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« Nous allons devenir le maître d’œuvre d’un collectif de compétences, composé d’artisans de génie. » Jean-Claude Biver

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C’est sans doute l’évènement de l’année horlogère : le lancement de la marque de montre éponyme Jean-Claude Biver.

Tout commence après une très belle carrière pour cette personnalité de l’horlogerie, surnommé le pape ou le sauveur de l’horlogerie mécanique. Jean-Claude Biver, ancien patron du pôle horloger du géant français du luxe LVMH, lègue tout son savoir dans ses montres et transmet à la génération suivante en s’associant avec son fils Pierre. Parce que cette nouvelle marque est l’alliance de l’expérience et de la jeunesse. C’est ce qui saute aux yeux dans ce projet. Le bouillonnant entrepreneur de 74 ans se réjouit de créer – avec Pierre, âgé de 23 ans – une marque affranchie "des contraintes opérationnelles, organisationnelles, financières et budgétaires, inhérentes aux grandes structures (qu’il a) bien connues".

La passion horlogère chevillée au corps pour les deux hommes, il s’agit de faire renaître la "qualité suprême qui a souvent été écartée par l’industrialisation pour gagner du temps". À la faveur d’un carnet d’adresse constitué au cours d’un demi-siècle de carrière, il s’entoure des horlogers les plus qualifiés dans chaque domaine.

Nous allons devenir le maître d’œuvre d’un collectif de compétences, composé d’artisans de génie.

Jean-Claude Biver

Rencontre avec Jean Claude Biver et son fils Pierre dans la ferme & manufacture, à quelques encablures du Léman, au pied du Jura, berceau de l’horlogerie mécanique.

©Jean-Claude Biver et Pierre Biver by Sébastien Agnetti

Alexis de Prévoisin

Pourquoi cette marque, et quel est le fait générateur de son lancement ?

Jean-Claude Biver

Cette marque parle d’art horloger ! Parce que l’horlogerie est un véritable art. C’est la quintessence de ma carrière, et j’ai embarqué mon fils qui est encore plus passionné que moi ! Le fait générateur est simple : j’ai été choqué par la vente de Blancpain à Swatch Group [NDLR : Blancpain fut rachetée par JC Biver avec Jacques Piguet en 1983 qui en feront une marque de luxe, et revendu à Swatch Group en 1992].

J’avais le sentiment d’avoir vendu mes équipes et mes collaborateurs et je m’en suis longtemps voulu. Ma guérison a commencé par la naissance de mon dernier fils Pierre, mais je suis resté coupable de la vente. Cette marque est donc une autothérapie : je redeviens entrepreneur, ce que j’ai toujours été, et puis je me répare et me pardonne. Et je le fais avec Pierre par la transmission. J’étais entrepreneur avec Blancpain, et puis ma carrière m’a amené à développer les plus belles marques horlogères, ce qui a été un privilège ! L’aiguille s’approche de midi dans ma vie et mon horloge personnelle s’est réveillée avec ce projet. Pour l’anecdote, j’ai repris le logo de mon grand-père commerçant au Luxembourg : c’était tout simplement évident pour moi.

Alexis de Prévoisin

Quelle est votre stratégie et positionnement de marque ?

Jean-Claude Biver

L’envie toujours de créer, la foi dans une haute horlogerie élevée au rang d’art. C’est tout simple : nous avons une passion du design à partager, de petites séries de production de garde-temps qui s'adressent à des passionnés. La production initiale devrait se limiter à quelques vingtaines de montres, la première année. Nous avons dessiné 3 modèles, pièce par pièce. Nous sommes une équipe de 12 personnes avec des horlogers, installée dans une belle ferme ancienne vaudoise - ultra moderne pour accueillir un atelier horloger - au pied du Jura et dans la tradition paysanne aussi de faire du fromage. On fait des montres et du fromage (rires aux éclats), comme autrefois. Aucune publicité, peu de digital mais beaucoup de liens humains. Nos clients seront les véritables ambassadeurs de la marque de nos montres dans une fourchette entre 70 000 à 1 million de francs. On parle de garde-temps d’exception et de qualité exceptionnelle, de véritables œuvres d’art.

Alexis de Prévoisin

Pierre, les modèles sont l’incarnation de votre ambition ; parlez-nous des modèles.

Pierre Biver

Les 3 modèles JCB-001 à JCB-003 combinent un tourbillon, un micro-rotor et une répétition. Nous voulions que la répétition minutes soit la pierre angulaire de la marque. Réalisée selon un design auquel nous pouvions tous deux nous identifier et avec un mouvement au service de l’esthétique que vous avions définie. Une montre contemporaine, inspirée par la tradition et représentative de mon père et de moi-même. Avec une petite équipe d’horlogers, nous avons travaillé la technique de nos calibres ainsi que leur décoration. Au fil du projet, l’atelier décoration est devenu une pièce fondamentale et nous avons intégré cela en "design in house". Nous restons une petite marque qui mixe l’expérience, la jeunesse, et une vision moderne de l’art horloger dans toutes ses dimensions.

