Journal du Luxe Intelligence #7 : quelles révolutions pour le Luxe d'aujourd'hui et de demain ?
Publié le par Barbara Haddad
Le Journal du Luxe Intelligence du mois de mars, en partenariat avec l'EFAP, école des nouveaux métiers de la communication, a révélé un Luxe au cœur de multiples révolutions : générationnelle, temporelle, physique, géographique ou encore artistique. Résumé.
1. Gen IA : de la génération à la civilisation
Après avoir évoqué la distinction entre les différentes intelligences artificielles - prédictive, générative - puis la question du temps et de la spontanéité qu’amène l’IA, Vincent Montet, Directeur-Fondateur du MBA Spécialisé Digital Marketing & Business a partagé, dans ce nouveau numéro du JDL Intelligence, le constat que la question des générations ne sera probablement plus abordée uniquement par le prisme de la date de naissance mais aussi, par rapport aux usages.
Le risque ? Aller vers une société à deux vitesses, où les jeunes non éduqués à l’IA seront les "nouveaux boomers" face à des cinquantenaires maîtrisant l'hyper-prompt… Une fracture qui peut aussi naître de la responsabilité des entreprises et même des pays quant à des politiques adoptées différentes. "Certaines entreprises investissent chaque mois pour que leurs collaborateurs aient accès aux dernières versions de ChatGPT, quand d’autres non… Un pays comme Singapour vient d’annoncer des mesures pour éduquer les plus de 40 ans à l’IA, car ils ont compris que cette génération IA est transversale non plus liée à l’âge", explique Vincent Montet.
En France aussi, l’ambition est de généraliser la formation et encourager l'utilisation individuelle de l’intelligence artificielle pour faciliter l'appropriation. Car, "quand on met de la mauvaise qualité dans un outil, il en ressort un produit de mauvaise qualité. Ce qui est pareil avec l’IA, où il est nécessaire d’apprendre à 'prompter' de façon intelligente", explique-t-il. La prise de conscience est donc aujourd’hui à l’importance d’être dans l’adaptabilité et l'apprentissage continu, en se formant de manière évolutive tout au long de sa vie. C’est aussi l’acceptation de voir l’IA, non pas comme un concurrent mais comme un collaborateur, un compagnon de travail ou encore un jumeau numérique.
2. Chine et Gen Z : de multiples ruptures
Nicolas Riou, CEO et Fondateur de Brain Value, nous transporte ensuite en Chine, auprès de la Gen Z qui est en train d’opérer de multiples ruptures par rapport aux comportements traditionnels. Des insights récupérés au travers de l'observatoire "Brand Value China", des 18-24 ans en chine. "Il faut d’abord bien comprendre l’écosystème dans lequel les jeunes chinois évoluent aujourd’hui car, d’abord habitués à un contexte d’hyper croissance, ils doivent désormais s’adapter à un pays qui a basculé dans une croissance réduite, avec un taux de chômage qui a bondi et des possibilités d'ascension sociale réduites… Alors que dans le même temps, le niveau de pression est resté très fort, que ce soit à l'école, à l'université, ou ensuite au travail, avec beaucoup de compétition et de sacrifices. Ajoutons à cela trois ans de confinement lié à la crise sanitaire, et tous ces facteurs ont généré des ruptures fortes par rapport aux générations précédentes". Les voici :
- Une rupture avec le dogme de la famille, où celle-ci était avant au centre de la culture chinoise et où tout le monde donnait sans retenue son point de vue, souvent critique. Aujourd’hui, la tendance est à une volonté d'affirmation de soi et non plus d'obéissance automatique au discours dominant des parents.
- Une rupture avec la domination masculine, avec une émancipation forte des femmes qui ne souhaitent plus forcément se marier ou avoir des enfants, ce qui a pour conséquence un taux de fécondité qui s'effondre et un taux de divorce qui, à l’inverse, augmente. "Ce sont des femmes de plus en plus indépendantes, qui ne veulent plus respecter forcément "The Life Agenda", où l’on a son bac à 18 ans, son mariage à 25 ans et son enfant à 27 ans, etc.", poursuit Nicolas Riou. Elles challengent également l’autorité masculine, en quête d’hommes plus sophistiqués, qui font attention à elles, qui sont dans la communication et dans l'empathie.
- Une rupture avec le travail intensif et la pression sociale. Les jeunes remettent en question le rythme "9h du matin - 9h du soir, 6 jours / 7", qui était la norme des générations précédentes, mais qui étaient récompensée par des perspectives d'ascension sociale. "Du fait de la crise, une nouvelle relation au travail s’installe, allant même jusqu’à des démissions. On parle même de "Génération TangPing", où il s’agit de volontairement faire une pause, s’allonger et ne plus jouer la course de la compétition sociale", observe celui-ci. C’est donc une moindre course à la matérialité qui s’installe, au profit de l’émergence d’une nouvelle spiritualité et où l'on préserve sa santé mentale.
