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Luxe, des lettres et des mots.
Publié le par Journal du Luxe
Jeanne Bordeau est la fondatrice et Présidente de l’Institut de la qualité de l’expression, un bureau de style en langage qui « designe » la langue des marques. Speaker sur la dernière édition du Salon du Luxe Paris, elle y a présenté un abécédaire des nouveaux mots du Luxe dont elle reprend, ici, le florilège. Tous racontent un univers alliant modernité digitale, savoir-faire de toujours et nouveaux comportements.
Le Carré d’Or
« Dans l’alphabet des mots, s’il fallait choisir des mots à haute densité qui marquent l’année et dessinent le carré d’or des mots du luxe de plus grande importance, nous arriverions au portrait sémantique suivant : A pour authenticité, B pour beauté connectée, P pour personnalisation et T doublement pour tempsettransgenre.
Bien sûr quelques autres lettres de l’alphabet peuvent nous aider à raconter l’année.
Le luxe (et c’est le premier angle de notre carré d’or) est authentique, originel, tracé. Le luxe est rare. On porte attention aux détails. On doit donner des preuves. Ainsi Cate Blanchett, la présidente du Festival de Cannes 2018, a choisi le joaillier Chopard qui utilise un or éthique. Les égéries n’existent plus, les actrices et VIP sont désormais des femmes engagées pour des causes comme Isabelle Adjani ou Stella McCartney. Le travail des artisans est complexe, long, frise avec la perfection, et on l’affiche. En effet, les marques s’attachent à des maîtres d’art, elles ouvrent leurs ateliers et la beauté du geste et de la main restent cultes. On aime toujours conter les racines et les origines. Plus qu’original, il faut être originel. Le luxe est aussi éco, éco-luxe, éco-responsable .Les motsconfiance, ancrage et les noms des fondateurs ; tout participe à l’authenticité.
Le luxe accepte même que ses consommatrices créent leurs propres objets, le « do it yourself » s’est installé dans le luxe authentique.
Deuxième angle du carré d’or : la beautéest connectée. Ledigital, incontournable, s’impose au luxe. Les magasins se transforment en « boutiques labs », théâtre d’expériences pour le client. Expériences qui puisent leurs inspirations dans l’imaginaire des créateurs. Des créateurs appréciés et recherchés par les maisons de luxe. Ils sont souvent des artistes, imprégnés de culture. Ils ne sont plus des créatifs. Ils arrivent du monde de l’art, de la photo, du design, du cinéma. Plus que jamais luxe et art sont mariés. En lien avec la beauté connectée on a choisi à la lettre F, la fluidité, le facile et la facilitation. Au sein d’une expérience personnalisée le client du luxe vit un empowerment, une autonomisation qui lui laisse liberté mais doit surtout lui faciliter ses choix et lui rendre la vie douce.
Troisième angle de notre carré d’or ? Le thème de la personnalisation, voire de l’hyperpersonnalisation. Le luxe n’est plus secret, il reste rare, il n’est plus un privilège, il est hyper-personnalisé. Cette « digitalisation singulière du luxe » est d’ailleurs décrite dans l’ouvrage de référence « Luxe & Digital », publié sous la direction de Darkplanneur aux éditions Dunod. On retrouve ici l’idée d’empowerment, celui des millennials, jeunes et impérieux, qui désirent s’affranchir des règles et être « eux » uniques.
Enfin, le dernier angle de notre carré d’or convoque le thème dominant du temps. C’est un thème majeur qui respire de deux tendances contraires. L’une liée à l’intemporalité et au fait d’arrêter le temps, l’autre à l’instantanéité.
En effet tout est longue tenue, anti-âge, inaltérable, hors du temps, on flirte même avec l’idée utopique du transhumanisme. En même en temps, le digital installe un temps court, immédiat, impérieux, c’est le cri des millennials « see now, buy now » et l’éphémère ose faire front de façon dissonante au durable ! Décidément le luxe se vit par tous les temps. Quant au transgenre, il est une des grandes tempêtes sociétales de l’année et la lettre maîtresse de l’acronyme LGBTQI.
