurs dans ces salons que Jaquet Droz, le spécialiste de l’automate horloger, qui réussit la prouesse de recréer des objets animés miniaturisé dans un cadran, de présenter sa collab avec Chantal Thomass. Parce que finalement l’objet horloger faire appel aux designers et présente en salon ses créations, comme demain à la FIAC, ensuite dans une galerie d’art que dans le circuit des maisons de grand designer.
 
Ce trend horloger attire des créateurs issus de l’art, de la décoration et même de l’automobile de luxe, enrichissant le secteur horloger de collaborations et d’idées nouvelles, de designer talentueux.  Les maisons d’horlogerie telles que L’Epée 1839 et MB&F en faisant appel à Eric Meyer, talentueux designer, démontrent ainsi leur capacité à s’adapter aux mutations du marché, et participe à ouvrir une industrie qui tournait un peu en rond en termes de création, trop souvent à coup de réédition.

La marque suisse indépendante CODE41 , connue pour sa philosophie de transparence totale et ses designs disruptifs, vient enrichir cette tendance avec son METASCAPE. Cet objet du temps hybride, conçu comme une sculpture cinétique et horlogère, se positionne à mi-chemin entre un garde-temps classique et une œuvre d'art futuriste. C’est un objet à porter sur soi ou poser sur un bureau. Chaque détail de ce "paysage mécanique" a été soigneusement étudié pour offrir une expérience visuelle et émotionnelle unique. Fabriqué en séries limitées, il met en valeur des matériaux innovants comme le titane et le verre saphir, tout en intégrant un mouvement horloger de précision.

Son créateur résume ainsi sa vision : "nous ne créons pas des objets pour donner l'heure ; nous concevons des expériences qui invitent à la contemplation et au voyage. Le METASCAPE est une fenêtre sur l'imaginaire, une célébration du temps dans toutes ses dimensions."

Depuis la mort du pape ou Picasso du design horloger Gerald Genta, les designers ont souvent été effacé des signatures ou du marketing de vente. Le retour de la montre par l’objet marque une nouvelle ère pour l’horloger - et l’horlogerie française, qui se distingue par son audace et son approche avant-gardiste – et aux designers, spécificité bien française. Comme cette collaboration de Alain Silberstein avec Utinam, qui permet à cette dernière de signer sa plus iconique création, la KB2. En redonnant une place à la signature de designer comme au garde-temps ce statut d’objets de collection et en cultivant un savoir-faire ancestral allié à des technologies modernes, les horlogers renforcent leur position de leaders dans l’univers du luxe contemporain.
Heureux qui comme un horloger fera le voyage du temps pour faire battre le cœur d’une maison.

Consultant pour le Realty, le Retail et l’horlogerie, Alexis de Prevoisin accompagne les marques de luxe dans leur stratégie client, leur développement, la formation. Auteur-conférencier de "Store Impact" (Dunod) et "Retail Émotions", il est correspondant horloger et expert expérience client pour le Journal du Luxe.
 

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