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« La communauté de la bioinnovation a besoin d'un engagement à long terme de la part des marques. » Suzanne Lee, Biofabricate
Publié le par Alexia Tronel
Pionnière de la biotechnologie textile, Suzanne Lee déploie depuis 2003 toute son expertise, et une pointe de folie créative, pour repenser une mode plus vertueuse. En 2011, on pouvait déjà l’écouter sur TedX pour imaginer comment faire pour faire pousser ses propres vêtements (‘Grow your own clothes’). Comme elle le dit, elle a commencé bien "trop tôt" à chercher ce qui pourrait profondément transformer l’industrie. Et pourtant, elle ne s’est jamais essoufflée.
Derrière Suzanne, il y a un monde : les biomatériaux, d'origine biologique ou inspirés par la nature dans l'industrie de la mode. Fibres extraites de plantes, matériaux fongiques, textiles à base d'algues ou fabriqués à partir de bactéries ou de protéines : ces inventions sont prédestinées à transformer l’industrie du luxe en profondeur. Nous l’avons rencontrée au Salon Biofabricate, un réseau international qui fédère des innovateurs en biomatériaux, des marques et des investisseurs.
Alexia Tronel
Quel est votre parcours et votre cheminement vers l’innovation de BioCouture™ vers Biofabricate ?
Suzanne Lee
J’ai commencé mon projet de recherche Biocouture™en 2003. C’était 20 ans trop tôt ! Si l’on repense à 2003, l’industrie de la mode n’avait pas encore pris conscience des enjeux du développement durable et de la nécessité impérative de repenser la fabrication et la consommation des matières. À l’époque, c’était impossible de trouver des investissements pour une entreprise proposant de "cultiver" ses matières. Ce n’était pas encore dans la culture de l’industrie d’investir dans la R&D. Le projet a finalement dû prendre fin après dix années.
Grâce à mon expertise de recherche dans ce domaine, j'ai été chassée pour rejoindre Modern Meadow. Durant cette période charnière, j'ai constitué la toute première équipe de conception au sein d'une startup de matériaux biotechnologiques.
C'est mon expérience pour Biocouture™ qui a finalement ouvert la voie à d'autres : ces entreprises qui utilisent la cellulose bactérienne pour cultiver de nouvelles matières. Et signe que les temps ont changés, il est désormais possible pour les bio-innovateurs d'attirer des millions de dollars pour développer et permettre à des technologies similaires de changer d’échelle.
Depuis le début de mon parcours en 2003 en tant que bio-innovatrice isolée jusqu'à aujourd'hui, il y a un fil rouge constant : ma détermination à bousculer et à transformer l'industrie de la mode.
J’ai naturellement lancé Biofabricate comme un catalyseur de changement, pour que les innovateurs puissent obtenir le soutien des marques et sensibiliser les marques et les investisseurs à la bioinnovation.
Biofabricate rassemble tous ces acteurs pour générer de nouvelles découvertes et de collaborations. Au final, si j'étais peut-être trop novatrice en 2003, en 2014 le moment est opportun pour fédérer une communauté autour de la bioinnovation.
Alexia Tronel
Quelle est la vision et la mission de Biofabricate ?
Suzanne Lee
Notre vision de Biofabricate c’est : "notre monde matériel construit avec la biologie".
Notre objectif est d’inciter les gens à adopter la bioinnovation en les informant sur les alternatives aux produits pétrochimiques, aux matériaux d’origine animale et à l’agriculture non durable.
Alexia Tronel
Que peuvent apporter les matières biosourcées à l’industrie du Luxe ?
Suzanne Lee
Pour l’industrie du luxe, la recherche dédiée aux matières biosourcées permet d'identifier des alternatives durables à certains produits et certaines matières avec les plus fortes empreintes carbone. Elle initie également de nouvelles opportunités créatives pour les designers.
Les matières biosourcées ont de nouveaux codes : une apparence et une sensation jamais vues auparavant, ainsi que de nouvelles fonctionnalités, surtout quand il s'agit de beauté. Par exemple, lors du Biofabricate Paris Summit, nous avons eu le plaisir d'organiser une table ronde avec Suveen Sahib, Co-fondatrice et PDG de K18, qui a expliqué comment l'utilisation d'un nouvel ingrédient biologique pouvait radicalement transformer les soins capillaires.
Alexia Tronel
Pourquoi avoir choisi Paris pour cette nouvelle édition ?
Suzanne Lee
Nous avons choisi d'héberger Biofabricate à Paris pour deux raisons. La première, c’est le siège de l’industrie du luxe et de nombreuses grandes marques de luxe sont basées à Paris. Nous voulions donc emmener la communauté de la bioinnovation là où se trouvent les leaders d'opinion. La deuxième, Paris est au cœur de l’Europe, et l’UE est leader en matière de législation sur les matériaux et les produits chimiques. Comprendre l'environnement réglementaire de l'UE est essentiel pour les marques qui doivent repenser leurs chaînes d'approvisionnement et pour les innovateurs qui souhaitent répondre à ce besoin émergent.
Alexia Tronel
Pourquoi s’agit-il d’une innovation si stratégique et pourquoi est-il si crucial que l’industrie y investisse massivement ? S’agit-il d’une véritable révolution de la matière au service de la transformation positive ?
Suzanne Lee
L'UE légifère sur le développement durable et revendique plus de durabilité. De nombreuses marques ont pris des engagements en matière de climat et recherchent les solutions qui les aideront à atteindre ces objectifs. On le sait, une grande partie de l’empreinte carbone de l’industrie de la mode provient des matières premières. Il est donc essentiel de rechercher ces alternatives pour réduire leur impact environnemental ou pour augmenter la circularité de l’industrie.
Alexia Tronel
Pourriez-vous nous parler des exemples les plus inspirants pour l’industrie du Luxe ?
Suzanne Lee
Balenciaga est un exemple inspirant pour l'industrie du luxe. Je suis ravie de voir des marques comme Balenciaga adopter de nouveaux biomatériaux, tels que le mycélium de SQIM et la cellulose bactérienne de Gozen. Elles adoptent la qualité naturelle de ces matières pour créer à partir de ces nouvelles propriétés. Pour nous, cela contribue complètement à redéfinir le luxe pour un avenir durable.
Alexia Tronel
Quels sont les principaux challenges de la communauté de la bio-innovation ?
Suzanne Lee
Il y a deux principaux défis auxquels la communauté est confrontée : la collecte de fonds et la recherche de marques partenaires pour collaborer sur le temps long et qui se lanceront dans ce chemin de l'innovation. Ce n’est pas une simple relation transactionnelle avec les innovateurs.
Et puis il y a le challenge de mettre le produit sur le marché ; c’est-à-dire amener les marques à signer un accord d’achat, ce qui n’est pas quelque chose que le marché du luxe a connu traditionnellement. Si vous voulez que la bioinnovation fraye son chemin et gagne ce pari, on doit la soutenir en s’engageant à utiliser le matière sur le long terme, et pas seulement pour un one shot pour une seule collection. La communauté de la bioinnovation a besoin d'un engagement à long terme de la part des marques.