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“La crise économique et sociale est peut être aussi une crise systémique pour la mode” – Pierre-François Le Louët.

Publié le par Journal du Luxe

Sans agilité, la puissance n’est rien. Ou presque. En première ligne de la crise, Pierre-François Le Louët, Président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin, revient sur ses grandes observations – aussi concrètes que prospectives – sur le futur de l’industrie de la mode. Focus sur quelques insights-clés de cette rencontre, à retrouver en intégralité ici.

Salon du Luxe Paris : L’assise financière des grands groupes semblent protéger le monde du luxe. Quid des jeunes marques et/ou des maisons indépendantes ? Comment les protéger ?

Pierre-François Le Louët : Il est certain que la question du cash est extrêmement importante dans cette période si particulière. Les jeunes marques, toujours à la recherche de cashflow pour pouvoir financer leurs cycles de production, ne sont bien sûr pas toujours les mieux armées sur le sujet. Mais il faut tout de même rappeler que le gouvernement français a mis en place ce qui est sans doute l’un des plans de protection de son économie les plus ambitieux du monde occidental, en permettant notamment un certain nombre de prêts garantis par l’Etat. Il faut absolument que les PME du secteur, les marques émergentes, utilisent toutes ces initiatives : les PGE, le report des charges sociales, les aides mises en place par les régions… De même, les nombreuses actions déployées par les fédérations ont permis, et continuent de permettre, aux jeunes marques de plus facilement financer leurs stratégies ou leur existence.

Mais au-delà de la question du cash, les jeunes marques portent en elle un élément-clé : l’agilité. Bien plus que les marques très installées ou que les grands groupes, elles ont la capacité de fonctionner à géométrie variable. Le fait de pouvoir réduire la capacité la voilure à un moment donné pour ré-accélérer ensuite, au plus vite, est une caractéristique qui va véritablement les sauver aujourd’hui. Nouer des dialogues nouveaux avec leur partenaires est un élément qui va leur permettre de passer au travers de cette crise avec sans doute des difficultés, il ne faut pas le nier, mais aussi un peu plus de souplesse que d’autres.

SDL : La crise du Covid-19, va-t-elle projeter la mode et le luxe dans une nouvelle révolution digitale avec, au cœur, l’e-commerce ?

PF.LL : Il est certain que la crise a accéléré la transformation digitale des entreprises, en particulier sur tout le volet de la distribution. Les marques qui étaient extrêmement dépendantes du retail physique, que ce soit en wholesale ou en distribution en direct, ont beaucoup souffert puisque tous les points de vente étaient fermés. En revanche, la crise n’a fondamentalement rien changé pour les marques totalement digitales ; au contraire, cela leur a permis d’accélérer, de conquérir de nouveaux clients. Le confinement a mis tout le monde derrière un écran, le trafic s’est opéré de façon naturelle et relativement optimale vers les sites d’achat. Ces habitudes vont être amenées à perdurer pour un certain nombre de consommateurs. 

C’est pour cette raison que la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin a mis en place un plan d’amplification digitale, imaginé dès avril à destination des marques pour leur permettre de bénéficier de subventions permettant à la fois de financer leur wholesale digital –  comme le fait de pouvoir se réorienter vers des showrooms digitaux en l’absence de salons physiques – et d’optimiser leur retail digital, leurs e-shops. Très concrètement, il s’agit de subventions de 1.500 euros, pouvant être renouvelées deux fois par an, avec lesquelles nous ambitionnons d’accompagner 70 marques. Cette mesure constitue un premier pas d’amélioration dans cette perspective digitale. 

Nous travaillons également avec vingt partenaires qui ont accepté de baisser leurs tarifs ou d’offrir des conditions très particulières aux membres de notre fédération. Au-delà de cette subvention, il y a donc tout un système de tarifs privilégiés et, surtout, d’écoute.

SDL : Giorgio Armani a appelé à un ralentissement de la mode et à une plus grande solidarité entre ses acteurs ? Une telle décélération et union sont-elles possibles en France ?

PF.LL : La période du confinement a vraiment été une période de réflexion sur le système de la mode. La crise économique et sociale est peut être aussi, une crise systémique pour notre secteur. Dans tous les cas, cela a été l’occasion, pour de nombreux acteurs, de poser la question du rythme, de la nature des collection, de leur fonction, de leur profondeur, de la manière de présenter et de vendre la mode, incitant beaucoup d’entrepreneurs à, effectivement, ralentir ce rythme.

Il n’y a pas eu encore de réponse collective à tous ces engagements qui restent assez différents, internationaux. Néanmoins, il y a globalement eu une réponse collective et urgente sur la fabrication des masques de protection, avec la constitution d’une filière de fabrication en l’espace de deux mois et, surtout, avec un dialogue qui s’est instauré en amont et en aval entre les maisons de luxe, les marques indépendantes, les fabricants… 

Ce dialogue, porté par le comité stratégique de filière et les fédérations professionnelles, a été très positif pour permettre à la mode d’être beaucoup plus vertueuse à l’avenir. Je suis extrêmement positif sur tous ces discours ! (…) Le moment est venu de remettre à plat les réflexions, de reprendre raison, de savoir ce qui est important et quel est le projet que la mode a envie de porter dans les années à venir. En gros, il est l’heure de réfléchir au sens de la mode et c’est évidemment le rôle de sommets tels que le Salon du Luxe Paris, que de se pencher sur ce sujet.

Mais aussi : la mutation des Fashion Weeks, l’hyperactivité solidaire des maisons de Luxe, les facteurs-clés de résilience du secteur, notamment dans ses stratégies de management… Retrouvez toute l’intervention de Pierre-François Le Louët, en vidéo, en exclusivité sur la plateforme de l’édition 2020 du Salon du Luxe Paris.

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