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« Nous avons besoin d’intéresser les nouvelles générations au monde horloger » Catherine Rénier, Jaeger-LeCoultre
Publié le par Alexis de Prévoisin
Pour le Journal du Luxe, Catherine Rénier, CEO de Jaeger-LeCoultre fait un bilan de ces 5 ans passées à la direction de l’une des plus anciennes et emblématique manufacture horlogère. Elle répond à toutes les questions d’actualité produits, d’expérience client magasin, de marché de la seconde main, de stratégie...
Alexis de Prévoisin
Vous avez créé un marketing d’expositions qui tournent autour du monde. La dernière exposition est celle autour du nombre d’Or, lancée au salon Watches & Wonders.
Catherine Rénier
Nous avons - depuis 2018 - amené des thématiques fortes autour de l’histoire de nos produits et de la Maison. Cette année, ce thème est celui du nombre d’Or (The Golden Ratio). Nous avions lancé le thème Céleste l’année dernière avec l’Odyssée Sidérale (The Stellar Odyssey). La Maison a pris la parole sur l’Art déco au moment de l’anniversaire de Reverso, et joué les sens et le son avec le thème The Sound Maker.
Les années à venir vont continuer d’être rythmées sur cette dynamique, et nous permettent à la fois de parler de nos produits et aussi de notre riche héritage. Nous combinons lors de ces expositions : héritage, nouveaux produits, technique et une expérience ou une dimension artistique. Nous retrouvons également cette dimension artistique dans le programme "Made of Makers", dans le cadre duquel nous collaborons avec des artistes d’horizons très variés. Ce programme nous permet d'élargir nos horizons et de nous exprimer à travers de nouveaux supports qui génèrent des émotions, cultivent la curiosité et élargissent le dialogue qui existe entre l'horlogerie et l'art.
Alexis de Prévoisin
Chaque fois que vous travaillez sur un thème, vous vous dites "quelle est la dimension artistique", et comment la traduire du produit jusqu’à l’expérience client ?
Catherine Rénier
Oui exactement ! La dimension artistique nous permet de donner un angle plus large à notre discours. Nos expositions, qui sont très horlogères, sont ouvertes à tous, et permettent d’emmener un public large, non seulement connaisseur de l’horlogerie, mais également un public intéressé par une dimension artistique. Ces partenariats artistiques, par exemple celui avec le musicien Tokio Myers pour The Golden Ratio Musical Show, apportent une nouvelle dimension – ici musicale – à notre message.
Notre communication permet de faire réfléchir et de transmettre un message plus fort que si la Maison parlait uniquement du Golden Ratio. L’année prochaine, il y aura une nouvelle thématique révélée à Watches & Wonders 2024, et celle-ci nous emmènera une nouvelle fois dans un monde horloger.
Alexis de Prévoisin
Parlons magasin, quelle est la photographie de votre retail aujourd’hui ? Le retail est-il stratégique ?
Catherine Rénier
Nous avons un réseau développé. Nous sommes présents en retail dans tous les pays avec une distribution directe en Europe, aux USA, en Australie et évidemment en Chine. En Corée, nous avons un réseau exclusivement retail. Sans oublier les États-Unis, et New York, où nous sommes en train d’agrandir une boutique historique.
Le retail reste une priorité, afin d’amener nos clients dans une expérience et une histoire propre à notre Maison. L’objectif étant d’ouvrir notre Maison à une clientèle de plus en plus large et de pouvoir se différencier, dans une industrie horlogère très compétitive. Je pense que les boutiques et les magasins permettent cette différenciation. Raconter notre histoire, et donner, en plus du produit, une expérience particulière à chaque client.
Alexis de Prévoisin
Vous avez mis des ateliers dans les magasins, quel bilan tirez-vous de l’expérience que vous avez dans les magasins ?
Catherine Rénier
Nous continuons de "tirer le fil de l’expérience" ! Nous avons par exemple, dans certains de nos magasins, les Ateliers d’Antoine. Le principe et le souhait d'origine sont d’amener la Manufacture et la Vallée de Joux, notre berceau, dans nos magasins. Après chaque visite de Manufacture, le public en sort en disant "c’est incroyable, ce que vous faîtes est magnifique !". Malheureusement, nous ne pouvons pas amener le monde entier à la Vallée de Joux. Nous avons donc transporté cette expérience en magasin. L’Atelier d’Antoine propose une immersion dans notre monde avec par exemple les ateliers d’assemblage d’un mouvement. On entre ainsi dans une culture horlogère.
