Chronique
Arrêt sur image : ces tendances qui ont bouleversé la beauté.
Publié le par Pascal Barragué
Au-delà du flot incessant des nouveautés (toujours plus de références, de tailles, de couleurs, de texture, d’actifs), y-a-t-il eu dans le secteur de la beauté de vraies évolutions, profondes, durables et notables, ces 20 dernières années ?
Un avant et un après.
Force est de constater que nos salles de bain font aujourd’hui la part belle à des marques et des produits nés il y a peu. Pour autant, comment discerner les tendances qui ont durablement restructuré la catégorie et les usages, au milieu de micro tendances perpétuelles, expliquées et commentées à longueur d’articles, de rubriques et de posts ?
Voici donc quelques mouvements de fond, qui ont à mon sens fait bouger les lignes de cette catégorie depuis le début du siècle.
Est-Ouest ou le choc de deux modèles de beauté.
Deux tendances, nées à des milliers de kilomètres l'une de l'autre, ont émergé il y a un peu plus d’une dizaine d’années et se sont rapidement transformées en tsunami mondial.
La K-Beauty.
Focus sur la mouvance en Corée du Sud, ce petit pays dont l’influence "culturelle" est inversement proportionnelle à la taille. Que ce soit en matière de musique, de séries télé ou de beauté ("la K-beauty"), la Corée exporte ses goûts dans toute l’Asie, voire dans le monde entier : on appelle ce phénomène la Hallyu (vague culturelle coréenne).
Alors qu'est-ce que la K-beauty et quels sont ses principes de base ? La beauté commence par un visage frais et naturellement éclatant. On porte donc une attention soutenue à l’entretien de la peau et on superpose des produits qui la garderont hydratée, lisse et souple.
Derrière cette recherche de perfection - faussement - naturelle se cache une approche spécifique du skincare : des produits multifonctions, des bridge-products (des produits à la fois soin et maquillage, ou du makeup avec des propriétés skincare), des ingrédients naturels peu connus et des formules et galéniques nouvelles (cf. les masques).
Derrière ces soins techniques et ces formules "pointues", la K-beauty table également sur des packagings amusants.
Résultat ? Le segment va rapidement exploser : le chiffre d'affaires à l’export des cosmétiques coréens représente 2,93 milliards de dollars en 2015, contre 0,86 milliard de dollars en 2011. Cette même année, la Corée du Sud se hausse au 6ème rang des exportateurs mondiaux de cosmétiques, derrière la France, les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie, et devant le Japon.
La K-beauty va ainsi déferler sur la Chine, puis inonder l’Europe et les États-Unis, le pays où nait l’autre mega-trend du début du siècle : le contouring.
Le contouring.
Cette tendance est d’abord une technique mise au point et réservée aux maquilleurs professionnels comme Kevyn Aucoin ou Pat McGrath. Elle permet de sculpter son visage en redéfinissant les points d’ombres et de lumières : on peut ainsi affiner le nez, creuser les joues, agrandir le regard, etc.
2012 a marqué un tournant sans précédent dans l’histoire du contouring. Pour la première fois, Kim Kardashian dévoilait les photos "avant/après" de sa routine beauté et révélait la technique.
Grâce à la visibilité sans pareille de KKW, et aux nombreux bloggeurs et autres youtubeurs dont les tuto permettent de vulgariser rapidement le contouring, la technique est devenue en quelques mois aussi connue que le clan Kardashian et et a rejoint la K-Beauty au firmament des megatrends des années 2010.
Mais le contouring n’est pas uniquement une technique "pro" qui se vulgarise : son explosion marque également un moment qui permet de redistribuer les cartes de la beauté américaine et mondiale, via la montée en puissance d’influenceurs - tant sur Youtube que sur Instagram - et l’explosion de nouvelles marques "digitales" fortes de communautés comptant des millions de fans (Anastasia Beverly Hills, Nyx Cosmetics, Kylie Cosmetics, Glossier, etc.)
Les Digital Native Vertical Brands ou le boom des marques "direct to consumer".
Ce nouveau modèle de marques digitales repose sur une conjonction de plusieurs facteurs : une forte connaissance des clients - sans avoir recours à des distributeurs - l’accès aux data et une proximité étroite avec les fans/followers.
