Chronique
PATEK, la filiation du temps.
Publié le par Alexis de Prévoisin
Dans l’industrie de la haute horlogerie, nul n’ignore les quatre piliers de foi de clients luxe devenus fans à vie : renommée, qualité, rareté, exclusivité. Une religion du luxe qui compte de plus en plus d’adeptes, mais aussi des réformateurs et des faiseurs de miracles, avec des marques comme des cathédrales !
Patek Philippe fait partie de cette catégorie, au sommet de cette hiérarchie, dans une recherche quasi "existentielle de luxe divin" qui se transmet à vie, religieusement de générations en générations.
La devise de la marque familiale n’a pas changé, mariant le bel ouvrage horloger à un indéniable savoir-faire marketing inégalé dans cette industrie, et à cette idée de transmission unique. Patek Philippe est devenu plus qu’une manufacture. Un symbole non seulement de la haute horlogerie, mais aussi un important marqueur de temporalité pour ceux qui sont de la "famille Patek à vie". Décryptage des quatre piliers de la foi des amateurs Patek et de la dimension quasi-religieuse de cette marque qui alimente les conversations.
La renommée : être aux poignets des plus grands, de ceux consacrés.
Une clientèle HWNY, des têtes couronnées, des politiques et des personnalités de la pop culture : le point commun entre Élisabeth II, Brad Pitt, le Roi Charles III, Pablo Escobar, Nicolas Sarkozy et Paul McCartney ? Leurs montres Patek Philippe, bien sûr. La liste des possesseurs est longue, sans compter les familles et capitaines d’industrie suisses. Comme une sorte d’inventaire à la Prévert, où les amateurs de "name dropping" s’amuseront à repérer sur les photos de John Lennon un calendrier perpétuel (réf. 2499/100) ou celles de Brad Pitt une Ellipse d’Or Jumbo. Pablo Picasso ne quittait que rarement sa Calatrava. À l’époque de ses fiançailles avec le prince Charles, Diana portait parfois au même poignet que la sienne la Calatrava Disco Volante (réf. 2552) de son futur mari pendant qu’il jouait au polo. Et sans compter le Dalaï Lama qui garde précieusement sa montre de poche, référence 658.
L’attrait des têtes couronnées et des personnalités en vue pour les montres Patek Philippe remonte à 1851, lorsque la manufacture séduisit la reine Victoria et le prince Albert. Victoria fit l’acquisition d’une montre broche en émail sertie de diamants, créée en novembre 1851 pour la Grande Exposition de Londres. Le Chah d’Iran sera l’un des premiers clients de la Nautilus, dès 1976. Le sultan du Brunei, l’émir du Qatar ou le roi Mohammed VI du Maroc sont des clients réguliers, tout comme le chanteur Ed Sheeran ou les acteurs Mark Wahlberg ou Ryan Gosling.
La qualité inégalée comme feu sacré : l’innovation, les brevets et les grandes complications horlogères.
L’image de Patek Philippe reste souvent assez classique et étonnement plutôt traditionnelle alors que la manufacture suisse a toujours été l’une des plus innovantes avec plus de 80 brevets à son actif. Les plus représentatifs sont, notamment, le régulateur de précision en 1881, le double chronographe en 1902, le mouvement mécanique avec rotor périphérique en 1964 ou encore le brevet de mécanisme de représentation astronomique en 2000. Il faut aussi attribuer à la marque le système de remontage par la couronne - et non par une clef - à Jean Adrien Philippe, dès 1863.
Autre audace, celle de l’usage du silicium pour les échappements. Si cette technologie a initialement été développée par Ulysse Nardin, c’est Patek Philippe qui la perfectionnera et sera la première maison à l’utiliser à grande échelle à partir de 2005. Patek Philippe utilise d’ailleurs le silicium pour les séries limitées baptisées Advanced Research. Ces innovations sont régulièrement introduites ensuite dans les gammes courantes des modèles de la manufacture.
Les montres à sonneries et à répétitions figurent parmi les pièces recevant une attention toute particulière de la part de la manufacture. Patek Philippe en a fait l’une de ses spécialités remarquables. La première fut réalisée en 1916, et la plus spectaculaire est sans doute la Grandmaster Chime Réf. 6300 G de 2016, une montre comptant plus de 20 complications et offrant cinq sonneries : grande et petite sonnerie, répétition des minutes et de la date, mais aussi une alarme. Une pièce si extraordinaire qu’elle n’est accessible que sur candidature, après sélection et accord de la famille Stern. Une famille très impliquée au quotidien dans la vie de la maison… jusque dans la mise au point. À telle enseigne que toutes les montres à sonnerie et répétition minute sont minutieusement testées par Thierry Stern en personne.
