Chronique

Notes Shanghai : le salon où la parfumerie se réinvente d’Est en Ouest

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Du 27 au 31 mars s’est tenu à Shanghai pour la seconde année, et 3ème édition, le salon Notes Shanghai qui a rassemblé plus de 200 marques de parfums, chinoises et internationales, venues de plus de 19 pays. C’est le seul salon professionnel en Asie dédié à la parfumerie fine.

L’expansion fulgurante de ce salon est un indicateur de la vivacité de l’écosystème du parfum chinois. Il démontre aussi sa capacité à impulser de nouvelles dynamiques de développement à l’échelle internationale. En quatre jours Notes Shanghai a réuni plus un public de 5500 professionnels et 10 000 amoureux du parfum. Ils y ont trouvé une opportunité unique pour découvrir et sentir les marques en présence, mais aussi apprendre et échanger autour d’un programme de conférences échelonné sur toute la durée du salon.

Par ailleurs les prix Gold Osmanthus Awards qui curatent une sélection de parfums donnent à voir en creux le goût local.

En quoi ce salon diffère-t-il des autres salons de parfum ?

Le marché des parfums en Chine est encore jeune (avec un taux de pénétration seulement à 5%). Aussi l’effervescence est intense, tant du côté des marques que du côté des consommateurs.
Des générations post-90 qui ont amorcé l’engouement pour la parfumerie de niche aux post-00 qui sont quasi les premiers à avoir grandi avec une transmission olfactive (interrompue pendant la révolution culturelle, tous sont dans une exploration de la parfumerie sans à priori. La courbe d’apprentissage est exponentielle.

© Notes Shangaï

Kuzi 裤子说想, bloggeur parfums comptant plus de 330K fans sur Rednote est venu présenter sa toute récente marque de parfums ByYard. Inspirée de son histoire personnelle, ses parfums et accords ont fait venir les larmes aux yeux de certains visiteurs qui y ont retrouvé leurs propres souvenirs, encore jamais mis en parfum. Son accord lilas-savon inspiré de sa grand-mère du Nord de la Chine retrace et capte la nostalgie de toute une époque.

Fan, jeune bloggeuse parfums dont le parfum de cœur est Tom Ford Oud Wood, évoque quant à elle comment le dernier parfum de Voice of The Sky lui évoque un dessert traditionnel du Changsha à base de pêches et herbes aromatiques. Elle avoue en outre avec candeur qu’elle adorerait trouver un parfum qui sente le désinfectant de piscine, car c’est pour elle une odeur de propre et de bien-être, qu’elle n’a encore jamais trouvé dans les parfums…

Tous ces regards croisés peuvent nous inviter à réfléchir et remettre à plat nos idées préconçues, pour créer la parfumerie de demain.

  • Repenser les territoires olfactifs, du propre au gourmand… en intégrant les attentes et croyances locales comme autant de stimuli créatifs.
  • S’inspirer des matières premières et patrimoine olfactif en remettant à l’honneur des ingrédients comme le santal, l’osmanthus, ou le oud de plus en plus populaires auprès des parfumeurs occidentaux comme orientaux.
  • Observer l’ingéniosité des marques capables de sortir du lot avec peu de moyens, mais une créativité hors norme.

Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à ce salon ? Parce que l’avenir de la parfumerie s’y écrit

Selon son fondateur Alex Wu, ce salon est conçu pour être fondamentalement un évènement B2B, qui "facilite les connections et échanges à toutes les étapes de la chaine de valeur".
Pour les marques, ce terrain de jeux est donc une opportunité privilégiée pour aller à la rencontre de distributeurs asiatiques, mais aussi dialoguer en direct avec leurs consommateurs, qu’ils soient avertis ou néophytes.

Outre la centaine de marques locales, et en plus des marques de niche occidentales déjà bien établies localement (Juliette has a gun, Santa Maria di Novella…), le salon a réuni des marques d’origine variées et diverses : indonésienne (Jebilly), vietnamienne (Dannam), indienne (Param Sara), emirati (Kajal)… qui bousculent et ouvrent les horizons.

Pour la première fois aussi, six influenceurs étrangers (dont Jeremy Fragrance, qui compte 3,5 millions de fans sur Instagram) ont été invités à visiter et donner en direct leurs impressions. En parallèle, une collaboration avec NEZ La Revue a donné naissance un numéro spécial "NEZ in China". Tous s’accordent à parler d’une nouvelle ère pour la parfumerie chinoise.

Par la multiplicité des acteurs en présence et démultiplication des échanges via les réseaux sociaux, Notes Shanghai est certainement aujourd’hui un des endroits clés pour capter tendances et air du temps de la parfumerie, à l’échelle mondiale.

Notes Shanghai, a choisi expressément cette année la ligne directrice "East meets West" pour encourager les échanges et le dialogue qui, plus que jamais, sont primordiaux alors que la globalisation est en retrait, car selon Alex Wu "le parfum n’est pas un objet, mais un langage".
Un langage qui transcende les frontières et invite les amoureux du parfum du monde entier à se retrouver.
Prochaine édition : 16-19 Octobre 2025.

