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Storytelling Made in Africa : comment les industries créatives contribuent à véhiculer une nouvelle vision de l’Afrique ?
Publié le par Journal du Luxe
Les productions cinématographiques et télévisuelles africaines contribuent à donner au monde une nouvelle image du continent. Ramata Diallo, consultante en stratégie marketing et professeure dans le management de la mode, livre en exclusivité pour le Club des Chroniqueurs du Journal du Luxe, la recette du succès de ces industries créatives.
« Maîtresse d’un homme marié », le Desperate Housewives dakarois
Les conteurs d’histoires visuelles du continent aux 54 pays sont nombreux à proposer des storytelling Made in Africa, contemporains et réalistes. Films et séries contribuent à promouvoir des codes qui sont érigés en mode de vie idéal. « Breakfast at Tiffany’s » nous propose une définition du luxe ancrée dans l’imaginaire collectif avec l’élégance d’Audrey Hepburn au chignon impeccable dans sa robe noire Givenchy. Quand Lady Gaga arbore le fameux diamant jadis porté par Audrey Hepburn pour la cérémonie des Oscars 2019, elle entretient cet imaginaire avec les mêmes codes, le chignon, le collier de diamant et la robe noire.
L’industrie créative africaine a aussi ses codes, ses égéries, ses cérémonies de remises de prix. Loin du misérabilisme, des scènes de guerre et de chaos, on raconte d’autres histoires avec des intrigues africaines peu éloignées de celles des soap opéra américains.
Kalista Sy est la productrice de la série « Maitresse d’Un Homme Marié », le Desperate Housewife dakarois qui cumule les records d’audience sur YouTube. Trahisons, secrets, liaisons, vengeances : tous les ingrédients sont réunis pour maintenir le spectateur en haleine. Chaque épisode comptabilise en moyenne trois millions de vues sur Youtube. Le succès de cette série enregistrée en langue wolof dépasse largement les frontières du Sénégal. Dans cette intrigue, Cheikh Diagne, un puissant homme d’affaires dakarois tombe amoureux de Marème, une brillante directrice de clientèle. Marié et père d’une petite fille, Cheikh s’enfonce dangereusement dans un triangle amoureux.
A travers ce soap addictif, le spectateur redécouvre des traditions ouest africaines. Cette série met en scène une élite dakaroise fortunée. Une attention particulière a donc été portée aux tenues vestimentaires et coiffures des actrices et des acteurs qui sont rapidement devenus des égéries pour des marques de mode Made in Africa. Fatima Zahra Ba, la fondatrice de la marque So’Fatoo a choisi l’un des couples stars de la série, Djalika & Birame joués par Ndiaye Ba et Kader Gadji pour la promotion de sa dernière collection sur les réseaux sociaux. En quelques jours à peine, les articles proposés en édition limitée étaient sold out. Les retombées d’une série à succès sont multiples, directes et indirectes. Les décors permettent de “visiter” des sites prestigieux de la capitale du Sénégal et offrent de véritables cartes postales. Une invitation au développement du tourisme même si le contexte actuel ne favorise pas les déplacements. Tous ces éléments participent à l’avènement d’un nouveau storytelling africain. Une proposition de codes différents auxquels peuvent s’identifier des jeunes générations du monde entier.
L’impact des médias 100% Made in Africa
Les médias jouent un rôle-clé dans la diffusion de ce nouveau storytelling. A Abidjan en pleine pandémie, une nouvelle chaîne de télévision est née en juin 2020. Life TV se veut une plateforme de référence pour traiter de politique, de faits de société, d’économie et de divertissement. L’ambition de cette chaîne est de “créer une télévision avec une âme africaine reflétant le savoir-faire et les talents du continent”.
