Chronique
BA111OD, une révolution horlogère suisse.
Publié le par Alexis de Prévoisin
L’approche DNVB de la Haute Horlogerie suisse par BA111OD tend à révolutionner tous les codes du marché des titans de la montre Suisse et questionne toute l’industrie : les montres donnent-elles encore l’heure du statut social ? La jeune marque répond à cette question avec le lancement d'un tourbillon du nom de "The Veblen Dilemma" - pièce inventée par Louis Breguet, complication des plus sophistiquées réservée aux garde-temps les plus luxueux dans cette industrie - et change tout de l’approche de distribution horlogère par son modèle au cœur de son marché. Décryptage.
Une chaîne de valeur repensée.
Avez-vous déjà remarqué que les publicités de montres indiquent toujours 10H10 sur les cadrans ? Au-delà des raisons esthétiques, je vous livre une explication par la chaîne de valeur de ce découpage du cadran. Si nous prenons le cadran d'une montre comme une clé de répartition de la chaîne de valeur, il y a une symbolique business :
- Les huit heures en dessous des aiguilles - soit les deux tiers du cadran - représentent ce qu’investissent les marques horlogères généralement dans leur distribution, ce que le consommateur va payer pour la commodité de distribution (6h pour le détaillant et 2h pour les intermédiaires de distribution) pour acheter un "bijou horloger" au prix moyen de 1.500 euros sur ce marché mondial de 20,5 milliards d'euros à l’export et 50 milliards d'euros de valeur en retail.
- Les quatre heures au-dessus des aiguilles représentent le coût de fabrication de l’objet en lui-même : la montre. Il ne reste à la marque que 2h, soit à 50% de marge, de son coût pour travailler son R&D, son marketing et sa communication, soit 15% du total.
Une approche 100% disruptive sur le moyen gamme et la distribution.
BA111OD se veut disrupter le modèle suisse en s’attaquant au prix moyen de marché et offre "les heures gagnées de la chaîne de valeur" aux acquéreurs pour faire baisser le prix de ses montres. La marque repense aussi la distribution par le digital en direct et par ses "afluendor". Par cette baisse de prix et son modèle unique de distribution, BA111OD - fondé par Thomas Baillod, qui signe de ses initiales une partie du logo de sa marque - offre une entrée de gamme sans précédent et en fait la démonstration avec ce lancement dans le segment des Tourbillons, le plus cher, via un produit à tout juste 3.990 francs suisses. Elle se veut révolutionnaire dans le mode de distribution en jouant sur la communauté et la recommandation : nous sommes ici dans le "digital social selling de luxe" avec une application dédiée et intégrée pour ses utilisateurs. Chaque acheteur est dans l’expérience communautaire créée avec le produit, la marque et les membres. Le consommateur vit sa passion des montres, participe à des événements, pouvant jusqu'à être revendeur.
Cette approche DNVB casse tous les codes de cette industrie et place le produit avant la marque, à contre-courant du Made in Suisse traditionnel, embarqué dans une montée en gamme jusque là sans fin. La marque Code41 avait ouvert la voie de la transparence sur le prix et de l’accessibilité. Ces starts-up obligent l'industrie à revoir ou accélérer sa digitalisation, sa distribution et pourraient même donner des idées aux Titans - Rolex, Omega, Cartier... - dans leur approche de la relation directe client… qui leur échappe depuis toujours.
Une cible nouvelle : la GenZ en jouant "l’effet Veblen".
La jeune marque cible d’abord les passionnés de montres mais aussi la GenZ, friande de luxe, de réseaux sociaux et d’expériences. Le fonctionnement en tribu pour partager une passion s'inscrit au cœur du système de vente, de partage et de l’approche DNVB.
BA111OD joue ici avec le dilemme de Veblen, qui donne son nom au tourbillon, consistant à garder une certaine distinction sociale de l'attribut du produit tout en proposant un prix inférieur sans baisser l'intérêt qu'il représente aux yeux de son acquéreur. Dans une économie en recherche de circularité et pour satisfaire la demande pleine de paradoxe de la GenZ d’accès au luxe et de moindre emprise écologique, l’approche de cette DONVB - Digital Omnicanal Vertical Brand - challenge l’industrie de la Haute Horlogerie et l’approche commerciale dans ses canaux historiques. L’application du social selling vers la GenZ semble pertinente quand on sait que les réseaux sociaux et la recommandation influent 78% de l’achat en magasin… et ici directement par réseau social intégré.
Dans un pays sorti de la crise du Quartz par la montée en gamme, les starts-up du secteur ouvrent la voie à une nouvelle approche, offrant de pair un renouveau du segment milieu de gamme et la démonstration d’une distribution virale et digitale.
Alexis de Prévoisin est consultant et auteur du livre Retail Emotions.