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Et si l’omnicanal était mort ?

Publié le par Journal du Luxe

Le Club des Chroniqueurs du Journal du Luxe présente en exclusivité la chronique de Sébastien Tortu, consultant marketing spécialiste retail et auteur de l’ouvrage « DNVB, le (re)nouveau du commerce ».

Sebastien Tortu DNVB

Internet et le commerce, c’est une histoire compliquée. Alors qu’on imaginait la fin du brick and mortar traditionnel dès la fin des années 90, en 2020 les magasins, les revendeurs et les distributeurs sont toujours là. En vingt ans, le monde du commerce a vécu plus de changements et de transformations qu’au cours du siècle passé. Et l’arrivée des DNVB n’est qu’un exemple parmi d’autres. Résultat : il faut s’adapter constamment. En quelques années, nous sommes passés du monocanal à l’omnicanal, en passant par le multicanal et le crosscanal. Pourtant, l’omnicanal n’est absolument pas la fin du voyage, mais une simple étape parmi d’autres qui commence déjà à être dépassée. Alors qu’on nous vend l’omnicanal comme le Graal absolu du marketeur depuis plusieurs années, il est temps d’imaginer l’étape suivante pour les commerçants qui ne veulent pas perdre de temps.

L’omnicanal, une approche obsolète ?

Fondamentalement, l’omnicanal est une bonne approche. Mais si les intentions sont bonnes, c’est-à-dire la mise en place de cette capacité pour le client à passer librement et sans friction d’un canal à l’autre dans son acte d’achat, son exécution l’est beaucoup moins. Je m’explique : il ne faut pas être partout comme le terme omni (du latin omnis qui signifie « tout ») le laisse présager. Il faut être là où vous êtes bons, là où sont vos clients, et là où ça a du sens pour votre marque. Plutôt qu’investir dans l’omnicanalité, investissez sur la connaissance du parcours client.

Lorsque je débutais ma carrière dans l’accompagnement stratégique de mes clients dans le monde du retail, les réseaux sociaux faisaient le buzz et la tendance de l’époque était d’être partout, dès qu’une plateforme se lançait. Il fallait être sur Pinterest, Tumblr, Foursquare, Snapchat, Google +, Periscope, Vine, etc. Peu importe si on avait les moyens ou les ressources. Peu importe que la démarche soit réfléchie ou non. Ne pas être sur un canal de communication angoissait les marketeurs qui se faisaient ensuite questionner par leur patron sous prétexte que la fille du PDG utilisait un nouveau réseau sur lequel la marque n’était pas encore.

Or, une expérience client remarquable ne s’est jamais concrétisée dans le fait d’être partout et pour tout le monde. Et ce qui se passe aujourd’hui avec TikTok n’est pas très éloigné de ce qui se passait il y a dix ans avec tous les autres réseaux. Mon conseil est simple : n’y allez pas si vous n’avez rien à y dire. Si vous créez une forte présence très caractéristique sur le réseau chinois et que votre site web est ennuyant et vos boutiques tristes, vous créez une dissonance contre-productive.

Oui à l’omnicanalité sélective si vous choisissez des canaux pertinents et utiles qui sont en phase avec votre marque et le parcours de vos clients. Par contre, oubliez l’omnicanalité absolue si vous n’êtes pas capable de la gérer. Et si votre patron vous met la pression sans raison, dites-le-moi et j’irai lui parler !

Le silo : l’ennemi absolu

Aplanir les silos et faire communiquer les services entre eux, partager les données et obtenir des tableaux de bord en temps réel pour prendre les bonnes décisions. Ces intentions sont louables, mais plus vous ouvrez des canaux de promotion et de communication, plus vous vous compliquez la vie, car leur consolidation n’est pas toujours possible. Et lorsqu’elle l’est, elle coûte très cher en termes de ressources. Entre les données générées par vos boutiques, vos sites de e-commerce, vos applications mobiles, vos réseaux sociaux, vos campagnes de publicité, d’email marketing, d’influence et d’affiliation, leur gestion est complexe, chronophage et peu efficace.

Pour lutter contre les silos, abandonnez les KPI du passé. Vous savez, ce sont les fameux chiffres d’affaires par mètre carré, par vendeur, par boutique, ou encore la différenciation entre budget web et budget physique. Qui dit omnicanalité sélective dit aussi phygitalisation à tous les niveaux. Je vous donne un exemple : pourquoi ne pas repenser votre système de rémunération ? Un salarié dans vos boutiques peut favoriser des ventes sur le web et une personne du service client peut entrainer des ventes en boutique.

Ce n’est pas le numérique contre le physique. Votre travail en tant que marque, boutique, DNVB, distributeur ou revendeur est de flouter la frontière entre ces deux mondes. Vous devez trouver la meilleure façon de répondre aux besoins des clients à tout moment et en tout lieu. Peu importe que ce soit dans un magasin, un chatbot sur Messenger ou une application mobile. La solution est simple : devenez indépendants des canaux et des plates-formes.

Trouvez votre moment de vérité

Plutôt que d’aborder la nouvelle expérience client du point de vue du canal, vous devez considérer chaque moment d’engagement avec un client comme un moment de vérité. La première découverte peut se produire sur un réseau social, par le bouche-à-oreille, ou un placement de produit. Peu importe ! Ce qui compte, c’est de comprendre chacun de ces moments spécifiques et la manière dont ils influent sur le besoin du consommateur. Chaque interaction doit être traitée comme une opportunité pour faire passer les bons messages, les bonnes émotions et créer de la confiance. L’exécution a moins à voir avec des canaux spécifiques qu’un contexte particulier. De quoi ont vraiment besoin vos clients ? Où sont-ils? Que font-ils? Et combien de temps ont-ils? Ce que vous leur livrez, comment et dans quel(s) format(s) dépendra de leur intention spécifique et de leur état d’esprit.

Pour gérer ces moments de vérité, il faut commencer par développer une compréhension approfondie du parcours du client avec votre marque. Une fois le voyage méticuleusement cartographié, il sera infiniment plus facile de décider de la combinaison des technologies, des ressources et des méthodes qui les serviront le mieux. L’omnicanal est en train de mourir, car l’expérience d’un client comprend des moments et non plus des canaux. On parle de moments de découverte, d’intérêt, de besoin et d’épreuve. Et c’est dans ces moments qu’un commerçant doit dépasser les attentes de ses clients pour sortir du lot.

Nous évoluons dans un écosystème où tout devient intelligent et connecté. Le digital n’est plus un canal pour le commerce en ligne. Le commerce n’est d’ailleurs pas plus numérique, que digital ou électronique. Il est le commerce, tout simplement. Ce qui compte, c’est d’intégrer le parcours et les émotions du client dans ce processus. C’est la raison pour laquelle tout devient médias, expériences et émotions. Et c’est ce parcours qui devient le magasin. Les clients ne se préoccupent pas des canaux d’achat. Le client est le canal. En inversant son schéma de pensée, on se libère des contraintes anciennes et on remet le client au cœur de la problématique pour mieux préparer l’avenir.

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