Mais aussi…
Hors des mots majeurs du carré d’or, d’autres lettres et d’autres mots viennent nous conter une histoire de l’époque.
À la lettre A, bien sûr l’art, indissociable du luxe.
Pour le C, on constate queles célébrités sont en haut de l’affiche. Le celebrity marketing mène la danse, de Marion Cotillard à Rihanna, de Marie Gillain à Kylie Jenner….
D : Le luxe plus que décalé est désormais déconstruit. On vit une ère rupturiste. On a dépassé le disruptif.
A la lettre « G » en dehors du gender fluid et du G de LGBTQI, on croise le global et le green.
Et la lettre « H » est de haute importance car dans le luxe tout est de haute qualité, tout est haut de gamme et de haute précision. La haute-couture célèbre aussi le hors norme et le hors code.
Le « I » connaît de nombreux mots amis, cousins de l’authenticité. S’installe d’abord le mot infalsifiabilité. Tout doit être prouvé. Par ailleurs, le verbe de l’année est instagramiser et en effet les instabrands mariées aux influenceuses nous font vivre un luxe immersif. Pour le « I » on a aussi un luxe qui devient intersexe (LGBTQI). Le luxe nous entraine en 2019 au-delà de l’émotion. Il est intense. L’émotion a laissé place au ressenti, à la sensorialité génératrice d’intensité. L’expérience exige que l’on éprouve.
Engagement exige, à la lettre « M », les millennials apprécient les manifestes, les marques engagées et le métissage. Et le make-up de Rihanna est un « make-up inclusif ».
Le « N » cohabite avec le newcool qui a le vent en poupe. Le luxe prend un coup de jeune, il n’est plus réservé aux riches. Ce n’est plus un luxe amidonné, vieux, artificiel. Il est casual, détendu.
Preuve avec le O qui célèbre l’oversize pour plus de confort et de lâcher-prise.
Et si à la lettre « Q » on a pu parler de queer de LGBTQI, on voit que le luxe reste d’exception et que le mot « essentiel » a besoin de l’intensité d’un mot au ton plus fort puisqu’on parle désormais de quintessence.
Le R montre la rareté du luxe, mais attention, le luxe est rare non pas parce qu’il est pour quelques privilégiés mais parce qu’il reste d’exception en étant personnalisé.
Le R embrase le thème délicat du racial sensitivity, désormais enseigné dans les écoles de design aux Etats-Unis, mais inclusif oblige.
Si avec le S tout est simple, tout doit être malgré tout singulier. Le S met aussi en avant plus que jamais le service qui reste toujours la priorité du luxe puisqu’il va jusqu’à faire vibrer ses clients par un storyliving qui doit réussir à faire le show et rester en mémoire.
Le U nous emporte dans l’ultra, préfixe de l’année. Le luxe est ultra-sensible, ultra-personnalisé…et le luxe est de plus en plus unisexe. Mais un autre préfixe vient de loin le doubler, il s’agit de trans : transgenre qui est le phénomène le plus marquant de 2019. Si Gucci s’est fait remarquer avec l’unisexe dans ses vitrines, Virgil Abloh lui le confirme : « il faut désormais s’affranchir des stéréotypes, d’âge, de genre, de langue, d’origine, de religion », transformer les mentalités. Avec le « V », le luxe devenu un phénomène mondial doit veiller à rester visionnaire car le « W » nous le confirme et vient célébrer le mot world. Le luxe est descendu dans la rue, le luxe est ainsi devenu planétaire ! »
L’Institut de la qualité de l’expression est un bureau de style en langage. L’objectif ? Créer pour les entreprises et les marques une écriture et des contenus dont l’authenticité, la cohérence et la singularité créent la distinction. Au sein de l’Institut, un laboratoire de recherche analyse par ailleurs les évolutions du langage. De nombreuses études, des cahiers de tendances et des enquêtes ont d’ores et déjà été publiés.