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Chronique

Cop or Drop ?

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Un matin de novembre, alors que nous étions, au sein de l'agence créative Cacio e Pepe, en train de réfléchir à la stratégie à adopter pour sa levée de fonds, le fondateur d’une marque de mode, dont je tairai le nom, me drop : "Exciter les investisseurs ?! Ne t’inquiète pas, j’en fais mon affaire. Je vais organiser quelques drops qui finiront tous, comme par magie, sold out, et le tour est joué !" Alors, cop or drop cette stratégie ?

D'où vient la vision drop ? 

Alors que le mot "drop" a intégré notre champ lexical, notamment celui des plus jeunes, est-il si évident de préciser d'où vient et quels sont les ingrédients de cette approche ? A la différence des DNVB, ces marques verticales nées online et dont nous avons précisé la genèse dans une précédente chronique, il n’est pas simple de dater précisément à quand remonte les premiers pas de cette approche même si, rendons à César ce qui appartient à Kanye. Kanye West a en effet été l’un des précurseurs quand il a droppé, en 2009, la Nike Air Yeezy 1 qui fut un véritable hit, instantanément sold out et dont le cours flirte toujours avec les 5.000 dollars versus plus ou moins 250 dollars lors du release - selon StockX.

Pas simple donc de mettre une croix sur un jour précis mais la fin des années 2000 semble pourtant sonner l’avènement de ce modèle avec notamment la montée en puissance de marques comme Supreme, véritable porte drapeau de la drop culture dont les origines puisées dans l’univers du skate mais surtout le mode de distribution a défini un standard en attestent les files d’attente on et off line tous les jeudis, jours de drop ! James Jebbia, fondateur de la marque, a toujours précisé qu’aucun des produits Supreme n’aurait l’appellation "série limitée" mais qu’il ne ferait cependant jamais de grosses quantités car "we don't want to get stuck with stuff nobody wants".

Qu'est-ce qu'un drop ?

Un drop consiste donc à scénariser la mise en vente d’un produit en petite - ou grande quantité… n'est-ce pas Nike ? - en ayant habilement préparé et habitué sa communauté à se ruer dès l’ouverture de la vente. Cela s’apparente presque à une vente éphémère même si l’on comprend rapidement qu’il s’agit en fait d’une stratégie de distribution mûrement posée et qui répond naturellement aux envies des consommateurs biberonnés aux algorithmes et pétrifiés à l’idée de rater un hit product, dont la valeur sur le marché secondaire peut rapidement s’envoler. C’est donc un modèle de distribution, voire d’organisation assez éloigné d’un modèle dit de "wholesale" qui, à l’inverse, prenait le temps de présenter ses nouvelles collections à un éventail d’acteurs "business" qui apportait un filtre avant que le client final ne puisse - décider de - passer à l’acte. Lisez ici que nous ne parlons donc pas de pré-commande mais plutôt d’un modèle ou les collections sont imaginées et structurées par la marque qui décide volontairement de "release" les produits en séquences, plus ou moins rapprochés et plus ou moins nombreux. On parle de "drop", "d’installment" et des marques comme Aime Leon Dore dans laquelle LVMH Ventures vient de prendre une participation financière sont devenues les nouveaux maîtres de la discipline.

Maîtriser sa distribution semble donc être l’une des clefs pour épouser cette approche ! En effet, articuler un drop dans un monde wholesale demeure complexe sauf si ce monde a la chance de pouvoir compter sur deux brillantes entrepreneures, une mère et une fille qui ont, au travers de collaborations qu’elles proposent, ajouté un élément et un écrin à cette équation grâce à leur concept store rue Saint-Honoré. Je fais bien évidemment référence à Colette.

colette nft
©Colette

Colette permet en effet depuis plus de 20 ans à des marques de tester leur capacité à fédérer une communauté autour d’une vente, souvent en collaboration avec un artiste, une autre maison… et ainsi, même pour celles dont le modèle ne s’appuie pas sur un réseau de distribution propre, de saisir et de créer cette respiration dans un calendrier que les clients trouvent maintenant trop prévisible. Mais… attendez une seconde, on me souffle que Colette a fermé depuis le 20 décembre 2017 ! Est-ce qu’il ne serait donc pas plus malin de supprimer les quelques lignes que nous venons de vous proposer ? Non… pas de panique, Colette pourrait envisager un retour et vient d’ailleurs de refaire surface avec le drop d’un projet NFT mêlant l’artiste bien connu des nostalgiques de la rue Saint-Ho : Craig Redman.

Les NFTs seraient-ils le maillon manquant à une stratégie drop ?

Nous venons d’illustrer qu’une stratégie drop se concrétise, dans la plupart des cas, plus simplement et plus naturellement pour des marques dotées d’une relation directe avec ses clients. Par opposition, des marques dont le développement repose sur un maillage de revendeurs ont des relations installées avec des clients, mais plutôt avec des clients plutôt B2B : les concept stores, les grands magasins… et n’ont ainsi pas forcément de relation commerciale avec - leurs - clients de la "rue".

Cela étant, avec ou sans distribution propre, une marque cherche à développer une communauté et jouit de certains outils pour atteindre cet objectif. Cependant, en matière de distribution, elle ne peut parfaitement et de manière vertueuse optimiser cet effort. Est-ce que le web3 et les NFTs comme clef d’entrée ne deviennent pas la réponse à l’omnicanalité tant attendue des acteurs ? On pourrait en effet imaginer un monde dans lequel une marque proposerait d’intégrer sa famille en détenant un NFT qu’elle aurait proposé et qui pourrait lui-même permettre à l’ensemble des acteurs de la chaîne d’installer une création de valeur partagée.

Prenons un exemple. J’achète un produit d’une marque X dans un réseau ne lui appartenant pas mais plutôt sur un e-retailer ou sur une plateforme de revente… si ces derniers fonctionnent sous le web3, à savoir qu’ils me proposent non pas de me connecter via un login ou un password mais de connecter mon wallet au moment de la transaction. Deux options potentielles pourraient se présenter : j’ai déjà un NFT de la marque X ou le produit profite d’un double digital prenant la forme d’un NFT du produit, alors naturellement X sera notifiée de cet achat et pourra ainsi entrer en contact avec moi, me remercier mais aussi et surtout remercier l’e-retailer ou la plateforme ! Et, cela va sans dire, une fois cette relation installée ou renforcée, l’accès au drop devient une évidence.

Même si cet exemple, pas si prospectif ou science-fictionnesque que cela, met en lumière les barrières tech et d’espace-temps nécessaires à sa concrétisation, j’aimerais, en conclusion, retenir l’importance de l’optimisation de la relation avec le client final, notamment en ce qui concerne une stratégie dite de drop, que l’ensemble des acteurs impliqués dans l’industrie du luxe et de la mode : industriels, marques, agences marketing, etc. doivent fidèlement et technologiquement placer au cœur de leur modèle économique.

Olivier Rivard-Cohen est le fondateur de l'agence créative Cacio e Pepe et le fondateur et animateur des podcasts Grass.

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