Nous souhaitons faire découvrir notre histoire, nos savoir-faire et nos domaines d'expertise que sont : le son, le céleste et la précision, à travers des magasins très expressifs et engageants. On appelle cela les "cabinets de curiosité horlogers". Nous sommes également en train de réaliser les films "In the Making" pour mettre en lumière les 180 savoir-faire de notre Manufacture.
Alexis de Prévoisin
La seconde main pose une question de marché. Avec The Collectibles, vous faites des ventes capsules vintage de pièces rares. Quelle est votre approche ?
Catherine Rénier
L’approche de The Collectibles n’est pas celle du CPO (Certified Pre-Owned), mais plutôt la vente de pièces rares datant de 1920 à 1970, des pièces héritage emblématiques de la Maison. L’objectif de ce projet est de présenter nos innovations à travers de temps, et l’histoire de l’horlogerie au sens large pour la période, et en particulier pour notre Maison.
Nous avons lancé la deuxième capsule The Collectibles à Los Angeles en juin 2023. La première a eu lieu en janvier 2023. Même si The Collectibles est éloigné du concept CPO qui concerne le rachat de pièces plus récentes, nous proposons tout de même le CPO à travers un service en magasin, par le biais de notre partenaire Watchfinder. Si quelqu’un se présente avec une pièce à vendre, nous pouvons lui faire une proposition de rachat dans la boutique de façon quasiment immédiate.
L’objectif de The Collectibles est lui de mettre en lumière l’histoire de Jaeger-LeCoultre, l’histoire de l’horlogerie et d’alimenter notre patrimoine qui doit rester vivant.
Alexis de Prévoisin
Le storytelling accroche-t-il chez la Gen Z ?
Catherine Rénier
Nous avons besoin d’intéresser les nouvelles générations à un monde horloger qui peut paraître un peu poussiéreux, précieux ou lointain, réservé à des collectionneurs, à nos parents, ou à des moments de vie, alors que c’est beaucoup plus que cela. C’est un monde qui célèbre les moments de vie en général, mais apporte également de la culture, de l’identité et porte des valeurs fortes.
Les montres offrent aussi un équilibre dans un monde digital, c’est-à-dire une appréciation de ce que représente l’artisanat, le travail de la main, l’héritage, le patrimoine. Aujourd’hui, on n’a pas besoin d’une montre pour lire l’heure ! Pourquoi la montre est-elle devenue aussi importante ? C’est justement pour ce qu’elle symbolise en termes de patrimoine, de savoir-faire, et les nouvelles générations l’ont très bien compris.
Alexis de Prévoisin
Vous fêtez vos 5 ans d’anniversaire au sein de la Maison : quel bilan tirez-vous ? Et si vous deviez vous projeter sur vos 5 prochaines années, quels sont vos jalons futurs ?
Catherine Rénier
Le travail sur 5 ans s’est fait sur beaucoup de plans : construire l’expérience client, le storytelling et le concept de magasin. Retravailler la distribution pour concentrer nos efforts sur des magasins en propre. Nous avons aussi retravaillé nos collections en profondeur, pour que nos collections fortes et établies (comme Reverso, Master ou Rendez-vous) restent d’actualité. C’est un sens du détail qui peut aller jusqu’au choix d’une couleur, d’une matière de bracelet, etc. D’ici l’année prochaine, nous aurons retravaillé quasiment toutes nos collections. On rentrera alors dans l’étape suivante, c’est-à-dire, celle de faire le bilan et de tirer les fils là où les grands changements ont fonctionné. Durant ces 5 ans, nous avons réussi à préserver et à développer la haute horlogerie, l’innovation.
Ensuite le retail, c’est une transformation qui prend du temps. L’objectif ce n’est pas d’être retail coûte que coûte, mais c’est d’amener le bon niveau de relation clients. Nous ouvrons à Munich, la première boutique en propre pour la Maison en Allemagne. Ce sont des étapes encore importantes bien que nous ayons 190 ans ! Ensuite, il va falloir travailler l’ensemble du réseau pour donner un visage d'expérience uniforme. Au niveau du concept retail, nous avons atteint un niveau d’expérience clients solide, et je suis ravie de le voir se déployer dans les 5 prochaines années.
Enfin, vient la communication et l’enjeu de notoriété à travers le monde. La Maison est très connue en Europe ou en Chine. Nous avons des zones géographiques où nous avons encore à gagner en notoriété, comme le Moyen-Orient, par exemple. Voire d’une certaine façon les États-Unis, où nous sommes encore trop confidentiels. Du côté du digital, il faut continuer d’aller chercher la nouvelle génération. Je pense que nous avons les outils, les produits, et cela va être une question de visibilité et de priorité d’investissements.