Chronique

Le "Logos" de ROLEX.

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C'est une vérité universellement reconnue que la parole peut transformer... jusque l’expérience produit. Et le logos qui chez Platon signifie sagesse, et raison de l'Être suprême, va jusque dans le verbe. Si les marques sont créatrices de produits et de signes, rares sont celles qui ont abouti à un langage, voir même un argot pour désormais jouer aussi avec le langage.

En horlogerie, Rolex - marque reine et n°1 des ventes - est une référence du langage horloger. Paradoxe pour cette marque dont aucun représentant ne prend la parole. La marque à la couronne ne communique que par ces produits et ses dépôts de marques. Format luxe en silence, où seuls les produits parlent, et que la rue s’approprie avec la langue officielle et sa traduction autrement… au point d’alimenter le marketing de la marque qui vient de lancer la première montre Emojis. Cercle vertueux du langage de marque.

Quel est le langage officiel de Rolex ? Quel est celui de ses fans ? D’abord, Rolex viendrait de la contraction de « horlogerie exquise » (il n’y a pas de Monsieur Rolex) et son fondateur, Hans Wilsdorf était un allemand installé à Londres, qui avait choisi de déposer la marque en Suisse, à la Chaux-de-Fonds. 

Florilège de l’abécédaire officiel de la reine des marques de luxe.

La marque horlogère Rolex se distingue à bien des égards par un dictionnaire qui lui est propre, et, entrer dans la grande famille des initiés requiert une petite formation. Car Rolex dispose d’un lexique bien à part pour désigner ce qui fait la différence entre la marque et le reste du monde horloger. Si de nombreux amateurs d’horlogerie s’accordent à reconnaître une forme de suprématie à Rolex, c’est pour un ensemble de détails qui, mis bout à bout, confèrent à la montre une perception visuelle et sensorielle différente. Le diable est dans le détail - et dans le retail surtout -, et chacun des détails de cette marque a fait l’objet d’un nom qui désigne un alliage, un matériau, une technologie, une fonctionnalité ou une finition bien précise. Zoom sur ce langage horloger particulier.

Oyster : le boîtier Oyster (la boîte de la montre) vient du nom générique de la coquille d'huître - étanche. Le nom est devenu générique de toutes les carrures de montres Rolex. Il incarne le fonds de commerce de Rolex : l’étanchéité absolue. Le fond du boîtier est bordé de fines cannelures, hermétiquement vissé à l’aide d’un outil spécial. Seuls les horlogers habilités par Rolex peuvent ainsi y accéder. Tenter d’ouvrir une Oyster Rolex sans outil adéquat revient à essayer d’ouvrir une huître un soir de Réveillon avec un couteau suisse… ça peut marcher, mais pas prévu pour !

Perpetual : pas exactement le temps… mais le mouvement ! L’ADN de Rolex repose sur 3 piliers : l’étanchéité, la précision/robustesse et le mouvement automatique « perpétuel ». À chaque mouvement, le rotor tourne et remonte un petit peu le barillet pour augmenter la réserve de marche. Le rotor Perpetual est donc cette masse qui donne ce côté quasiment éternel à la Rolex. On comprend donc que l’appellation Oyster Perpetual inscrite sur les cadrans Rolex fait référence au boîtier étanche et au mouvement automatique. CQFD.

©ROLEX

Couronne de Reine / lunette cannelée : la lunette cannelée n’est pas cette gourmandise bordelaise. On reconnaît une montre d’abord à son design au premier coup d’œil. Design propre à la Datejust et DayDate, elle équipe également l’Oyster Perpetual Sky-Dweller. Cette dentelle autour du verre, en or, donne la personnalité et ce design reconnaissable entre 1000 à ces modèles. Ces cannelures avaient un but fonctionnel à l’origine : elles servaient à visser la lunette sur le boîtier, de manière à garantir l’étanchéité de la montre.

Les « or » de Rolex : ce terme évoque un alliage d’or rose particulier à Rolex. Il est fabriqué à partir d’or 18 ct (composé à 750 % d’or pur et d’un savant mélange d’argent et de cuivre) et de titane. La recette est jalousement gardée. Rolex maîtrise en interne tout le processus de fonderie et de fabrication des éléments en or et en platine. Rares sont les manufactures à intégrer à ce point le processus de fabrication du début à la fin. Le Rolesor est le mariage de deux matières, le plus souvent l’or jaune et l’Oystersteel, pour créer des montres « bi-tons ». Le nom Rolesor a été déposé par Rolex en 1933. Le Rolesor est devenu l'un des signes distinctifs des montres de la marque.