- Une rupture avec la modernité et une reconnexion avec la grande culture millénaire chinoise. Dans ce même mouvement, plus slow, il ne s’agit plus d'aller toujours plus vite et dans l’accélération mais plutôt de se reconnecter avec les codes du passé et notamment la culture classique : c’est le retour de la médecine traditionnelle chinoise, les chaînes de retail contemporaines réintroduisent des ingrédients ancestraux, et c’est aussi la réappropriation du Feng Shui. "On voit alors apparaître des mélanges de codes, notamment dans le Luxe, où des marques comme Chanel se réapproprient des références du passé, comme la couleur rouge, couleur fétiche dans la culture chinoise, pour le lancement de son N°1", explique le fondateur de Brain Value.
- Une rupture avec la culture collective, où ce qui prédomine aujourd’hui est l'expression de soi et de sa personnalité, via notamment les mangas, les arts martiaux, le gaming...). Un phénomène culturel qui impacte alors la façon de socialiser des jeunes chinois, qui étendent leurs liens à des communautés d'intérêts.
- Enfin, c’est le constat d’une forte affirmation nationaliste, qui va se traduire par une fierté nationale et le boycott de certaines marques comme H&M ou Adidas, remis en cause dans leurs pratiques de fabrication. Les préférences sont en train de basculer vers des marques chinoises, où l’on va désormais être attiré par Anta et Li Ning plutôt que Nike.
3. YourArt : l’Art-révolution
Laurence Bonicalzi-Bridier, CEO de YourArt, poursuit ensuite, en présentant la genèse et la mission de YourArt, à savoir, la démocratisation de l'art par le digital : "comment le rendre accessible au plus grand nombre, sans le dévaluer", précise celle-ci.
Le marché de l’Art est soumis à de nombreux mythes, mais il reste surtout un marché très cloisonné, où l’on s’adresse tantôt aux artistes professionnels, tantôt aux débutants ou aux émergents, mais rarement en mixant les cibles… Et puis, les artistes font encore face à un isolement important, que ce soit entre pairs ou avec le public.
Mais le marché de l’Art s’achète aussi aujourd’hui différemment :
- 70 % des acheteurs d’art ont acheté des œuvres en ligne en 2022 vs 38 % en 2013.
- 28 % des œuvres achetées par des collectionneurs français sont celles de nouveaux artistes et 29 % d'artistes émergents.
- 40 % des œuvres vendues en ligne l'ont été en dessous de 50 000 €.
- 54 % de la Gen Z affirment acheter régulièrement des œuvres d'art sans les avoir vu physiquement et sans que ça leur pose problème.
"L’idée de YourArt est ainsi née, avec neuf mois plus tard, 2000 artistes présents qui ont partagé 13 000 œuvres, faisant de la plateforme un lieu très immersif et qui sait surprendre !", annonce fièrement Laurence Bonicalzi Bridier. Parmi les parti-pris effectués, celui d’internaliser toute la partie technologique, par rapport à d’autres plateformes qui externalisent la Tech. "C’est aussi le choix d’opter pour des innovations utiles, qui servent l’expérience client comme l’utilisation du Métavers pour proposer des galeries en 3D - des "Méta-Galeries" ou encore des musées imaginaires", poursuit celle-ci.
L’utilisation de l’intelligence artificielle a également permis d’ouvrir de nouveaux parcours de navigation et découverte, plus personnel. L'algorithme fonctionne par similarité sémantique et visuelle pour suggérer une sélection d’œuvres suite à un mot ou une expression comme "Tomber dans les pommes". "C’est aussi la possibilité d’en apprendre davantage en extrapolant d’une œuvre à un grand mouvement de l'histoire de l’art pour repartir ensuite sur des œuvres de même inspiration… Les utilisateurs peuvent ainsi naviguer entre différents courants artistiques mais aussi entre artistes professionnels et amateurs", abonde la CEO. L’utilisation de l’IA a également permis la création d’un assistant nommé Iris, qui propose de créer son profil artistique et donc de rentrer, de façon plus ludique et non oppressante dans le monde de l’art.
Pour autant, l’IA ne remplace pas l’humain et sur YourArt, la lumière est faite sur des curateurs experts (des grands commissaires d'exposition, des influenceurs, des collectionneurs) qui vont être force de suggestion pour proposer des chemins de découverte aux amoureux de l’Art ou aux curieux qui arrivent sur le site.
4. Tendance 2025 : "RISE !"
Vincent Grégoire, Directeur Consumer Trends & Insights de Nelly Rodi, nous offre, quant à lui, les premières perspectives qui se profilent pour 2025 en termes de comportement et de réaction, face à un contexte de plus en plus complexe. "Il est important de rappeler que nous sommes toujours dans une période en proie aux doutes, aux incertitudes et où les consommateurs sont perdus face au sentiment que les crises se succèdent comme des couches géologiques… Alors, pour les mois qui arrivent, beaucoup souhaitent voir la lumière au bout du tunnel, voir une sorte d'élévation aussi, pour s'affranchir des multiples pesanteurs terrestres.", explique celui-ci.
