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Confessions d’un influenceur.

Publié le par Journal du Luxe

Comment se vit l’influence de l’intérieur ? Quelles nouvelles formes revêt-elle ? Le Luxe dispose t-il d’un statut particulier au sein de ces mécanismes digitaux ? Eric Briones, Directeur de la publication du Journal du Luxe, est parti à la rencontre de l’ex influenceur Emery Doligé, auteur de l’ouvrage « T’ar ta gueule, à la récré » et annoncé comme speaker sur la Matinale JDL du 28 janvier prochain dédiée aux ‘Generations & Tribes‘.

Confessions d'un influenceur livre

JDL : « T’ar ta gueule à la récré » est d’abord un récit autobiographique. quel est votre parcours d’influenceur ?

Emery Doligé : C’était au tout début du phénomène, au milieu des années 2000. Les médias nous appelaient des « blogueurs ». Nous étions peu nombreux, à peine un village gaulois. Mais ce mot, trop en lien avec une technologie, ne suffisait pas, alors, pour ceux d’entre nous qui avions une audience importante : nous avons été baptisés « blogueurs influenceurs ». Et les réseaux sociaux ont progressivement remplacés les blogs, nous sommes passés d’un village à une mégalopole. Ceux qui ont continué à accroître leur visibilité ont été appelés « influenceurs » vers la fin des années 2000.

Mon parcours a été simple : j’ai créé un blog en 2004 qui avait pour ligne éditoriale de parler de tout sans jamais être dans la nuance. Cela a généré du débat, des clashs et de plus en plus d’audience. Les médias ont alors considéré que j’étais l’un des porte-voix d’une tendance et ils m’ont ouvert leurs plateaux et leurs studios. L’audience a augmenté. Les annonceurs m’ont alors proposé de défendre leurs produits en me couvrant de cadeaux. Je faisais partie d’une toute petite bande d’influenceurs qui avaient des exclusivités de toutes sortes, l’audience a encore progressé. J’ai fini ce parcours en devenant chroniqueur télé dans une émission quotidienne après l’avoir été en radio. J’ai commencé à tout arrêter à la fin d’une émission de télévision où j’ai pris conscience de façon très brutale qu’il fallait que je stoppe tout cela parce que j’étais drogué à la dopamine à en devenir stupide. Je raconte cela aussi dans le livre.

Votre sous-titre est « Confession d’un influenceur ». Quelle est la responsabilité d’un influenceur auprès de son public et, au-delà, du mal-être digital ambiant ?

Elle est complète, mais elle n’est pas considérée par l’influenceur. Elle est complète parce que, comme tous les médias, un influenceur est responsable de ce qu’il diffuse. Elle n’est pas considérée parce que l’influenceur croit que les gens qui le suivent sont des potes qui ont une conscience et un libre arbitre. C’est l’illusion de l’extimité. Et c’est là que la question se pose : l’influenceur est-il un simple linéaire ou une personne ? Dans le livre, je consacre un chapitre à cette question. Je vous donne une indication : depuis quelque temps le mot influenceur est remplacé par « micro-influenceur ». Pour ce qui est du mal-être digital ambiant, c’est plus compliqué. La pensée complexe n’a pas le droit de cité dans les réseaux sociaux. On a pu le voir dans la dictature de la transparence ou dans la dichotomie entre le tribunal du buzz et la vraie justice. Je raconte ce que j’ai vécu en l’espèce. Le digital est merveilleux quand on l’utilise à bon escient.

Quel est le réel pouvoir économique des influenceurs ? Une récente étude montre que les moins de 24 ans, au moment d’acheter, écoutent plus les réseaux sociaux que leurs parents ou amis…

J’ai le bonheur d’avoir deux ados à la maison. Ils ont beaucoup d’amis. Je les regarde faire. Ils utilisent les réseaux sociaux comme des messageries privées. Ils sont peut-être une exception, toujours est-il que le vrai bouche-à-oreille, même numérique, a remplacé ce que nous appelions l’extimité. Plus largement, ce que je constate aujourd’hui, ici ou ailleurs, est que les annonceurs reprennent le chemin de l’école pour réfléchir au nouveau marketing qui doit allier la réalité quotidienne d’un consommateur – qui est loin de ce que les réseaux sociaux montrent – et le bon sens qu’impose notre époque. Il y a une nouvelle donne de la relation avec le consommateur qui est en train d’émerger : le mieux consommer.

Le luxe, la mode ou la beauté ont une grande responsabilité dans l’émergence des influenceurs et influenceuses. Alors, les marques marionnettistes ou marionnettes ?

Au début de l’ère des blogs, nous avons vu arriver des blogueuses beauté ou mode. Elles parlaient une nouvelle langue : celle de l’argent. Les marques les ont abreuvées de produits. Un modèle économique s’est mis en place. Et puis elles sont passées de quelques-unes à des milliers. C’est grâce au nombre que les marques ont repris le pouvoir sur leurs diffuseuses. Pour le luxe, le vrai luxe, il n’est tombé dans les réseaux sociaux que pour sa partie accessoire et son image de marque. À l’époque, seuls des blogs reconnus comme Fubiz ou Darkplanneur savaient écrire sur le Luxe sans le vendre pour autant. Et c’était logique car déjà les marques n’avaient pas oublié que le luxe était l’ordinaire des gens extraordinaires ou l’extraordinaire des gens ordinaires. Cela continue aujourd’hui. Le mainstream numérique n’est pas très luxe…

Croyez-vous à la martingale marketing de la crise de l’influence, et au-delà : les influenceurs seront-ils toujours là dans dix ans ?

Je suis très Pierre Dac en l’espèce : « tout est dans tout et réciproquement ! »… Quand je regarde le passé, il y a dix ans, nous n’étions pas nombreux, et le marketing est comme la mode : un cycle.

Quel dernier conseil donneriez-vous au monde du luxe à propos des influenceurs ?

Le fonds d’investissement Experienced Capital défend l’idée d’un luxe abordable au travers de ses belles réussites. Si je trouve l’idée louable et maligne, est-ce encore du luxe ? De la même manière, un influenceur peut-il vendre du luxe alors que le cérémonial de vente du luxe répond à des étapes bien précises ? En somme, le luxe est-il devenu un mot valise ? Enfin, j’attire l’attention sur la définition de l’influenceur : quelqu’un qui dit à quelqu’un d’autre quelque chose pour le faire changer d’avis. Sans publicité. Là aussi il faudrait repenser le mot…

Venez échanger avec Emery Doligé et nos autres speakers à l’occasion de la prochaine Matinale JDL consacrée aux ‘Generations & Tribes‘ : rendez-vous le 28 janvier 2020 au sein du siège parisien de Twitter pour décrypter les nouvelles tribus du Luxe ! Détails et Inscriptions.

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