Oyster Steel : il s’agit de l’acier utilisé dans les boitiers et bracelets Rolex, un alliage unique. « L’acier Oyster Steel appartient à la famille des aciers 904L qui s’avèrent particulièrement résistants à la corrosion et acquièrent un éclat exceptionnel lorsqu’ils sont polis. Les aciers 904L sont couramment utilisés dans les secteurs des hautes technologies, de l’aérospatiale et de la chimie. Leurs excellentes propriétés anticorrosion sont comparables à celles des métaux précieux. »

Il faudrait encore parler de… Chromalight (Matériel fluorescent pour pouvoir lire l’heure la nuit, en profondeur ou lors d’un vol de nuit), de Chronergy (ce système d’échappement spécifique à certains modèles Airking), de Paraflex (amortisseurs de chocs haute performance développés et brevetés par Rolex), d’aiguilles Mercedes (le rond au milieu de la petite aiguille, un élément de design emblématique de Rolex, bien souvent copié)… pour finir sur le cyclope : LA signature Rolex (sur les modèles avec date et nom officiel déposé).
Cette loupe collée sur le verre, au-dessus de la date pour mieux la voir, c’est ce qui permet de reconnaître (aussi) une Rolex. Signature, verrue, pratique, inesthétique, chacun à son avis sur cet appendice qui évite un guichet trop grand dans le cadran.

Terminons par le logo de la Couronne : en horlogerie, Rolex est la reine, et le logo couronné était prémonitoire.

L’Argot Rolex des fans et de sa communauté.

Il faut d’abord apprendre la langue du dictionnaire sur les bancs de l'école Rolex. Puis vient l’argot échangé en cours de récréation pour être de la communauté. À partir des années 1980, les collectionneurs ont commencé à surnommer certaines Rolex anciennes en fonction de leurs caractéristiques, afin de les décrire et de les dater. Voici un florilège – non exhaustif - pour apprendre à parler la langue Rolex (à noter qu'il ne s'agit pas de termes officiels de Rolex).

La Bombay tire son nom de « bombé », un mot utilisé à l'origine pour décrire les cornes accentuées que l'on trouve sur certains boîtiers Oyster de la fin des années 1940 jusqu'aux années 1950. La Bruiser (également appelée Batman) fait référence à sa lunette à moitié noire et à moitié bleue. La Bubbleback est nommée ainsi d'après la forme convexe d'un fond de boîtier produit entre les années 1930 et 1950. The Coke est un rappel à la célèbre boisson et à une lunette mi-rouge mi-noire, le rouge étant… celui du logo Coca-Cola. La Hulk surnomme une Rolex Submariner avec un cadran vert et une lunette Cerachrom verte, introduite en 2010. Et la Pepsi fait référence à une lunette à moitié rouge et à moitié bleue, les couleurs du logo Pepsi.

Le « double soulignement suisse » est une spécificité de la Daytona du début 1963 avec deux désignations suisses, l'une à peine visible au-dessus de la lunette, l'autre juste au-dessus à 6 heures. Le soulignement fait référence à une ligne sous la signature qui signifie l'utilisation de tritium plutôt que de radium pour éclairer les index ! La John Player Special fait référence à une rare Daytona "Paul Newman", ainsi nommée en raison du parrainage par John Player & Sons de l'équipe de Formule 1 Lotus en course automobile. Elle est reconnaissable à sa couleur noire et or, qui correspond aux couleurs de la marque John Player Special.

La plupart des surnoms de montres de luxe font référence à un aspect coloré de la montre. Ainsi, de nombreux surnoms des modèles Rolex GMT-Master sont liés à la couleur de sa lunette. Qu'il s'agisse de Batman, Coke ou Pepsi, les noms et les combinaisons de couleurs s’expliquent généralement d'eux-mêmes. Les différents matériaux de la lunette ne jouent en général aucun rôle.