Alors, après la Résistance en 2020, la Résilience en 2021, la Renaissance en 2022, le Grand Reset de 2023 et le côté "React" de 2024, avec une posture plus conservatrice, place au "Rise" pour 2025 ! Un quotidien augmenté qui peut se traduire de quatre types de comportements des individus :
- Réconciliation : c’est une posture qui vise à regrouper et à réunifier les générations, les classes sociales… dans une démarche universaliste et fédératrice.
- Récréation : le constat de départ est "puisque c'est le bazar, autant y participer". Ces personnes vont se fondre dans l'hybridation actuelle, les associations un peu curieuses… pour jouer le côté créatif, disruptif et récréatif, ouvrant de nouveaux imaginaires.
- Révolution : ce sont de nouveaux idéalistes, qui rêvent d’évolution, vers plus d’inclusion, de responsabilité sociétale, de conscience plus horizontale.
- Reconstruction : où l’on prône ici une certaine revendication de "puisque tout est cassé, il ne faut pas regarder en arrière mais tirer les enseignements adéquats et se projeter vers demain, en construisant quelque chose de nouveau", détaille Vincent Grégoire. Ce sont des solutionnistes.
Alors comment cela va-t-il impacter le Luxe ?
"Si l’on prend en particulier les récréationnistes, ce sont des consommateurs qui vont amener de l'illusion, de la dérision, de la fantaisie, du "cringe" comme disent les Américains, du déstabilisant, du déroutant, voire un peu du malaisant car ils vont jouer avec les normes, jouer avec les codes… et même avec les tabous. Cela pourra être aussi bien des jeunes que des "boomers" qui ont gardé une âme fantasque ! Pour les Maisons de Luxe, ce sera surement désacraliser pour mieux redonner du sens, oser le côté borderline, et jouer des nouveaux imaginaires entre réel et virtuel !", résume ce dernier.
5. "Store Impact" : entre succès du pop-up store et nouveau rôle du conseiller de vente avec une touche de Retail Emotions
Suite à la sortie de son dernier livre, "Store Impact", Alexis de Prévoisin partage deux des dix piliers identifiés dans l’ouvrage, qui impactent le retail d’aujourd’hui et de demain.
"Si l’on pose déjà le contexte, il faut rappeler que le magasin est bien de retour et ce, principalement par l’expérience client proposée. C’est ce qui transformera vos acheteurs en clients fidèles et en fans. Ainsi, le magasin reste-t-il le premier canal de vente, générant 85% du business. Mais, la Gen Z est slasheuse et n’hésitera pas à partir à la concurrence si l’émotion n’est pas au rendez-vous avec de la nouveauté produits, de l’échange, une expérience fun en boutique. Les maîtres mots sont donc émotion et préférence !", explique celui-ci.
Le succès du pop-up store
Les initiatives se multiplient, permettant aux marques et aux enseignes de tester de nouveaux produits, de nouveaux services, de nouveaux concepts ou encore de nouvelles technologies de façon éphémère. "C’est aussi un moyen d'activer et d'animer commercialement ses clients et prospects", précise Alexis de Prévoisin. Pas étonnant alors que la Maison Dior ait orchestré une quarantaine de pop-up stores l'année dernière et que de nouvelles initiatives sont annoncées toutes les semaines dont récemment "Infiniment Coty", dans la Marais à Paris. C’est l’occasion de faire vivre aussi une expérience unique avec la marque, très sensorielle et immersive à l’instar de l’initiative d’Hublot à Dubaï, qui propulse les visiteurs dans un décor très spécifique. "Le Pop-up peut se tenir en tout lieu : que ce soit dans des centres commerciaux, des SPA, de l’Hospitality et même In-Store", précise celui-ci.
Du conseiller de vente à l’ambassadeur !
Il poursuit : "si l’on passe sur un autre pilier du retail, il est bon de rappeler que l'expérience client commence par l'expérience collaborateur. Les Maisons de Luxe ont donc à travailler leur marque employeur et leur relation collaborateur pour ensuite sublimer l’expérience client". Le vendeur devient ainsi un champion olympique du retail. Le conseiller de vente participe donc non plus au storytelling mais au story living de la marque, sachant raconter l’histoire de chaque produit, une anecdote pour que le client vive la marque de façon immersive. "Il est aussi garant des émotions vécues sur place, au travers du relationnel, devenant un véritable Chief Emotional Officer. On le dit aussi désormais "Affluendeur", puisqu’il est à la fois influenceur et vendeur", résume l’expert retail.
L’expérience vécue en magasin doit donc finalement être comme un soleil : sachant inspirer, accueillir, transmettre, partager et faire aimer ! Quelles sont alors les tendances qui se profilent pour les mois à venir ? En voici trois :
- Un retail qui s’enrichit d’une dimension "Hospitality" et qui va dans le détail : wifi disponible, possibilité de prendre un café, de se poser pour lire un livre…
- Le passage d’une politique commerciale à une philosophie commerciale, où les marques doivent se définir avec des valeurs fortes, qui dégagent de l’émotion.
- C’est aussi une bascule du retail et du Luxe vers la culture, où les marques ont désormais de leur propre studio de contenu, disposent d’une direction artistique, transforment une partie de leurs magasins en musée...