Le point capital demeure l’accès aux data puisque le succès de ces marques repose sur la récupération des données clients, leur permettant de vite savoir si le produit convient ou pas aux besoins des utilisateurs.
Les DNVB placent la relation client au cœur de leur stratégie. Elles construisent une communauté, suscitent les interactions et créent un lien fort avec les utilisateurs, notamment via une présence très active sur les réseaux sociaux.
Cette nouvelle approche "consumer centric" permet ainsi d’être particulièrement agile et réactif. Grâce à ce dialogue constant avec leurs communautés, ces marques peuvent ainsi co-créer des produits via un processus de crowdsourcing qui implique le public et garantit en partie le succès commercial de ces nouveaux produits.
"New players, new rules, new game".
La beauté voit ainsi naitre et se développer un grand nombre de nouvelles propositions qui révolutionnent le fonctionnement de la catégorie : plus besoin d’être référencé chez les distributeurs, plus besoin de longues années de développement produit. Désormais, tout va plus vite, via des start-ups qui deviennent en quelques temps des marques globales.
Mais au-delà de ces megatrends ayant permis l’émergence de nouveaux acteurs, positionnés sur la K-beauty, sur les produits de makeup nouvelle génération ou sur une approche digitale, on note aussi l’émergence de tendances qui ont bousculé les protagonistes en place, les marques et les groupes déjà établis. La lame de fond la plus puissante a bien sûr un attrait pour la santé, et plus précisément la sécurité des utilisateurs, via l’innocuité et la safety des composants.
Green & Clean Beauty.
Cette aspiration récente et profonde vient de l’alimentaire et de ses nombreux scandales qui ont durablement entravé la confiance du public. Après avoir questionné ce que nous mangions, les associations et les acteurs de la société civile ont commencé à interroger ce que nous mettions sur notre peau.
Les mêmes mécanismes produisant les mêmes effets, une grande partie du public s'est questionnée sur le bien-fondé d’actifs « chimiques » pour privilégier des marques et des formules « naturelles », puis bio et désormais vegan.
Cette envie de naturel s’est trouvée renforcée par le développement des applications comme Yuka permettant de décoder instantanément les formules des produits mais aussi par le discours de marques engagées prônant l’abandon d’un nombre important de substances communément utilisées par l’industrie cosmétique.
The Beauty Counter, Drunk Elephant, Biossance, Olaplex… autant de nouvelles marques qui ont fondé leur image et leur réputation sur des « No lists » de plus en plus fournies, aidées par des distributeurs qui n’ont pas tardé à faire la pédagogie de cette nouvelle tendance auprès de leurs clients, comme think "Clean at Sephora".
Ce souci de transparence et cette volonté de supprimer les "nasties" pour chacun d’entre nous a fort logiquement rencontré une tendance "cousine" consistant à faire du bien à la planète.
Sustainability ou le souci de la protection de l’environnement.
Il ne suffit plus aujourd’hui de ne pas faire de mal à la peau, il faut tenter de ne plus faire de mal à la planète. Empreinte carbone, matériaux recyclables ou recyclés, moindre utilisation du plastique... La beauté est désormais à l’avant-garde des efforts effectués par l’industrie pour produire en respectant les ressources naturelles.
Cet effort est partagé par tous, des start-ups aux multinationales, chacun ayant bien compris qu’une partie de l’avenir - de la planète, de l’industrie, des entreprises et de leurs marques - se joue sur ce terrain.
Quel bilan faire des deux dernières décennies ?
On le voit, la beauté a subi de profondes évolutions ces 20 dernières années, ayant trait pour l’essentiel à :
- de nouvelles manières de s’embellir et de « dire la beauté ».
- de nouveaux acteurs nés de la digitalisation du monde et de l’économie.
- de nouveaux soucis de préserver à la fois l’homme et la planète.
Globalement, ces multiples changements ont été très souvent portés par de "jeunes pousses", agiles et réactives, qui ont "détecté" ces tendances alors qu’elles étaient encore émergentes, et qui ont profité des opportunités offertes par la "digitalisation" pour bouleverser toute une catégorie. Preuve que si la taille est importante dans de nombreuses catégories du luxe, elle ne fait plus tout dans la beauté.
Pascal Barragué est publicitaire, expert de l’univers du luxe et de la beauté.