© Rolex Juriaan Booij

Que se cache-t'il derrière les surnoms Rolex ? Le nombre de surnoms attribués aux montres Rolex peut en surprendre plus d'un. Pour certaines collections comme la Daytona ou la GMT-Master II, cela est devenu un rituel et chaque nouveau modèle reçoit un nom non officiel lors de son lancement. Ces attributions permettent aux fans d'interagir avec la marque et d'influencer son profil. Dans un secteur qui, de l'extérieur, semble souvent très isolé, les surnoms sont donc un moyen pour les fans de faire entendre leurs voix. Les surnoms donnés aux Rolex ne servent toutefois pas uniquement à amuser les fans. Ils montrent plutôt que les collections de montres n'étaient pas fabriquées selon un modèle type, mais qu'elles évoluaient avec le temps. Ils sont des repères à l’heure de la vente de seconde main.

Dernière génération du langage Rolex : l’universel des émotions et des émojis.

Le dernier salon Watches and Wonders à Genève a vu apparaître des modèles inattendus : une Rolex avec des smileys. Place aux émotions et aux émojis ! La marque sort des sentiers battus et rebattus de la grammaire horlogère classique en détournant par exemple les guichets de date : Rolex glisse 31 émojis à la place des jours qui passent. « Les marques sentent l’air du temps, le besoin de légèreté et n’hésitent pas à capitaliser là-dessus » confie Dune – co-auteur de RetailEmotions. Pandémie, guerre, dérèglement climatique, inflation, tensions sociales… À cette litanie de crises, Rolex offre une réponse de luxe au poignet : des émotions qui s'ajoutent à la technicité et la performance.

Rolex, qui n’est pas connue pour sa fantaisie – est plus facétieux qu’il n’y paraît : l’an dernier, c’était une GMT-Master II pour gauchers, et avant cela une Datejust avec un cadran « junglesque ». Cette année, elle marque les choses en grand avec cette Day-Date - surnommée la « montre des présidents » - qui indique vos émojis préférés au lieu des jours et dates. Rolex a couvert le cadran de ce modèle de pièces de puzzle colorées. À la place de lundi, vous trouverez Faith (« foi »). Puis, Peace (« paix ») à la place de mardi, ensuite Gratitude (« reconnaissance »), Love (« amour »), Eternity (« éternité »), Hope (« espoir ») et Happy (« joyeux »). Dans le guichet, à la place des chiffres, on trouve 31 émojis, du petit bonhomme jaune qui rigole aux palmiers, en passant par une couronne, un cœur, des dollars, un panda, etc.

Le discours officiel ? « La Day-Date est une icône. Nous voulions à travers elle envoyer un message positif, message de joie, qui améliore un peu le quotidien. Les pièces du puzzle représentent les moments forts de la vie. Cette déclinaison est audacieuse et inattendue mais elle renferme un grand savoir-faire », souligne une porte-parole. Car oui, bien que son apparence puisse paraître frivole, la montre reste un bijou que ce soit en termes techniques – tout est fait à l’interne en émail (y compris les émojis) et les index sont en saphirs colorés – ou en termes financiers – 55 300 francs pour les modèles en or rose ou or gris et 52 500 francs si l’on s’en tient à l’or jaune.

Langage GenZ inclusif.

« Fini le luxe exclusif, nous voulons du luxe inclusif » souligne la GenZ en visite.  « Avec cette montre nous voulons offrir une pause à nos clients et leur rappeler qu’il faut qu’ils prennent soin d’eux » conforte les portes-paroles officiels chez Rolex. Insouciance, légèreté et bienveillance nouvelle… qu’on résume en bienfaisance horlogère : beau, bien, bon !

Ces partenariats ou collaborations décalées dans le monde horloger ont toujours existé. On peut citer bien sûr la Snoopy d’Omega ou la Mickey de Gérald Genta, devenus des modèles intouchables. Vous pouvez rajouter TAG Heuer et son tourbillon Super Mario. Chez Rolex, cela relève aussi du langage ! À l’ère du smartphone, où l’on nous répète que plus grand monde n’achète une montre pour lire l’heure, la fonction de la date paraît encore plus accessoire. Normal, dès lors que les marques réquisitionnent cet espace pour envoyer d’autres messages. Bref, l’horlogerie est un langage.


Alexis de Prévoisin est consultant Retail-Real Estate & Expérience client et auteur du livre Retail Emotions.

*Souces : site web rolex.com (lexique et vocabulaire), site uptime (parlez-vous Rolex - Fabrice Brulhart), blog Job Watch (Rolex met les émotions à l'honneur - Alexis de Prévoisin).

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