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« Les univers virtuels vont questionner la signification du luxe, tout en ouvrant de nouvelles possibilités » Alexandre Michelin, Knowledge IMMERSIVE Forum.
Publié le par Journal du Luxe
Les métavers pourraient être l'avenir du luxe... mais de quelle façon et dans quels desseins ? Entretien avec Alexandre Michelin, Fondateur du KIF - Knowledge IMMERSIVE Forum, évènement dédié à la création digitale au service de la culture et du savoir.
Eric Briones
Qu’est-ce que le métavers ?
Alexandre Michelin
Il faut prendre conscience que nous sommes déjà dans le métavers : un univers digital au sein duquel toutes les expériences "IRL" peuvent être vécues, voire augmentées. Les réseaux sociaux, les jeux MMORPG, les expositions immersives : tout cela fait partie d’un métavers.
Nous sommes soumis à de très hauts niveaux d’immersion, de data et finalement d’émotions qui viennent du monde numérique. La seule question est l’accès à ces univers digitaux complets où nous pourrons véritablement nous immerger. Les degrés d’accès dépendent des "devices" actuels : les téléphones et ordinateurs qui nous permettent d’accéder aux univers numériques en 2D, les casques de réalités mixtes ou augmentées qui accroissent la sensation d’immersion totale... Le métavers, c’est finalement le web 3D : une évolution tout autant qu’une révolution de ce que nous connaissons déjà.
Le jeu vidéo est sans doute la première industrie qui propose des expériences complètes de métavers, avec une technologie puissante de moteurs de création en temps réel. Alors que la réalité virtuelle, de son côté, sait déjà raconter des histoires dont nous sommes les acteurs centraux. La rencontre des deux expériences nous plongera dans le métavers.
Eric Briones
Le métavers n’est-il qu’une histoire pour gamers ? Quel est le profil de ses utilisateurs ?
Alexandre Michelin
C’est en premier lieu une histoire pour gamers, en effet : les univers digitaux complets de jeux sont la forme la plus aboutie à ce jour, avec une technologie puissante, innovante, et des expériences fondées sur l’imaginaire pur.
Quant aux utilisateurs, ils peuvent être très jeunes. Filles comme garçons, nombreux sont les enfants qui parcourent ROBLOX, tout comme les jeunes adultes plébiscitent Fortnite. Ils sont les "métavers natives". Un second public est facilement identifiable : celui des "geeks", plus adultes et majoritairement masculins, comme dans le métavers TheSandbox. Mais au vu du temps passé par chacun de nous à jouer sur le web mobile - le web 2.0 -, nous ne sommes pas très éloignés de nous plonger, tous ensemble, dans ces univers virtuels. Imaginez un jeu multiplayer dans une exposition à l'Atelier des Lumières ou au château de la Belle au Bois Dormant à DisneyLand Paris... Ou dans une boutique de luxe, un défilé de mode...
Eric Briones
Le projet FB Meta peut-il changer la face de cette industrie ?
Alexandre Michelin
Oui, parce que la position de Mark Zuckerberg s’accompagne d’un degré d’investissement massif, des sommes qui chiffrent en milliards de dollars pour le device Oculus, la création d’un backbone comme FacebookWatch, ou d’une montre Meta. Avec sa puissance de feu, Meta peut dépasser les résistances encore fortes pour rendre accessible largement, rapidement et facilement, une expérience métavers pour tous. Mais Mark Zuckerberg n’a pas en sa possession tous les outils de création, notamment le moteur de jeu vidéo en temps réel, pour prétendre délivrer rapidement sa promesse. Alors que le modèle Facebook est critiqué si fortement dans sa gouvernance, la transformation de l’entreprise la plus puissante du web social montre que le passage du web 2 au web "métavers" n’est plus une option. Juste une question de temps.
Et Méta n’est pas seule à la manœuvre. D’autres géants notamment dans l’univers du jeu vidéo, refusent de se laisser enfermer dans ce système : ils militent pour des "métavers ouverts", parfois semi-fermés, dans tous les cas compatibles, interopérables sans que les infrastructures fondamentales soient captées par un seul acteur.
Eric Briones
Quelle est la place du luxe dans le métavers ? Comment peut-il garder sa désirabilité ?
Alexandre Michelin
La place du luxe dans le métavers est fondamentale. L’architecture d’un métavers repose sur la certification des objets digitaux ou non. Elle offre une possibilité paradoxale : multiplier à l’infini un objet ou une expérience digitale et garantir l’authenticité d’un NFT, d’une œuvre, d’un "smart contrat" ou même d'une crypto monnaie.
Un des enjeux du luxe dans un métavers, c’est comment fournir aux clients des marques prestigieuses et la perception d’une valeur unique. Autre sujet majeur : dans un métavers, les membres d’une communauté déterminent la valeur d’une expérience ou d’un objet digital. La question du "pricing" pourrait échapper à l’opérateur central qu’est une marque. Mais au profit de qui ? Et selon quelles modalités, puisque ce monde est supposé décentralisé ?
Les univers virtuels vont questionner la signification du luxe tout en ouvrant de nouvelles possibilités, sans même parler des potentiels infinis des avatars qui illustreront différentes facettes de nos personnalités. Un signe qui ne trompe pas : toutes les grandes maisons d’enchères embrassent le métavers.
Eric Briones
Quelle est la place des NFT dans le métavers ? Faut-il appréhender la folie NFT comme une bulle spéculative ou comme une véritable révolution marketing ?
Alexandre Michelin
Quelle est la place du sang dans le corps ? La place de la monnaie dans un système économique ? De vieilles questions que la science économique a posé il y a quelques siècles !
Un NFT est un juge de paix, il établit des valeurs nouvelles opposables à tous, reconnues au travers des choix de communautés. Ce qui est un peu effrayant, c’est que si tout le monde peut "battre monnaie", il y a une dilution de l’exclusivité et du caractère unique des choses. Le NFT étant un produit dérivé virtuel de la réalité, il rappelle les bulles spéculatives des produits dérivés financiers, dont la crise des "subprimes" est l’exemple le plus récent. Ce risque de décalage profond et de non-contrôle peut faire peur.
Autre bouleversement, évoqué plus haut : la détermination du prix d’un NFT échappe à son créateur, à sa marque. Il lui reste la définition de la valeur de l’objet digital.
Eric Briones
On parle désormais de la fonction de Chief Metavers Officer. Quelles seront ses missions et compétences ?
Alexandre Michelin
Je m’interroge sur cette notion. Etre "chief" d’un univers décentralisé ? Conserver un système pyramidal dans un système distribué ? Il faut résoudre une question majeure : quel est le propriétaire de l’outil qui fabrique l’univers qui contrôle un métavers communautaire ? Celui qui possède les outils de production ?
Avec la notion de Decentralized Autonomous Organizations (DAO) issue de la blockchain, il faut tenter de réfléchir à des collectifs en remplacement d’individualités. Mais s'il est très coûteux de décentraliser un système pyramidal, c’est aussi une transition toute neuve, sans filet. Qui gouverne, in fine ? La communauté ou le chief ? Et comment faire appel en cas de dérive ? On pourrait dire que la fonction de Chief Metaverse Officer est avant tout celle d’un agent du changement internet : il s’agit de confronter la culture de l’entreprise à la culture du métavers, si mouvante et incontrôlable. C’est un défi excitant et passionnant.