« Les contrefaçons ne se limitent plus aux produits de mauvaise qualité mais cherchent désormais à imiter parfaitement l’expérience du luxe » Frédéric Blanc, Dennemeyer & Associates France
Publié le par Journal du Luxe
À l’heure où l’intelligence artificielle invente des sacs à main, où les "dupes" brouillent les frontières entre inspiration et copie, et où la contrefaçon se vend sur les réseaux sociaux comme une simple story, comment les Maisons de luxe peuvent-elles encore protéger leur identité ?
Frédéric Blanc, expert international de la propriété intellectuelle et Managing Director chez Dennemeyer & Associates France, lève le voile sur les coulisses d’une bataille juridique permanente - entre créations iconiques, pièges numériques et révolutions technologiques. Un éclairage essentiel sur les nouvelles lignes de front d’un luxe sous pression.
Journal du Luxe
Pourquoi la protection des marques, des designs et des brevets est-elle cruciale dans l’univers du luxe ?
Frédéric Blanc
Le luxe repose sur une alchimie unique entre exclusivité, savoir-faire et héritage culturel. La protection juridique est essentielle pour garantir l’intégrité de cet héritage et préserver l’identité des Maisons de luxe. Sans propriété intellectuelle, une marque risquerait de perdre son unicité, laissant le champ libre à des tiers pour exploiter ses créations, que ce soit un logo, un motif emblématique, un design ou même une fragrance.
Les icônes du luxe – le flacon Chanel N°5, le sac Birkin d’Hermès – ne sont pas simplement des objets, mais des symboles profondément ancrés dans l’imaginaire collectif. Leur protection permet non seulement de préserver leur valeur, mais aussi de contrôler leur perception sur le marché. Aujourd’hui, avec la montée en puissance du digital et la sophistication croissante des copies, la lutte contre la contrefaçon et l’appropriation illégitime devient plus complexe. Nous assistons ainsi à une évolution des enjeux : les contrefaçons ne se limitent plus aux produits de mauvaise qualité, mais cherchent désormais à imiter parfaitement l’expérience du luxe, au point de tromper des consommateurs avertis. Cela impose aux Maisons une vigilance accrue et un renforcement de leurs stratégies de protection, aussi bien en interne que par le biais d’avocats spécialisés, de conseils en propriété industrielle et d’enquêteurs opérant sur le terrain et en ligne.
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Quels sont aujourd’hui les plus grands défis en matière de propriété intellectuelle pour les Maisons de luxe ?
Frédéric Blanc
Le marché de la contrefaçon est un défi de longue date pour les Maisons de luxe, mais il ne cesse d’évoluer et de se complexifier avec la mondialisation et la transformation numérique. Si certains pays comme la Chine, l’Inde ou la Turquie ont renforcé leur législation pour se conformer aux standards internationaux, la réalité économique locale et l’ampleur des réseaux de production de contrefaçon freinent une éradication totale du phénomène.
Par ailleurs, l’essor du e-commerce et des plateformes numériques a démultiplié les canaux de distribution clandestins. La contrefaçon ne se limite plus aux marchés physiques : aujourd’hui, des copies sophistiquées circulent sur des marketplaces en ligne et via les réseaux sociaux, rendant la détection et la répression plus complexes. Les Maisons de luxe doivent donc faire preuve d’une grande réactivité pour identifier ces ventes illicites et engager rapidement des actions judiciaires.
Un autre enjeu majeur réside dans la protection des marques contre des appropriations abusives, y compris par d’autres entreprises. Le conflit juridique entre Chanel et Huawei, autour d’un logo jugé trop similaire, illustre ces tensions croissantes. De même, l’affaire Hermès contre l’artiste derrière les NFT "MetaBirkins" démontre comment les nouvelles technologies ouvrent la voie à de nouvelles formes d’atteinte à la propriété intellectuelle.
Face à ces défis, les marques adoptent des stratégies plus offensives, comme la poursuite des bailleurs de locaux où s’écoule la contrefaçon ou des plateformes numériques hébergeant ces ventes illicites, afin d’assécher les circuits de distribution frauduleux. L’enjeu est donc double : renforcer les cadres législatifs et s’adapter aux mutations du marché pour protéger efficacement leur patrimoine immatériel.
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Quel impact aura la réforme européenne du "Paquet Modèles" sur les stratégies de protection des Maisons de luxe ?
Frédéric Blanc
Cette réforme vise à moderniser et harmoniser la protection des dessins et modèles en Europe, qui était disparate, afin d’encourager les opérateurs économiques à enregistrer des modèles et à sécuriser leurs créations. Jusqu’à présent, l’un des freins majeurs à l’utilisation de ces protections était leur difficulté à les défendre aux contrefacteurs qui modifient légèrement un design pour contourner les droits.
