Luxoscopie #3 : Burberry, Ralph Lauren, Coach, Kors, Hilfiger, Tod’s, Longchamp… Le Luxe accessible peut-il encore être sauvé ?
Publié le par Journal du Luxe
Si les géants du luxe se sont renforcés avec la crise du Covid-19, on ne peut pas en dire autant des acteurs du segment du Luxe accessible – à ne pas confondre avec le Contemporary Fashion Segment, comme le SMCP Group -, souvent associé au luxe anglo-saxon.
Pour ce segment, 2020 a été un enfer… au point de remettre en question la pérennité de leur business model. Le soldat du Luxe accessible est-il perdu ? Peut-on attendre une renaissance avec le retour de la croissance ? Décryptage par Eric Briones dans ce nouvel épisode de « Luxoscopie, chronique d’un libre penseur sur l’actualité du luxe ».
2020, le calvaire du Luxe accessible en trois raisons.
Le bilan 2020 se veut sans nuances pour le Luxe accessible : c’est la dépression. La preuve par les chiffres.
- Tapestry (Coach, Kate Spade, Stuart Weitzman) : Pertes de 673 millions de dollars (exercice fiscal 2020).
- Capri (Versace, Jimmy Choo, Michael Kors) : Pertes de 551 millions de dollars (exercice fiscal 2020).
- Tod’s : Pertes de 73 millions d’euros sur l’année 2020.
- Hugo Boss : Pertes de 219 millions d’euros sur l’année 2020.
- Burberry : – 48.4 % au Q1 2020.
Trois grandes raisons expliquent cette chute sectorielle. Tout d’abord, le comportement d’achat des consommateurs en période de crise tend à privilégier les marques iconiques et les bestsellers. Malgré la pandémie, les acteurs du « super luxe »osent augmenter leurs prix, livrant ainsi un message rassurant aux clients sur la valeur de leurs investissement passés, présents et futurs : c’est le fameux « Buy Less, Buy Better ». En prime, l’explosion de la seconde main – devenue chic et écolo – tend à redistribuer les cartes de la réflexion autour d’un achat : préférons-nous un sac Coach neuf à un Saint Laurent d’occasion ? Enfin, le Luxe accessible souffre de la concurrence renforcée du sportswear et streetwear dont la désirabilité se fait croissante, même en période de confinement.
Le Plan Marshall du Luxe accessible.
Alors, peut-on douter de la survie du Luxe accessible ? La réponse est NON pour Wall Street qui parie sur un retour de la croissance du segment Mode/Accessoire du fait de la relance américaine à 1.900 milliards de dollars, soit 25% du PIB national. Conforté dans leurs analyses par le rebond des ventes de Burberry à la fin de l’année, les cours se sont envolés :
- Capri Holdings $54.06 +277%
- Tapestry Inc. $44.61 + 197%
- Ralph Lauren Corp. $123.98 + 57%
Cotations au 12 mars 2021, évolution sur une année.
Un Plan Marshall est lancé pour sauver le Luxe accessible, et ce en quatre grands axes.
N°1 : Parier sur la « nouvelle Chine » alias les États-Unis de Biden.
« Les milliards de l’administration Biden investis dans la consommation des ménages », « New-York retrouve son effervescence »… Ne cherchez pas plus loin : les États-Unis vont connaître leurs « Années Folles version 2021 », où le revenge buying– déjà présent en Chine – va couler à flots avec une croissance économique à deux chiffres. Cette envie de consommer va se concentrer sur « des achats qui se voient », la mode et les accessoires en particulier, avec une touche patriotique si possible. La qualité, sans se ruiner : une aubaine pour les Coach, Kors et autres Ralph Lauren.
Bien entendu, il ne faut pas oublier la Génération Z. C’est le cas de Felipe Oliveira Baptista, Directeur Artistique de Kenzo, qui s’attend à ce rush Z : « la nouvelle génération d’enfants va faire la fête comme s’il n’y a pas de demain ». C’est le fameux « Toujours Plus » de Léna Situation.
N°2 : Protéger la « Value for Money » de ses produits.
Protéger la valeur de ses produits passe par plusieurs stratégies : ne pas céder aux sirènes des promotions agressives, oser augmenter ses prix – à l’instar des mesures prises par Ralph Lauren sur le territoire américain, dès mars -, ou encore valoriser la qualité. De quoi renouer avec la flamboyance du style Gatsby, à l’image du show virtuel de Ralph Lauren « All Nothing at All ».
N°3 : Faire évoluer le Business Model.
L’idée est ici de contrer l’ennemi naturel du Luxe accessible en 2020 : les plateformes de seconde main. Plusieurs armes sont activées : la réinvention du crédit en mode néo sur le modèle du « Buy Now, Pay Later » ; la mise en place de services de seconde main, entièrement organisés et contrôlés par les marques; ou encore le déploiement de services de location par abonnement. À l’horizon 2030, la marge bénéficiaire sur la location de produits de luxe pourrait ainsi avoisiner les 40% d’ici la vingtième location.
N°4 : Miser sur la nouvelle classe moyenne chinoise.
La classe moyenne chinoise est en rapide extension : selon les derniers rapports de Bain & Company, elle représentera 65% de la population chinoise en 2027. C’est une vague d’enrichissement global qui touche les villes « lower-tier cities ». Ces nouvelles cibles se caractérisent par un hédonisme mesuré, plus économe. Ils représentent un potentiel de recrutement exceptionnel, en particulier pour le Luxe accessible. Au-delà de cette opportunité, il faut souligner un autre avantage de la Chine : la faible pénétration culturelle de la seconde main chez elle.
La conquête des marchés de l’Amérique de Biden et des nouvelles classes moyennes chinoises sont les fondements de la résilience du Luxe accessible. Par ses origines et sa puissance économique, son versant anglo-saxon semble le mieux positionné pour réussir ce défi, comparé aux acteurs italiens ou français. Mais attention à l’impact de la guerre froide sino-américaine !
Crédit à la Une : ©Coach