Alexis de Prévoisin

Qui sont les acheteurs de votre marque ?

Jean-Claude Biver

Des collectionneurs. Ce sont des gens qui ont de l’argent mais surtout une sensibilité horlogère. Nous avons vu des collectionneurs à Singapour, dont l’âge moyen est de 35 ans. Vous vous rendez compte : ils avaient tous des montres qui coûtent entre 2 et 5 millions. Nous avons vu 5 collectionneurs qui avaient des Grandes Complications Sky Moon de Patek Philippe au poignet. Des jeunes dans l’esprit, dans l’attitude, et dans l’habillement. Nous étions confrontés à de vrais acheteurs-collectionneurs. J’ai volontairement limité le nombre de revendeurs magasins à 6 adresses pour notre marque : Tokyo, Singapour, les US, la Suisse et une adresse au Moyen-Orient. Et puis nous avons limité la production à 20 à 30 pièces annuelles, et je stoppe les ventes si le délai dépasse 9 mois, sans quoi c’est de l’arrogance de ne pas livrer dans l’année. Le temps est compté chez moi par la fabrication, et en toutes petites séries ; ce sont mes principes et mes valeurs.

Alexis de Prévoisin

Quelle est la fonction d’une montre aujourd’hui selon votre définition ? Selon vous c’est un outil de communication, est-ce bien cela ? 

Jean-Claude Biver

Une montre haut de gamme n’est pas faite uniquement pour donner l’heure… qui s’affiche d’ailleurs sur nos téléphones. Aujourd’hui une montre suisse de qualité peut communiquer votre goût, votre sens de l’esthétique, votre niveau social, votre personnalité, vos valeurs... Bref c’est un messager et un outil de communication. Elle a donc une valeur beaucoup plus grande que si elle était restée garde-temps. Elle est à la fois un statut symbole, et revêt des fonctions de rêves et d’émotions. Cet instrument est devenu remarquable, comme un morceau d’éternité. Enfin la montre c’est l’amour, la passion des hommes qui l’ont fabriquée et peut-être de celui qui va en faire cadeau. 

Alexis de Prévoisin

Quelle est votre définition du luxe horloger ?

Jean-Claude-Biver

Le vrai luxe concerne toujours des objets qui ont un héritage, un savoir-faire, une tradition et de la substance. Le luxe suprême, c’est celui qui s’approche de l’éternité ! Comment ? Par la perfection de l’objet. Et l’éternité ne peut venir vers nous que par la perfection totale… La perfection de l’objet qui garde le temps. Pour entrer dans l’éternité absolue, un objet doit avoir reçu la qualité irréprochable et maîtriser son art et ce qui ne se voit pas. Le temps est invisible et la montre est faite de micro-détails invisibles pour son propriétaire. Pour comprendre l’art horloger et la passion des hommes et des femmes qui fabriquent les montres, pour comprendre la magie de la main et des doigts alliés à l’intelligence, il faut, c’est vrai, une certaine sensibilité et culture. Il y a de la spiritualité dans l’art horloger. C’est un élément clé de ma philosophie personnelle et de mon amour pour l’horlogerie. C’est aujourd’hui dans ma marque, dans mes montres.

Alexis de Prévoisin

Quel est le message de votre marque au fond ?

Jean-Claude Biver

Je transmets l’art horloger dans mes garde-temps. Je partage ma passion. Nous fabriquons des montres avec notre cœur. Ceux qui travaillent avec moi sont de ma famille horlogère, mes missionnaires de marques. J’incarne la marque moi-même, et une philosophie, des valeurs de partage, de respect et d’amour du produit. Nous avons une éthique et cet amour horloger à offrir. Ce qui compte c’est cet amour horloger à faire connaître, à transmettre aussi. Chacun doit transmettre dans sa vie et je transmets l’amour horloger, des idées, mon expérience à mon fils, une morale et une éthique business.

Alexis de Prévoisin

Que manque-t-il à l’expérience client en horlogère aujourd’hui selon vous ?

Jean-Claude Biver

Le plus important, c’est l’humilité ! Il ne faut surtout pas se croire comme plus important que le client. Savoir la différence entre vous et le client. L’expérience client commence par le respect de ce dernier. Le client est "le roi" selon l’expression consacrée. Il décide de tout et vous êtes le serviteur du roi. Et "la reine", c’est le produit. Alors comme serviteur, il faut mettre en valeur sa reine. L’expérience client, c’est le serviteur qui fait rencontrer la reine à son roi. Et croyez-moi, ça demande de l’éducation, de l’humilité, un fort degré de respect. C’est par l’expérience éducative et de l’éthique de la vente que l’alchimie opère. Le vendeur est aussi le vrai CEO de terrain : le Chief Emotional Officer !

Alexis de Prévoisin

Que pensez-vous de l’aventure Genta ? Et du groupe LVMH que vous connaissez de l’intérieur ?