La rareté comme objet du divin : les plus chères du monde.
Patek Philippe a eu le rare privilège de décrocher les plus hauts records de prix pour une montre non sertie de pierres précieuses vendue aux enchères. Record détenu par la légendaire Supercomplication Henry Graves (montre de poche unique à 24 complications, produite en 1933 pour le célèbre banquier américain vendue en novembre 2014 par Sotheby’s pour 24,3 millions de dollars), jusqu’à la vente de la Grandmaster Chime (réf. 6300A) à 28 millions d’euros. Ce qui fait la grande rareté de cette pièce à deux cadrans et au boîtier réversible, ce n’est pas seulement son mouvement à vingt complications, mais le fait qu’elle est réalisée en acier, chose extrêmement rare chez Patek Philippe, surtout pour une montre à sonneries.
Parmi les nombreuses autres pièces rares convoitées par les collectionneurs, il faut aussi compter sur le modèle phare de la Nautilus. En privé, Thierry Stern ne cache pas son agacement quand il n’est question que de la Nautilus. Certes, le modèle dessiné en 1976 par Gérald Genta fait les beaux jours de la marque. Mais la maison ne souhaite pas être résumée à cette montre. Même si la marque ne l’a pas encore officiellement confirmé, le modèle mythique Nautilus 5711/1A-10 (les collectionneurs raffolent de références qu’ils vous récitent comme un mantra) va disparaître de la collection malgré des listes d’attente longues de … 12 ans! Ce patron a la religion de l’anti mono-produit horloger, soucieux de son indépendance et portant un regard de long terme sur la gouvernance de l’entreprise familiale. Pour les dirigeants des autres groupes, la situation est différente et les stratégies autres, puisque leur rôle, c’est avant tout de faire du chiffre. Pour Patek Philippe, à la gouvernance familiale, il en va autrement. "C’est le temps et les 140 gardes-temps qui sont à vendre" résume Monsieur Stern.
L’exclusivité et la valeur patrimoniale comme intemporalité.
La montée vertigineuse des prix des modèles produits par Patek Philippe n’est pas seulement le fruit d’une reconnaissance du travail soigné par quelques collectionneurs érudits. Depuis plus de quarante ans, la maison elle-même s’emploie à valoriser son patrimoine et surveille de près les cotations pour entretenir son image de marque et son propre mythe. Elle l’entretient par son musée et ses collections. Bien avant la mode du vintage, les experts et historiens de la manufacture ont pris soin de cataloguer les pièces produites, de tenir des archives et des nomenclatures parfaitement à jour, mais aussi à se porter acquéreur, souvent aux plus hauts prix, des modèles les plus intéressants. La marque dispose même de son propre musée, initié dès 1989 et ouvert au public en 2001. Cette collection de plus de 2.000 pièces, fruit de la passion de Philippe Stern pour l’horlogerie en général et les montres ou mouvements sophistiqués ou à complication en particulier, est ouverte au public, à Genève. Éclectique et variée, la collection, qui compte aussi plus de 8.000 ouvrages, mériterait un article à elle toute seule. Les nombreux modèles pour lesquels la marque ne dédaigne pas faire monter les enchères s’y trouvent exposés et mis en valeur. Leur prestige rejaillit ainsi sur l’ensemble des modèles signés Patek Philippe.
La religion du lien fort et de l’émotion.
Ce qui frappe également dans cette maison, c’est le lien. Lien des dirigeants ou horlogers aux propriétaires au moment des commandes. Lien que la maison inspire de "légataires à vie du temps " aux générations futures. Car Patek crée une relation intuitu personae entre la marque, les clients, le temps. À contre-pied du marketing actuel qui passe par des égéries, ici vous entrez dans la famille Patek. Car il n’y a pas d’ambassadeur ou d’incarnation de la marque : c’est vous l'heureux gardien du temps Patek. "La vraie star, chez nous, c’est la montre " souligne-t-on pudiquement à la manufacture. Et ce lien familial qui vous est offert avec le temps, de génération en génération. Une démarche singulière lors du lancement de la campagne baptisée Générations, mais qui apparaît comme visionnaire ces derniers temps au regard de l’évolution actuelle des mentalités.
La manufacture ne souffre pas d’immobilisme et intéresse désormais une clientèle plus jeune, plus féminine, et un peu plus décontractée. L’ambiance de la campagne a été subtilement modifiée - un léger vent de fraîcheur est venu réviser la communication de la maison grâce aux images signées par le photographe anglais Samuel Bradley en accentuant les liens entre pères et fils ou mères et filles.
Alexis de Prévoisin est consultant Retail-Real Estate & Expérience client et auteur du livre Retail Emotions.