Zoom sur une indie indienne en ascension : Param Sara

Ou comment une marque globale prend la Chine comme rampe de lancement, avec une plateforme de marque qui puise dans les civilisations asiatiques, à la croisée du bouddhisme, de l'hindouisme et du taoisme.

Fondée par Ankita Gill, une jeune indienne qui réside en Chine depuis une dizaine d’années, Param Sara est une indie parfums globale, qui lie l’Inde à la Chine (son premier marché) de manière très singulière et s’est exposée à Notes Shanghai pour la seconde année.
Propos recueillis en exclusivité pour le Journal du Luxe

© Param Sara

Dao Nguyen

Quelles sont vos impressions de cette nouvelle édition de Notes Shanghai ? Qu’avez-vous relevé comme différences par rapport à l’année dernière ?

Ankita Gill

J’ai noté une internationalisation du salon, ce qui est crucial car toutes les marques [locales] n’ont pas les moyens de se déployer globalement. Beaucoup de marques internationales ont participé ; et la présence d’influenceurs étrangers a permis non seulement de relayer l’événement, mais aussi de recueillir des insights précieux sur leurs marchés respectifs. Les marques peuvent ainsi mieux comprendre les différents contextes de marché et ajuster leurs stratégies en conséquence.

Aussi, le lancement de l’édition spéciale de NEZ pour la Chine marque une étape importante en introduisant une conversation globale en Chine et réciproquement.

Dao Nguyen

Vous établissez une marque avec un ADN indien en avant-première sur le marché chinois, ce qui est très unique. Comment les consommateurs chinois l’abordent-ils?

Ankita Gill

J’ai créé Param Sara en la pensant comme une marque globale, en la lançant d’abord en Chine, car j’y ai vécu presque une décennie maintenant. Notre première étape était de définir ce qui est universel en Asie, et pour nous la réponse résidait dans l’hindouisme, taoisme et bouddhisme, qui toutes conçoivent la vie en cycles concentriques. Nous voulions créer des parfums qui reflètent cette notion, avec des parfums qui capturent les moments au sein des moments.

Param Sara fait le pont entre l’Inde et la Chine, en montrant la beauté asiatique d’une manière à la fois familière et intrigante, auprès de consommateurs chinois curieux et appréciatifs de contenus culturellement riches. L’ADN indien de Param Sara ne réside pas seulement dans ses origines, il couvre les ingrédients, la philosophie, la mythologie, et une universalité qui transcende les frontières.

Traditionnellement, la culture indienne comme chinoise ont embrassé les senteurs comme medium de connection spirituelle, comme médicaments, et elles figurent dans nombre de récits. Ces senteurs sont des ponts culturels.

Par exemple le santal est révéré dans la mythologie indienne comme le bois sacré des dieux. Dans la culture chinoise il est tout aussi prisé pour favoriser la méditation. La "golden marigold" [tagète citron], symbole de dévotion dans les temples indiens renvoie au chrysanthème en Chine ; toutes deux symboles de renouveau et longévité. Les concepts des parfums "The Mandala" et "The Nirvana" alignent les croyances bouddhistes et taoistes autour des cycles de vie, de la quête existentielle et de la transformation.

Ces héritages partagés créent une connection intuitive avec la marque, faisant de Param Sara un retour aux sources plutôt qu’une marque étrangère. 


Àla base, Param Sara est universelle, enracinée dans le passé mais créée pour le présent. Elle résonne avec toute personne qui cherche du sens à travers les parfums, quelle que soit son origine.

Journal du Luxe

Comment voyez-vous le marché chinois évoluer? Alors que beaucoup de marques occidentales sont un peu sur la défensive au vu de la conjoncture, le marché local semble pourtant en ébullition ?

Ankita Gill

Le marché chinois est en rapide transformation, nourri par la curiosité, le désir d’expression de soi et la redéfinition de l’identité culturelle. Alors que les marques européennes peuvent être au ralenti à cause de la conjoncture économique, le marché chinois est stimulé par les innovations et les nouveaux comportements de consommateurs. Contrairement à ce qui se passe en Occident où en général l’héritage et le patrimoine priment, le marché chinois est plus expérimental, plus ouvert aux marques de niches, et ce dans toutes les catégories du parfum aux déclinaisons en soin ou parfums d’ambiance.

Dao Nguyen

Trouvez-vous que les marques locales progressent ?

Ankita Gill

Un des points les plus intéressants est l’introduction d’ingrédients locaux qui reflètent la richesse du patrimoine olfactif. Les marques chinoises ont un large potentiel pour s’internationaliser; sous réserve d’être bien accompagnées dans leurs décisions stratégiques mais et surtout, à condition que les distributeurs soient plus ouverts et désireux d’ouvrir de nouveaux champs olfactifs.

Dao Nguyen est fondatrice d’Essenzia ByDao, une agence dédiée dans l’accompagnement des marques de parfums et beauté dans leur déploiement en Chine. Marketing stratégique et anthropologie du goût.

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