Jean-Claude Biver

Faire revivre Gérald Genta, c’est génial. Quelle chance et quel bonheur pour le monde horloger ! Ces noms du design horloger, ces signatures aux côtés des marques vont exister comme marque elle-même. Ces sont deux noms majestueux et magiques, et quel magnifique manifeste pour notre industrie. L’art horloger de LVMH au cœur de la Fabrique du Temps prend tout son sens. C’est de la substance, de la compétence et un esprit entrepreneurial qu’offre ce grand groupe. C’est totalement "win-win" pour les protagonistes et nous aurons la chance de voir des modèles de Genta jamais vus ou jamais édités. Et puis LVMH va passer de 4 marques horlogères (Tag Heuer, Bvlgari, Hublot, Zenith) à bientôt 6 marques.

Alexis de Prévoisin

Qui est le plus proche de vous dans ce métier ?

Jean-Claude Biver

Julien Tornare, un fidèle de toujours avec la même philosophie que moi pour parler horlogerie. Maintenant c’est Pierre aussi. J’ai noué de formidables amitiés dans cette profession. Nous sommes une sorte de confréries avec certains.

Alexis de Prévoisin

Quelle est votre montre préférée en dehors de votre production ? 

Jean-Claude Biver

J’ai une somptueuse montre émaillée de Patek Philippe qui est pour moi la marque de référence. Elle est extra-plate, en or et la qualité des émaux est exceptionnelle. Une des faces représente la baie de Genève. Non seulement la ville est dans l’objet mais cet objet symbolise la ville.

Alexis de Prévoisin

Vous voyez des signaux faibles dans l’industrie horlogère ?

Jean-Claude Biver

Le seul signal faible, c’est l’attitude des hommes. Prenez exemple sur la théorie du Kaizen qui vient du Japon de l’après-guerre : le mot Kaizen est la fusion de "Kai", qui signifie "changement", et "Zen" qui signifie "bon" ou "pour mieux". On le traduit généralement en français par l’amélioration continue, ou la théorie des petits pas permanents. Le kaizen tend à inciter chaque travailleur à réfléchir sur son lieu de travail et à proposer des améliorations. Le Kaizen est un concept clé du Lean, cette idée de gestion de la production qui se concentre sur la "gestion sans gaspillage", ou "gestion allégée" ou encore gestion "au plus juste"… Ce sont les bases fondamentales du redressement du Japon après Hiroshima. Bref, une source d’inspiration pour le monde de demain et dans l’horlogerie. Vous devez aller plus loin qu’hier ! J’adore ce concept qui a permis au Japon de rebondir en restant fidèle à lui-même : je suis fasciné par ce pays qui est le plus inspirant pour moi.

Alexis de Prévoisin

Ça ressemble aussi beaucoup à l’hymne Suisse, avec l’idée que le jour d’après est un plus beau jour que le précédent ?

Jean-Claude Biver

Les Suisses sont travailleurs, appliqués et précis. Ils sont aussi fidèles. À ce titre, je me sens tout à fait Suisse. Ils sont aussi très modernes et innovants avec cette recherche simple d’excellence humble : un exemple de créativité et de modernité dans un autre registre que la montre : Nespresso ! La filiale de Nestlé a réussi à damer le pion à tous ceux qui se réclamaient de culture café pour imposer une culture internationale, simple moderne et qui crée un geste, une culture en soi. So Suisse, j’adore !

Alexis de Prévoisin

Que pensez-vous de la GenZ ?

Jean-Claude Biver

Vaste question ! Aujourd’hui ils sont les vrais influenceurs de l’économie et ils ont moins de 30 ans. Le futur est passé dans les mains d’une jeunesse alors qu’il était le privilège d’une "vieillesse". Le pouvoir a changé d’hommes, d’âges. C’est génial. Il y a une modernisation du savoir, du pouvoir, de la puissance industrielle avec beaucoup de décontraction. Côté montre, ils ont une sensibilité inouïe qui va du produit, à la marque, à la technologie et au storytelling.

Pierre Biver

De mon côté, j’entrevois 4 clés d’entrées de passionnés d’horlogerie GenZ : par le design et le style, par la mécanique et la dimension machine, par le storytelling qui est un peu nouveau et par l’investissement comme dans l’art.

Alexis de Prévoisin

Vos conseils à ceux qui veulent travailler dans l’horlogerie ?

Jean-Claude Biver

Le premier est de travailler avec passion... ou de changer de job ! Le second est de transmettre et partager votre métier avec amour. Le bonheur – et le bonheur horloger - est là.

Alexis de Prévoisin

Une exclusivité pour les lecteurs du Journal du Luxe ?

Jean-Claude Biver

Je réfléchis à l’idée d’être au prochain Watches & Wonders. Ainsi le public pourra partager notre passion !

 

Interview de Jean Claude Biver, CEO de JC BIVER watches, par Alexis de Prevoisin, expert retail et auteur de RetailEmotions, retail in motion.
À lire : Jean-Claude Biver – L’homme qui a sauvé la montre mécanique - Eyrolles.

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