Ce projet a vu le jour grâce à la détermination de Fabrice Sawegnon, un homme d’affaires ivoirien à la tête de Voodoo Group. Spécialiste de la publicité, de l’événementiel et de l’édition, ce groupe est présent dans plusieurs pays d’Afrique francophone. La création d’une chaîne de télévision semble une suite logique dans le développement de cet empire des médias qui ambitionne de révolutionner l’audiovisuel africain. La chaîne possède ses propres studios d’enregistrement à Cocody, le quartier chic d’Abidjan. Un moyen de créer des émissions 100% Made in Africa dès le lancement. L’une des étapes stratégiques de ce projet d’envergure a été la signature avec le groupe M6 d’un accord de prise de participation en 2017. L’apparition de nouveaux médias sur le continent est une opportunité pour les marques de diffuser des contenus publicitaires sur un marché à fort potentiel. La grille des programmes de Life TV est dense avec des présentateurs stars et des invités d’exception pour évoquer des thèmes d’actualité. Sophy Aiida est l’une des chroniqueuses du Life Talk, le programme phare access prime time de la chaîne. Elle a vécu aux Etats Unis, en France et dans différents pays d’Afrique. Elle a étudié le cinéma et le journalisme à New York. Elle est régulièrement sollicitée pour animer des événements prestigieux telle que l’édition 2017 du Sommet de l’Union Africaine et de l’Union Européenne en présence de 83 chefs d’état à Abidjan. A 33 ans, elle réalise un rêve d’enfant en rejoignant l’aventure Life TV avec son nom au générique d’une émission récurrente. Il est intéressant de constater l’intérêt grandissant des populations hors d’Afrique pour les contenus de qualité réalisés sur le continent pour le continent. L’industrie du cinéma américain a fortement contribué à promouvoir le rêve américain à travers le monde entier. Une nouvelle génération de créateurs de contenus en Afrique investisse les industries créatives pour raconter de nouvelles histoires et comptent sur des médias engagés pour les diffuser. Life TV se veut un véritable outil de propagande d’ondes positives africaines.
Nollywood, premier conteur d’histoires authentiques africaines
Il est impossible d’évoquer le storytelling Made in Africa sans faire mention du Nigéria. L’industrie du cinéma nigériane, communément appelé Nollywood, est considérée comme la deuxième mondiale, en production de films par an, avec ses 2500 créations. C’est l’industrie indienne, Bollywood, qui a la première place. Aux origines de Nollywood dans les années 90, les Yorubas, un peuple de l’ouest du Nigéria et du Bénin, mettent en scène des pièces de théâtre et organisent des tournées dans les villages. Ils ont naturellement commencé à filmer leurs représentations pour les diffuser au plus grand nombre. Les thématiques traitées populaires et dramatiques ont conquis un public de passionnés qui s’est habitué aux productions locales. Bientôt, ces films amateurs sont devenus des réalisations professionnelles réunissant des profils variés d’experts, comédiens, producteurs, monteurs, scénaristes. Nollywood a rapidement commencé à produire pour le grand écran et le nombre de fans a continué à grandir au-delà des frontières du Nigéria. Netflix, qui se veut la plateforme de streaming de référence mondiale, affiche clairement son ambition de séduire les fans de Nollywood et plus largement les consommateurs de contenus du continent. Le leader de la vidéo par abonnement cible des pays anglophones tels que le Nigéria, l’Afrique du Sud et le Kenya. L’offre est composée de deux types de contenus, l’intégration de productions locales à succès et la production spécifique de nouvelles séries. Bling Lagotians, une production nigériane sortie en 2019 a récemment fait son entrée dans le catalogue de la plateforme. Ce film raconte l’histoire des Holloways, une puissante famille lagosienne à la tête d’un empire au bord de la faillite qui se prépare à célébrer en grande pompe l’anniversaire de la matriarche. Yachts, voitures de luxe, maisons somptueuses, le décor est planté pour nous inviter à suivre la vie de famille des privilégiés de la première puissance africaine, “the 1% of the 1%”.
Le consommateur de contenu africain peut facilement intégrer lors d’une session de binge watching une télénovelas d’Amérique Latine, un drame bollywodien, une superproduction américaine et un film ou une série Made in Africa. Cette perspective est une véritable aubaine pour Netflix mais aussi pour les médias, les producteurs de contenus et les annonceurs. Le potentiel de ventes au-delà des frontières du continent des histoires africaines n’est plus en question après le succès de Black Panther qui a largement dépassé le milliard de dollars de recettes dans le monde. Hommage à Chadwick Boseman, acteur principal de ce Marvel récemment décédé des suites d’un cancer. Sa contribution à l’avènement d’un nouveau storytelling de l’Afrique restera gravée dans les mémoires.