A l’heure du digital, quel avenir pour le luxe moderne ?
Publié le par Journal du Luxe
Pour Seth Godin, responsable marketing de Yahoo, le luxe de demain ne sera plus le même que celui qu’il a été possible d’observer ces dernières années. Les entreprises, quelles qu’elles soient, sont et seront menacées par la révolution numérique si un effort d’adaptation n’est pas fourni.
Ses propos, que nous avons écoutés avec foi et passion à l’occasion des conférences Hackers on the Runways’étant déroulées les 1 et 2 juillet 2014, renforcent la précédente analyse de Nicolas Colin, co-fondateur de The Family, concernant le luxe à l’ère du numérique.
Une nouvelle définition pour le luxe moderne, signée Seth Godin
Le constat révélé par Seth Godin est clair : les consommateurs changent. Si leur façon de penser est différente, elle induit par la même occasion la nécessité pour le secteur du luxe de revoir la conception et la vente de ses biens. L’auteur axe sa définition d’un produit de luxe sur trois points : la sophistication, supérieure à ce qu’un usage simple de l’objet ne pourrait exiger, le prix, plus élevé qu’il ne devrait l’être et la symbolique, dans la mesure où l’acquisition d’un produit de luxe est liée au message qu’il fait passer.
Ce sont ces trois caractéristiques qui sont particulièrement remises en question, les personnes disposant de revenus conséquents n’étant aujourd’hui plus les mêmes que par le passé et ne partageant plus les mêmes codes. Pour l’auteur de 17 best-sellers, c’est sur la différenciation que doivent parier les maisons du luxe. Selon ses termes, la « vache-pourpre » induit également à ne plus viser la masse mais le précurseur.
Pour le moment, les marques de prestige suivent inconsciemment ces directives. Développer une réelle communauté (ou « tribu » ) et l’entretenir doit donc se placer comme une priorité pour un bon nombre d’entre elles. La marque Nike est pour Seth Godin un exemple emblématique de cette évolution dans la mesure où, bien que ses produits disposent d’une rareté et d’un prix moindre par rapport à des grands noms tels que Moët Hennessy ou Prada, son succès est incontestablement supérieur.
La nécessité de repenser l’industrie le Luxe
Seth Godin explique les succès de ce type par un fait de société avéré : les classes aisées ne s’inspirent pas de leurs semblables, mais des jeunes générations. C’est pourquoi la question « pourquoi payer plus cher que le prix réel » est remise sur le devant de la scène.
À l’heure où le sur-mesure est accessible au plus grand nombre, trouver le facteur clé qui séduira les consommateurs est une démarche complexe. Pour le responsable marketing, une seule réponse est possible : l’expérience client. C’est avant tout l’achat et l’image qu’il génère qui rendrait un bien désirable. Le message qu’un produit fait passer s’impose comme son atoût principal à l’ère du numérique. Pourtant,de nombreuses griffes courent encore après l’unique pourcentage de la population possédant les plus hauts revenus, favorisant la sécurité.
Si la rareté était autrefois considérée comme indispensable à un produit de luxe, elle n’est plus aujourd’hui qu’un critère de second plan. C’est le geste, l’intention de capter l’unique, qui s’avère essentielle. L’essor du luxe traditionnel et artisanal chinois en est un bon exemple. Le message, loin de porter sur la possession du bien en elle-même, repose sur sa fabrication. C’est un moyen de transmettre ses valeurs et sa réussite.
Ainsi l’unique critère de la rareté ne permet plus aujourd’hui de développer une industrie à un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions de dollars, le regard porté à la pièce primant sur l’ensemble de la démarche. À cette occasion, la valeur se distingue du prix. Si ce dernier peut sembler trop élévé, le désir que provoque l’intention et l’achat le justifie. Pour Seth Godin, une nouvelle question se place donc sur le devant de la scène : « Comment obtenir ce désir auprès des nouveaux consommateurs ? » .
Un nouveau regard porté au luxe moderne
La symbolique et la valeur qui se décèlent à travers un produit de luxe ont un poids optimal dans la balance d’achat du consommateur moderne. Selon Seth Godin « les clients n’achètent pas des biens et des services. Ils achètent des relations, des histoires et de la magie » .
Dès lors, le métier n’est plus le même. Aujourd’hui les géants du luxe doivent vendre un réseau plutôt que des produits. Au vu du succès des différentes conférences TED, l’important n’est plus le nom de la boutique fréquentée, mais le réseau dans lequel elle s’inscrit. Le produit lui-même passe au second plan et c’est l’histoire qui prévaut lors de l’acte d’achat.
Ce constat va ainsi de paire avec celui réalisé précédemment par Nicolas Colin, concevant une redistribution des cartes imminente au sein de l’industrie du luxe, en particulier entre les maisons bénéficiant d’une ancienneté notable et les nouveaux arrivants sur le marché. Si les mutations du secteur du luxe à l’heure du numérique sont prises en compte, cette révolution agira comme un levier de croissance pour l’entreprise.
Les initiatives d’e-commerce et de social media management des plus grandes enseignes semblent indiquer que le virage est pris. « La révolution détruit la perfection et rend l’impossible réalisable » , estime Seth Godin. C’est cette même logique qui laisse le co-fondateur de The Family penser que les futurs acteurs du luxe parieront non pas sur la création d’un nouvel empire, mais sur la réanimation d’une griffe affaiblie.
Numérique ne signifiant pas immatériel, l’expérience client sera au centre des attentions. L’utilisation du Big Data notamment, permettra une immersion d’autant plus développée qu’elle n’a pu l’être jusqu’alors dans l‘univers du luxe, plaçant la notion de valeur en ligne directrice.