Chronique
Dupes & contrefaçons : fléaux endémiques du luxe
Publié le par Bruno Lavagna
Coco Chanel disait : "pour moi, la copie, c’est le succès : il n’y a pas de succès sans copie et sans imitation".
Il ne faut pas confondre copie et faux. C’est bien la limite à ne pas dépasser. Autant, il est impossible de copier, s’inspirer, imiter, qui quelque part est un gage d’avoir réussi, puisque l’acte d’imiter est une preuve d’envie, d’enviosité, voire de jalousie.
De là à tromper, induire en erreur et falsifier, c’est passer à un acte illicite qui est répréhensible par la loi : la créativité, le savoir-faire et le talent du créateur ou de l’auteur doit être protégé, c’est son gagne-pain. L’enjeu de l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) ou de la SACEM (Société des auteurs et compositeurs de musique) en France est précisément de garantir l’origine tant pour le créateur que pour le consommateur qui recherche l’authentique, le vrai. Chaque pays a son organisme de protection industrielle et des droits d’auteur. En Europe c’est le rôle de l’EUIPO (Office de l’Union européenne pour la propriété industrielle) et de la DG Taxud (Direction fiscale de l’Union douanière).
Le défi est crucial et essentiellement juridique… mais pas que. Il y a toujours eu, de tout temps, une tendance à détourner : tout simplement parce que c’est plus simple (et plus lucratif) de copier un produit plutôt que le concevoir de A à Z. L’esprit humain cherche malheureusement et malicieusement la facilité par défaut : c’est bien une question d’éducation, de sensibilisation, de comportement et d’attitude qu’il faut inculquer dès le plus jeune âge.
Mais revenons au dupe : comment le combattre ?
La première attitude est de lutter contre les producteurs et les initiateurs de ces "copies" : cela reste extrêmement compliqué et coûteux. Une autre attitude est de punir ou au moins réappréhender celui qui achète – d’autant si cela est en pleine conscience. L’acheteur du faux polo Lacoste ou faux sac Chanel doit être tenu pour responsable : son acte d’achat participe, voire encourage, la production de faux à moindre coût puisqu’il n’y aura pas les frais de recherche, de tests ni de création. L’acheteur du dupe ne se rend pas forcément compte – sauf par le critère prix, puis la qualité une fois entre les mains.
Pourquoi l’industrie du luxe est-elle plus touchée qu’une autre ?
En fait tous les secteurs industriels sont concernés par le dupe ou la contrefaçon. Mais le dupe est plus sensible dans le luxe à cause notamment du différentiel tarifaire.
Acheter un faux médicament est grave car il peut mettre en danger la santé, la vie. Le consommateur s’y risque moins. Acheter un faux foulard Hermès, c’est plus tentant car il n’y a pas d’enjeux majeurs en termes de sécurité et de survie. La brèche est ouverte… il y a un "marché" lucratif puisque les prix restent élevés (en termes d’acceptation du client) tout en nécessitant un coût de production beaucoup moins onéreux puisqu’il "suffit" de "faire comme", de dupliquer.
Les maisons de luxe ont bien saisi la fragilité de leur création : elles suscitent une désirabilité très forte – c’est leur ADN – tout en s’exposant à une fronde, une fraude, une tentative de détournement et de falsification.
Comme je l’explique dans mon livre Géopolitique du luxe, le luxe a choisi une attitude de combat sans relâche pour décourager le producteur de dupe ou contrefaçon en lui rendant la tâche toujours plus difficile avec l’aide de l’état qui est lui-même très perdant puisqu’au passage, la TVA encaissée n’est pas la même.
L’autre arme est la sensibilisation du consommateur qui, en tant que "consom’acteur", peut influencer cette chaîne perverse. Lui infliger une taxe pour achat illicite en lui expliquant qu’en plus le produit acheté n’a pas la même qualité, la même valeur et ne respecte pas toute la chaîne de la création et de la durabilité.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
En 2023, l EUIPO et la DG Taxud ont recensé plus de 152 millions d’articles contrefaits marquant une hausse spectaculaire de plus de 77% par rapport à 2022. La Chine est clairement le principal pays fournisseur de contrefaçons (56 %) essentiellement à cause d’une main d’œuvre pas chère et une législation quasi inexistante : culturellement et cultuellement produire du faux n’est pas un délit puisqu’il n’y a pas de reconnaissance du faux.
Les enjeux sont nombreux tant en terme de valeur (chiffre d’affaires détourné et qualité) que de volonté (image et usurpation). La lutte contre les dupes et contrefaçons de tout genre est un combat permanent et de tous les instants qui exige une attention constante et requiert une vigilance accrue.
Le rôle de l’industrie du luxe est aussi d’aider le consommateur à ne pas se laisser embarquer par naïveté et d’en faire un consommateur responsable : un acteur clé de cette lutte acharnée. Un produit contrefait ou dupe ne respecte pas les conditions sociétales et environnementales : il est anti-RSE par essence. Dans une conjoncture et un contexte toujours plus sensibles aux enjeux de responsabilités humaines, sociétales et environnementales, le client – le membre – joue un rôle déterminant par son acte d’achat valorisé et valorisant.
L’industrie du luxe a toujours su rebondir et être à l’avant-garde. À l’heure des dupes et contrefaçons, il y a urgence pour que les maisons de luxe se ressaisissent et restent attractives en suscitant respect et dignité. Le consommateur doit pouvoir s’y retrouver. Il n'est lui-même pas "dupe". Il reviendra au produit vrai, authentique quand il aura compris que son premier achat de dupe ne lui apportera pas pleine satisfaction et, au contraire, le détourne du "rêve".
Dans l’univers du luxe, le maitre des lieux reste le client, le "consom’acteur". Au luxe de s’en faire un fidèle ami, un incontournable ambassadeur. C’est aussi cela la géopolitique du luxe.
Pour échanger autour de la guerre des dupes, rejoignez le prochain webinar du Journal du Luxe le 29 avril à 18h.