Chronique
SAV en horlogerie : un luxe qui se fait attendre
Publié le par Alexis de Prévoisin
Révision horlogère et SAV sont l'angle mort de l'expérience client dans cette industrie. Dans l'industrie automobile, déposer sa voiture au garage pour un service est une démarche simple, avec un coût en principe clair et des délais généralement maîtrisés. Dans l'horlogerie, en revanche, le service après-vente reste un territoire d'incertitudes : attentes interminables et factures opaques viennent souvent ternir l'expérience client. Pourtant, les maisons horlogères, qui cultivent l'excellence dans leurs ateliers et leur communication, laissent parfois leurs clients démunis lorsqu'une réparation devient nécessaire.
Le marché des montres en France est pourtant florissant, avec près de 10 millions de pièces vendues chaque année pour un chiffre d'affaires avoisinant 1,5 milliard d'euros… dont près de 10 % proviennent du service après-vente. Alors pourquoi un tel "angle mort" de l'expérience client ?
La révision, une pierre angulaire négligée en horlogerie
Loin d'être accessoire, le service de révision constitue souvent la clé de la fidélité. Or, les délais sont inexpliqués en horlogerie – plus de trois mois pour des réparations parfois mineures – tandis que les coûts, jugés souvent excessifs, avoisinent arbitrairement 10 % de la valeur de la montre dans une fourchette de 150 à 750 €, sans explication précise. La pénurie d'horlogers qualifiés exacerbe ce phénomène dans une industrie où la complexité technique croissante des garde-temps exige un savoir-faire d'exception. Pour le client, cette lenteur et un manque de communication donnent l'impression d'un désengagement des marques, pourtant si présente au moment de la vente.
Dans certains cas, les marques imposent à leurs clients de passer exclusivement par leurs points de vente, même pour de simples services comme le remplacement d'un bracelet, une opération pourtant réalisable par un horloger indépendant.
La voix du client sur les plateformes
La plateforme Dialicious, dédiée au partage entre passionnés, révèle ce signal faible mais ô combien impactant des attentes des clients. Xavier Sillon, fondateur et inventeur du "TripAdvisor de l'horlogerie" – collecte les avis des internautes sur leurs montres. Avec plusieurs milliers de commentaires clients sur près de 500 marques, son analyse illustre bien la problématique : "Les clients aiment leur montre et acceptent que des problèmes de garantie puissent survenir sans altérer leur confiance, ou que leur montre nécessite un entretien régulier. L'expérience SAV est un amplificateur de la relation si elle est réussie, mais devient un catalyseur d'insatisfaction, impactant durablement la relation avec la marque à l’inverse". En attendant les marques répondent à la demande de services… par l’allongement ou l’extension de garantie comme chez Seiko, ou Baume & Mecier sur certains modèles.
Les horlogers indépendants, champions du service
Face à ces dysfonctionnements, des horlogers indépendants redéfinissent les normes du service révision en adoptant une approche plus commerciale, humaine et efficace. À l'image de l’Atelier Horloger dirigé par Sébastien Kaeser à Colombier (Neuchâtel), ces acteurs, agréés par les grandes manufactures comme le groupe Swatch et Richemont pour Sébastien, proposent des solutions transparentes, compétitives et centrées sur le client. Ici, pas de forfait standardisé ni de délais interminables : les coûts sont ajustés au temps réel de travail, permettant des réparations jusqu'à 50 % moins chères que dans les fabricants, et les délais sont souvent divisés par deux. En moins d'un mois, votre montre retrouve son poignet chéri. Le slogan de l'Atelier Horloger en dit long : "Houston, nous avons une solution". Il illustre cette promesse en combinant transparence, rapidité et personnalisation, tout en rendant hommage à Omega et aux missions lunaires Apollo dans ce slogan détourné. Cependant, ces initiatives restent rares. Sébastien Kaeser souligne un défi constant : certaines marques hésitent à fournir des composants aux indépendants, obligeant les clients à se rendre en boutique pour des services simples comme changer un bracelet, une pratique perçue comme restrictive et peu compatible avec un service client de qualité.
À Paris, à l’Atelier du Temps, Guillaume Gaulis perpétue l’excellence horlogère avec un savoir-faire reconnu. Indépendant certifié Rolex, il assure la révision des montres avec une précision digne des ateliers manufacture. Chaque intervention est garantie trois ans, un gage de qualité rare chez un indépendant dans l’univers de la haute horlogerie. Ici, l’expérience client va au-delà de la simple maintenance : échanges entre passionnés à l’atelier qui fait aussi "boutique vintage", expertise et accompagnement personnalisé rythment chaque échange. Un véritable sanctuaire pour les amateurs de belles tocantes.
Ces initiatives montrent que l'expérience client ne s'arrête pas à la vente. Le service après-vente et l'attente sont des moments critiques où la fidélité peut vaciller, mais ils représentent aussi des leviers pour renforcer une relation durable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : un tiers des clients change de marque après une mauvaise expérience de SAV, tandis que 78 % des acheteurs fidèles estiment que la qualité du service après-vente est aussi importante que celle du produit lui-même.
La Gen Z plie "le game" via la seconde main… révisée et garantie
Cette génération est décomplexée par l'achat de montres "pre-loved". Et la caractéristique n°1 du marché de seconde principale est de proposer des montres révisées, avec des coûts connus et communiqués aux jeunes acheteurs. Ainsi, la pédagogie et l'expérience d'achat – révision incluse – offrent une nouvelle perspective à ce sujet global, qu'il s'agisse d'un achat de première ou de seconde main. "Le SAV et la révision sont deux faces d’une même pièce, et sont incluses dans la compréhension d’un achat de seconde main" déclare Dune qui vient de s’offrir une montre par le CPO de Rolex & Bucherer. "Le SAV est une obligation dont l’origine est la garantie légale et la révision une nécessité pour une produit vendu pour l’éternité mais qui s’use avec le temps qui passe", rappelle Xavier Sillon de son coté, et les "services après-vente" sont une opportunité fantastique dans la relation client pour les marques, dans l’hypothèse où elles changent de paradigme comme sources de valeur et non de coûts !
Le paradoxe du temps d'attente… une opportunité inexploitée
Outre le service de réparation, l'attente prolongée pour un modèle iconique indisponible peut également frustrer les clients. Les temps d'attente de modèles comme la Rolex Daytona ou la Patek Philippe Nautilus finissent par agacer davantage qu'ils n'émerveillent. Certaines maisons tentent de transformer cette attente en opportunité. Breitling accueille ses clients dans ses Breitling Kitchens, transformant une visite en expérience conviviale. Jaquet Droz propose des rencontres immersives dans son univers et un suivi phygital personnalisé pour des commandes atteignant parfois six chiffres.
La sagesse populaire du "Tempus fugit, aeternitas manet"* est de mise : confier sa montre en révision tous les cinq ans, c'est assurer sa pérennité et préserver l'essence du temps face à l'inexorable fuite des heures ! Encore faut-il créer les conditions d’une relation de confiance entre les passionnés et les marques.
*"Le temps fuit, l'éternité demeure."
Consultant pour le Realty, le Retail et l’horlogerie, Alexis de Prevoisin accompagne les marques de luxe dans leur stratégie client, leur développement, la formation. Auteur-conférencier de "Store Impact" (Dunod) et "Retail Émotions", il est correspondant horloger et expert expérience client pour le Journal du Luxe.