Avec ces nouvelles règles, les entreprises pourront mieux protéger leurs créations en déposant non seulement des formes fixes en 2D ou 3D, mais aussi des représentations dynamiques sous forme de vidéos ou d’animations. Cette évolution permettra de mieux appréhender la réalité du design contemporain, où la perception d’un produit ne se limite plus à une image statique, mais repose aussi sur ses usages et son interaction avec son environnement.
Il est indéniable que les Maisons de luxe devront intégrer ce nouvel arsenal dans leur stratégie de protection de leurs créations afin d’en optimiser la défense.
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Comment les Maisons de luxe peuvent-elles se protéger contre le phénomène des "dupes" ?
Frédéric Blanc
Contrairement à la contrefaçon, ces produits ne copient pas directement un logo, un nom ou un modèle protégé, mais reproduisent de manière évidente l’esthétique et l’esprit d’un produit iconique pour capter une clientèle attirée par son image, à moindre coût.
Si ces pratiques ne relève pas immédiatement de la contrefaçon, elles n’en restent pas moins dangereuses pour l’intégrité des marques de luxe. Laisser proliférer ces imitations, c’est risquer de banaliser une création, d’affaiblir la perception de son exclusivité et, in fine, de diluer la valeur de la marque.
Pour se protéger, les Maisons de luxe doivent prouver que le produit original ou certaines de ses caractéristiques distinctives sont copiées au point d’induire une confusion chez le consommateur. L’argument clé est que ces "dupes" ne relèvent pas d’une simple coïncidence créative, mais d’une stratégie délibérée visant à tirer profit de la renommée d’un produit tout en contournant les sanctions juridiques.
Le recours aux actions pour concurrence déloyale et parasitisme est également un levier efficace, car il permet de démontrer que ces pratiques portent atteinte aux principes d’équité commerciale. Une stratégie judiciaire proactive peut porter ses fruits, comme l’a démontré LVMH en 2021. Le groupe a remporté une affaire majeure contre une entreprise chinoise commercialisant des sacs à main "lookalike" rappelant les modèles de Louis Vuitton. Le tribunal a reconnu le caractère distinctif et la notoriété de la marque, permettant ainsi de limiter la diffusion de ces imitations.
Journal du Luxe
Quels seront les grands défis juridiques des prochaines années dans le luxe ?
Frédéric Blanc
L’essor de l’intelligence artificielle pose des questions inédites en matière de propriété intellectuelle. Si une IA conçoit un design ou une œuvre d’art, qui en détient les droits ? Le créateur humain, l’entreprise qui a fourni les instructions, ou l’algorithme lui-même ? La législation doit encore s’adapter à ces nouvelles réalités.
Un autre enjeu majeur concerne l’impression 3D. La démocratisation de cette technologie permettrait de reproduire des objets de luxe avec une précision inégalée. Les Maisons devront anticiper ce risque en renforçant leurs protections juridiques et en adaptant leur stratégie anti-contrefaçon à ces nouveaux modes de fabrication.
Dans ce contexte, les marques doivent non seulement protéger leurs actifs, mais aussi innover en matière de traçabilité et d’authentification, en intégrant par exemple la blockchain pour sécuriser l’origine et la provenance de leurs produits.
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Quel conseil donneriez-vous à de jeunes créateurs pour appréhender au mieux leur propriété intellectuelle ?
Frédéric Blanc
Je recommande d’intégrer la propriété intellectuelle dès la phase de conception d’un projet, en l’incluant dans le business plan et en réfléchissant à une stratégie adaptée. Le droit de la propriété intellectuelle étant complexe et variable selon les juridictions, s’entourer d’experts est une démarche clé pour éviter les erreurs stratégiques et optimiser sa protection. Travailler avec des avocats spécialisés, des consultants en PI ou des mentors permet d’adopter une approche proactive et d’avoir une vision claire des enjeux à chaque étape du développement.
Chez D&A, nous accompagnons activement les jeunes créateurs et startups dans cette démarche. En tant que partenaire dédié de l’ESSEC et de CentraleSupélec, nous conseillons les projets incubés sur leurs besoins en propriété intellectuelle et leur stratégie de protection. Grâce à notre collaboration avec Station F, nous sommes également présents sur place une fois par mois pour offrir des consultations gratuites aux entrepreneurs. Notre rôle est d’éduquer et de sensibiliser les créateurs aux défis de la propriété intellectuelle tout au long du cycle de vie de leur entreprise.
Enfin, nous encourageons les jeunes talents à participer à nos rencontres autour de la PI, qui sont d’excellentes occasions pour poser des questions, échanger avec des experts et mieux comprendre les mécanismes de protection adaptés à leur projet.
Article sponsorisé.