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Luxe et féminisme : la nouvelle mode.

Publié le par Journal du Luxe

La mode a toujours su suivre les mouvements sociaux et les nouvelles aspirations du public. En ce 8 mars, à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, Sandra Krim, consultante dans le luxe, la mode et l’image de marque, décrypte, en exclusivité pour le Club des Chroniqueurs, le lien entre féminisme et mode.

Sandra Krim chronique

La journée des droits des femmes.

En cette Journée Internationale des Droits des Femmes, alors que le monde occidental semble avoir changé de paradigme depuis le mouvement #metoo et que la parole des femmes continue de se libérer, il semble également que l’industrie de la mode de luxe ait partiellement délaissé le culte de la féminité pour embrasser l’ère du féminisme.

Il y a quelques jours, la maison Dior – fer de lance du féminisme parmi les marques de mode de luxe depuis la nomination de Maria Grazia Chiuri à la direction artistique de la mode féminine – a publié aux Éditions Rizzoli l’ouvrage « Her Dior : La vision de Maria Grazia Chiuri ». Ce livre révèle le regard porté par une trentaine d’artistes photographes féminines (parmi lesquelles Brigitte Niedermaier, Nan Goldin ou encore Sarah Moon) sur les créations de Maria Grazia Chiuri pour Dior. Dans la préface de l’ouvrage, la créatrice italienne – féministe revendiquée – déclare « Mon rêve, mon aspiration, est que nous les femmes, nous nous regardions avec nos propres yeux », invoquant le « female gaze » qui a inspiré le féminisme italien des années 1970.

dior féminisme
©Editions Rizzoli

Un lien historique entre mode et émancipation féminine.

Depuis le début du XXème siècle, la mode a accompagné et – selon les époques – promu l’émancipation féminine.

Si Paul Poiret fut le pionnier de cette émancipation en libérant les femmes du corset et en inventant une nouvelle silhouette dès le début du siècle, c’est une génération de femmes créatrices qui poursuivront sa démarche, telles Jeanne Lanvin ou Madeleine Vionnet. Mais c’est de Coco Chanel que viendra la seconde révolution de ce début du XXème siècle en proposant de nouvelles silhouettes épurées et décontractées, des matières souples, ainsi que la fameuse « petite robe noire ». Chanel a anticipé puis accompagné l’autonomisation des femmes en vêtant la femme moderne et active. Viendront, dans le courant des années 1960, la mini-jupe à l’instigation de la créatrice anglaise Mary Quant et d’André Courrèges, mais surtout le pantalon qu’Yves Saint-Laurent féminisera – dès 1965 avec le premier smoking avant le tailleur-pantalon en 1967- , créant le scandale et ancrant définitivement la femme dans le XXème siècle avec l’introduction de la notion de pouvoir par transfert symbolique d’un vêtement conçu pour l’homme.

YSL féminisme
©Fondation Yves Saint-Laurent

Le développement du prêt-à-porter permettra la démocratisation de cette émancipation venue d’un couturier. Dans les années 1970, l’essor du prêt-à-porter est notamment dû à des créatrices qui continuent d’accompagner l’émancipation féminine (Sonia Rykiel, Emmanuelle Khan, …) ainsi qu’à certains créateurs, tels que Thierry Mugler ou Claude Montana, qui accentueront la symbolique du pouvoir en créant des silhouettes très épaulées, dont émane une force qui correspond traditionnellement aux stéréotypes masculins.

Une relation récente des maisons de mode de luxe avec le féminisme.

Si, depuis la fin du XXème siècle, aucune innovation vestimentaire particulière n’est venue faire progresser ou servir la cause féminine malgré l’influence féministe de certaines créatrices – telles Miucca Prada ou Phoebe Philo – on constate toutefois, depuis quelques années que certaines marques de mode de luxe intègrent à leur prisme de marque une nouvelle valeur, qualifiée de « Women Empowerment » et théorisée par l’universitaire Sarah Banet-Weiser. Il s’agit d’une des formes actuelles du féminisme, promouvant à la fois la place des femmes dans la société et leur estime de soi dans une acception tridimensionnelle : individuelle, collective et politique.

Chiffres et projections à l’appui, le luxe a intégré – comme le relève le spécialiste Erwan Rambourg dans son dernier opus – que son « futur serait féminin », faisant résonner et donnant une nouvelle dimension au célèbre slogan féministe des années 1970.

Une convergence de l’éthique et de l’esthétique.

Les manifestations du Women Empowerment des marques de mode de luxe sont ainsi diverses, mais leurs degrés variables. Du point de vue des plus jeunes consommateurs de mode de luxe, « Millennials » et « Génération Z » , ce sont les démarches perçues comme les plus authentiques qui suscitent un réel engagement de leur part.

Il en est ainsi pour l’implication féministe de Gucci. La marque de luxe florentine s’est associée à l’Unicef dès 2006 pour soutenir l’éducation des filles et la maison italienne a fait de l’égalité des genres, de la diversité et du Women Empowerment des éléments-clés de ses valeurs d’entreprise, avec pour objectif d’atteindre la parité des genres à tous les niveaux hiérarchiques d’ici 2025. Quant aux créations d’Alessandro Michele, elles se jouent des genres et peuvent pousser le féminisme jusqu’à la provocation, telle la robe brodée d’un utérus de la collection Croisière 2020.

Chez Dior comme chez Gucci, le féminisme fait converger l’éthique et l’esthétique des maisons de luxe.

Crédit visuel à la Une : ©Gucci

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